Deuxième volet du récit de tournage de la série « Machines obsolètes » de l’artiste Cécile babiole, produit par l’Espace Multimédia Gantner.
La croix de Malte, élément essentiel à la magie du cinéma. © Sarah Brown
< 20'01'16 >
Voyage à l’intérieur des « Machines obsolètes » de Cécile Babiole (2)

Suite du journal de bord du projet « Machines obsolètes » de l’artiste Cécile Babiole. Dans le 1er épisode, Sarah Brown, qui l’accompagne dans ce périple créatif, nous faisait découvrir l’incroyable collection de projecteurs de Jean-Jacques Meyer et les souvenirs de projection itinérante d’Antoine Scholler. Retour sur les routes d’Alsace pour cette deuxième et dernière incursion au cœur de la projection cinéma.

Strasbourg, correspondance

La « Star » des projecteurs 35mm

Nicolas Schwartz est le directeur technique du cinéma d’art et d’essai le Star à Strasbourg. Il nous explique que le Star garde quatre projecteurs 35mm sous le coude, alors que la plupart des salles sont passées au tout numérique. Ils sont peu utilisés, en moyenne une fois tous les deux mois, ou à l’occasion du Festival européen du film fantastique de Strasbourg. Nicolas s’en réjouit car ces belles machines, sur lesquelles il a débuté, le passionnent.


Nicolas Schwartz dans la cabine de projection du Star. © Sarah Brown

Dans cette sombre cabine qui constitue son univers de travail, on le sent comme un poisson dans l’eau. Nicolas Schwartz commence la démonstration de la préparation d’une séance. Ici, l’environnement est professionnel. Le chargement des bobines se fait via trois plateaux : le premier pour dérouler la pellicule, le second pour la réceptionner et le troisième pour la bobine suivante. Ce système permet de ne pas rembobiner le film et d’enchaîner les séances sans temps mort.


La colleuse permet de coller proprement les bandes entre elles. © Sarah Brown

Avant toute chose, il faut préparer les bandes, car le film arrive en plusieurs bobines. Le projectionniste vérifie que les pellicules sont à l’envers, –l’image sera inversée à la projection selon le principe de la boîte noire–, il les raccorde à l’aide de la colleuse. Il y a quatre perforations pour une image, c’est ce qui détermine l’endroit du raccord, sinon, attention au décadrage ! Les petits picots éliminent le Scotch superflu qui pourrait perturber le déroulement. Comme il le souligne, « tout se passe au montage si on ne veut pas avoir de souci durant la projection ».


A la table de montage, près des plateaux de projection. © Sarah Brown

La préparation de la pellicule est terminée, il l’enroule sur le plateau et la fait passer par différents galets jusqu’au projecteur. Cette grosse bête allemande, un Ernemann 14, a tout juste quinze ans. Nicolas commence par l’épousseter, le passage des films précédents laissant toujours des résidus de poussière. Puis il passe la bande dans les jolis mécanismes et nous explique le procédé technique qui fait la magie du cinéma : la croix de Malte et l’obturateur. Pour avoir la sensation du mouvement, la croix de Malte bloque une image fixe tous les 1/24ème de seconde, l’obturateur va cacher l’entre-deux. Notre perception visuelle fait le reste.


L’incontournable croix de Malte. © Sarah Brown

Le petit souci avec cette technique, c’est que le son a besoin de fluidité et qu’il est imprimé sur la même bande. Pour résoudre ce problème, il est positionné en avance de 21 images et sa continuité est assurée par un système de galets équipés de stabilisateurs et d’un volant d’inertie. Le tour est joué ! Il raccorde la pellicule au deuxième plateau, allume la lampe et lance la projection.


Sur la pellicule, à côté des images, on perçoit les courbes du son en vert. © Sarah Brown

Cécile Babiole lui demande ce qu’il pense du passage au numérique. Au Star, même s’il reste des 35mm, la diffusion se fait quand même en majorité numérique. Elle est gérée par le TMS (Theatre Management System), un système informatique qui se charge de tout : programmer et déclencher les projections, allumer et éteindre les lumières… Lorsqu’il y a un problème, le service d’entretien intervient à distance via Internet.

Alors quid du métier de projectionniste ? Certes, il faut encore nettoyer les filtres, vérifier la netteté, entrer les données informatiques. Mais déjà, certains cinémas n’ont plus de cabine, le projecteur est suspendu dans la salle. Au Star, le directeur Stéphane Libs tente de sauvegarder les postes. Les projectionnistes doivent du coup se diversifier, notamment en tenant la caisse. Le métier a changé du tout au tout.


La façade du cinéma Star à Strasbourg. © Sarah Brown

Nicolas, plus positif que nos retraités, voit quand même un bon côté au numérique : « On peut tout brancher sur ce système, cela permet à plus de personnes de diffuser leurs films, ce qui était beaucoup plus difficile du temps de l’argentique. » L’argument est généreux. Mais après avoir passé du temps à observer les belles lanternes magiques, je trouve le boîtier austère du projecteur numérique manquant singulièrement de poésie.


Vue de côté du projecteur Ernemann 14 avec le schéma de montage de la pellicule. © Sarah Brown

Machines obsolètes en boîte

Une fois les images en boîte, celles de nos retraités passionnés et du projectionniste en 35mm, le moment est venu de passer au montage du projet « Machines obsolètes ». Nous décidons d’entrelacer les voix des trois personnages qui ont chacun des personnalités très marquées et des rapports très différents à la projection.

Leurs points de vue, technique, historique, sociologique et émotionnel s’additionnent pour révéler les différents aspects d’une technique qui a certes marqué les imaginaires depuis le début du XXème siècle mais qui est aujourd’hui en voie de disparition, désormais réservée aux rétrospectives. L’archivage numérique en aura sûrement raison d’ici peu.

Des artistes prolongent sa vie sur un mode expérimental. Ce n’est pas cet aspect que développe la série des « Machines Obsolètes », Cécile souhaite centrer le propos sur leur utilisation générique. Ce parti pris met l’accent sur la machine elle-même et son impact sur un temps révolu. C’est aussi l’occasion de revenir aux sources de nos technologies actuelles et de les questionner.

« Machines obsolètes, projection cinéma » est en ligne sur le site de l’Espace multimédia Gantner, producteur de la série, et ci-dessous. Bon visionnage !

Sarah Taurinya 

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