Après-coup sur la 11ème édition du festival strasbourgeois de l’Ososphère, deux nuits de concerts et sets de DJ les 23 et 24/09, et une exposition nouveaux médias, encore visible jusqu’au 3/10, sur le site de la Laiterie, 13 rue Hohwald, et dans les containers rouges posés en centre ville, Strasbourg (67).
10.000 festivaliers : joli succès cette année encore de l’Ososphère 2009. © DR
< 29'09'09 >
A Strasbourg, l’Ososphère en met plein la ville

(Strasbourg, envoyé spécial)
Ososphère n’en finit plus de grandir : cent artistes invités, six espaces de concert et deux d’exposition, sans oublier des installations disséminées en ville, des performances, des croisières sonores et même une pièce de théâtre dans un bus… Investie de toutes parts, Strasbourg a été pour la première fois au cœur de la proposition gargantuesque de ces Nuits 2009, les 24 et 25 septembre derniers. Par la programmation musicale d’abord, qui n’a jamais vu autant d’artistes locaux (du rock brutal de Punish Yourself ou Sun Plexus à l’électro-indus de Sonic Area) mais surtout parce que le festival passe avec fracas la frontière du quartier de la Laiterie pour s’exposer dans (à ?) la ville.

Le rouge est mis
Echappés du Port autonome, face à la cathédrale ou au musée d’art contemporain, d’incongrus containers rouges occupent les places et les bords de l’Ill ; à l’intérieur, des installations, spectaculaires ou ludiques, pour « attraper » le béotien, mais aussi un travail sur la ville avec le magnifique projet « Unknown Cities » des musiciens Colin Newman (Wire), Malka Spiegel (ex-Minimal Compact) et Robin Rimbaud (Scanner). « Il fallait emmener l’Ososphère plus loin, nettement, et marquer les esprits, explique Thierry Danet, directeur du festival. Il n’est pas question de quotas ou d’identité régionale, mais pour parler du monde, c’est bien de savoir d’où on en parle. On a voulu montrer aux Strasbourgeois, contre la tentation de la carte postale, que la ville, c’est aussi ça. » Le trio anglais Githead, qui donne d’ailleurs un mémorable concert à l’entame du festival vendredi soir, est ainsi allé chercher les histoires enfouies, oubliées, méconnues ou rejetées de Strasbourg (le manifeste des étudiants de l’AFGES, le soviet de 1918…). La plus spectaculaire remonte à 1418 : une femme se met à danser spontanément dans les rues de Strasbourg, bientôt suivie par des dizaines d’autres (ça durera deux mois). La vidéo remake de cette « peste de la danse » est projetée sur les murs de la Laiterie.

Le « label » Ososphère
Colin Newman était déjà là l’an dernier avec Wire. L’Ososphère a ses fidélités artistiques, ce que Danet appelle la « logique de label » : Lydwine Van Der Hulst est de retour avec « Pan-Aura-Mix » (déjà montrée en 2008, mais mieux installée), comme Cécile Babiole (septième invitation !) avec la belle installation lumineuse « Control Room », sorte de dancefloor industriel rythmé par le son des presses du quotidien « L’Alsace ». Après « Sho(u)t » en 2008, Vincent Elka/Lokiss met en scène « Black Grease », série de peintures anxiogène balayée de projecteurs (miradors ?) au son d’orgasmes et de coups de feu. Gros succès auprès des teufeurs. Dans la catégorie « brutal », « Cremaster 15 » de P. Nicolas Ledoux (ancien d’Ultralab), réinterprétation libre du cycle de Matthew Barney sur fond de Sunn o))), Clair Obscur et Cocoon. L’installation, présentée dans un container, n’était malheureusement pas servie par sa proximité avec les salles de concert…

Rares sont les œuvres présentées à avoir une dimension sociale voire politique, quand la dernière édition d’Ars Electronica en fourmillait. Ainsi, « Le Grand Générique » d’Antoine Schmitt, qui déroule sans fin une liste de patronymes collectés au fil de ses expositions, histoire de « regrouper le nom de tous les êtres humains pour constituer au fil du temps ledit générique », ne questionne pas le fichage généralisé, encore moins la préservation des données privées à l’heure numérique. Si « Filmer la ville », docu-art de Joël Danet, Thierry Ramadier et Vincent Voillat (du collectif Mu), s’attaque via la danse aux questions de vidéo-surveillance et dénonce en creux le mobilier urbain anti-SDF, Hadopi, les nanotechnologies, les puces et autres systèmes de géolocalisation sont les grands absents de cet Ososphère 2009, qui ne cède qu’à la vogue bio avec le duo Scenocosme (pour ses deux installations éprouvées). « Je n’ai pas trouvé d’œuvres de ce type qui s’intégraient dans le récit que je voulais formuler, justifie Thierry Danet. Ce qui m’intéresse, c’est l’intime, les différentes couches de relations sociales (famille, communautés…), l’espace public… » Au moins l’Ososphère tente-t-elle de faire le lien entre ces différentes familles électroniques. Comme le fait le hors-série de « MCD » (Musique et culture digitale) « WJ-SPOTS #1 », (un projet dont poptronics est non seulement friand mais aussi partie prenante), sous-titré « 15 ans de création artistique sur Internet », lancé en grande pompe par Anne Roquigny lors du festival.

« Concatenative Mu », Sébastien Roux et Vincent Epplay, 2009 :

Ces limites posées, Ososphère réussit quand même à faire déambuler une foule de fans de musiques électroniques dans une exposition nouveaux médias. Et la bonne nouvelle, c’est que celle-ci est prolongée au-delà des deux nuits, jusqu’au 3 octobre. Ce week-end en tout cas, les festivaliers s’y bousculaient, dissipés, (très) imbibés mais surtout ouverts, dans un rapport simple voire frontal avec les œuvres, bluffés par les projections de « Dream Hotel » de Wonderbabette ou « Bumpit ! » de Bertrand Planes ou cette mare d’encre de Chine qui s’anime au son d’une goutte d’eau (« Vallen » de Cécile Beau). Hors les murs, à l’Aubette 1928, le féérique « Nabaz’mob  » (Jean-Jacques Birgé et Antoine Schmitt), opéra pour 100 lapins communicants, fait lui aussi salle comble comme la performance « Concatenative Mu » de Sébastien Roux et Vincent Epplay, samedi après-midi.

Folk sensible, punk saturé et stars du dancefloor
Le cœur de l’Ososphère cependant, ce sont ses nuits de concerts, DJ-sets et lives électroniques. Le festival tutoie pour la troisième année consécutive son record de fréquentation (10.000 personnes) grâce à un savant mélange des genres. Priorité au dancefloor certes, avec ses stars (Laurent Garnier, The Orb), mais les débuts de nuits s’aventurent aussi dans le rock (Art Brut, punk jusqu’au bout avec un son inaudible parce que poussé au maximum), le folk pour âme sensibles (Elvis Perkins, candidat au trône de Ben Harper, en sosie de Johnny Depp bobo), voire aux pochades branchées (Au Revoir Simone, oui et à jamais) et au festif à la mode (Naive New Beaters, repris en chœur par la grande salle samedi soir). Sans oublier la prestation courue de Raekwon, échappé du Wu-Tang Clan, attendu comme le messie par une foule sur son 31 (casquettes neuves et survêts du dimanche) qui a fait une fête de son hip-hop old-school.

Yuksek live à l’Ososphère 2009 (« Tonight » :)
A coté des grosses machines (Digitalism, Sinden…), le wonderboy de Border Community, Nathan Fake, autre habitué, se taille un joli succès vendredi avec ses nappes aériennes et distordues, comme un peu plus tard, la musique cérébrale des vétérans Plaid, qui attire un public moins nombreux mais fervent. Le lendemain, même scénario. Porté par l’énorme succès de « Tonight », Yuksek déroule son gros son devant un public totalement acquis à sa cause comme à celle de SebastiAn, qui lui succède avec un set tout en compression à faire sortir la kalachnikov (il convoque le pire du pire des années 70-80, Supertramp en tête).

Alec Empire, live à l’Ososphère 2009 (« Night Of Violence ») :

Plus rafraîchissante, la prestation des Portugais Buraka Som Sistema, tête de pont du kuduro, ce dérivé de Miami bass né en Angola et popularisé dans les banlieues de Lisbonne. Face à une salle chauffée à blanc par le concert tellurique d’Alec Empire (une heure et demie sous stroboscopes), le trio a une énergie communicative, renforcée par des percussions jouées en direct. Ceux qui n’ont pu entrer suivre le set de DJ Pone (de Birdy Nam Nam) archicomplet trouvent là matière à faire les malins : toute la nuit, le nom de Buraka (comme celui de General Elektriks, dont on a raté le concert...) passe de bouche en bouche. A la surprise générale, Goldie, encore un vieux de la vieille, clôture en beauté cet Ososphère 2009. A l’ancienne (pas l’ombre d’un laptop !), le pape de la drum’n’bass et de la jungle joue ses classiques. La foule à peine née au moment de ses premiers exploits en redemande.

Buraka Som Sistema, live à l’Ososphère 2009 (« Aqui Para Voces ») :

Comme quoi, Strasbourg, réputée froide, a fait sa place à ses nuits de remix. On en connaît qui doivent pleurer du côté de Marseille, qui n’en finit plus de mettre des bâtons dans les roues au cousin phocéen Marsatac.

matthieu recarte 

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< 3 > commentaires
écrit le < 01'10'09 > par < jjbirge rbU drame.org >

Si je partage le souhait de Matthieu Recarte de voir et entendre plus de dimension sociale et politique dans les œuvres j’ignore où il est allé chercher que la dernière édition d’Ars Electronica en fourmillait ! Sous la grande surface bio d’hypermarché, cela ressemblait plutôt à la Cité des Sciences en volume de synthèse...

Surtout, je viens à la rescousse de mon camarade Antoine Schmitt en notant que si Matthieu trouve que « Le Grand Générique ne questionne pas le fichage généralisé, encore moins la préservation des données privées à l’heure numérique », il exprime simplement le contraire de ce qu’il écrit : n’est-ce pas l’œuvre elle-même qui a suscité sa remarque ? On met souvent le doigt au bon endroit en exprimant l’inverse de ce qui est produit. La dimension brechtienne lui aura donc échappé, mais pas à ses lecteurs : il l’écrit noir sur blanc.

Lire le texte qui l’accompagne :

http://www.thegrandcredits.info/about_fr.html

Passé le désir de voir son nom appartenir à la liste interminable (il faudrait 200 ans pour la dérouler dans son intégrité), l’angoisse que peut générer Le Grand Générique et les questions qu’il suscite en font tout le sel.

écrit le < 02'10'09 > par < matthieu.recarte Gdv poptronics.fr >
Merci Jean-Jacques d’apporter votre éclairage. Concernant l’Ars Electronica, je faisais référence à divers travaux sur l’hybridité rapportés ici et là (je n’y suis pas allé, malheureusement). Quant au « Grand Générique », Antoine Schmitt se revendique de Warhol, vous le défendez avec Brecht... Vous m’entourez de totems référentiels ! J’ai simplement été surpris qu’il ne questionne pas davantage la mise en fiches des populations.
écrit le < 04'10'09 > par < jjbirge iEN drame.org >
Une œuvre d’art n’est ni un tract ni un article de journal. Sa qualité peut s’évaluer à la multitude de ses interprétations. Vous y avez relevé ce que vous désiriez y voir ou y placer. Formidable ! Ce qui est étonnant, c’est que j’y ai constaté la même chose que vous. Vous la signalez par une absence tandis que j’en appréciais la présence. C’est comme tourner une phrase active en passive, mais où est la différence ?!