« L’Audit » de Martin Le Chevallier, sur le stand de la galerie Maisonneuve, 35e édition de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) du 23 au 26/10, à la Cour Carrée du Louvre (et au Grand Palais), Paris (25€ la journée, pass accès libre : 55€).
« Audit de performance artistique » réalisé sur Martin le Chevallier à la demande de l’artiste. Et alors ? Résultat à la Fiac. © DR
< 23'10'08 >
Un « Audit » à la Fiac

A l’inauguration de la Fiac, mercredi soir, les mêmes inquiétudes se murmuraient plutôt qu’elles ne s’affichaient : le marché de l’art va-t-il tenir ? Sera-t-il lui aussi emporté par la tourmente mondiale, de subprimes en dévissage bancaire ? Et comme à la Frieze la semaine précédente, un attentisme prudent, une réserve plus grande des acheteurs potentiels, et surtout moins de monde qu’un soir de vernissage de cette foire internationale d’art contemporain à Paris.

Alors cette crise ?

Mais de crise, il n’est pas encore question, comme le montre le rapport Artprice généreusement distribué à la sortie des stands à la Cour carrée du Louvre (près de 2900 maisons de vente internationales) : « Le marché de l’art affiche des résultats époustouflants » alors qu’il « aurait dû plier sous le poids d’une économie mondiale en berne ». Et de souligner les records battus d’année en année sur les enchères contemporaines, New York, Londres et la Chine en tête des ventes, avec 94% des transactions depuis un an sur les artistes nés après 1945... Dans ce contexte, la France est totalement balayée, crise ou pas, avec un petit 15 millions d’euros, contre 348 millions pour les Etats-Unis, 262 pour le Royaume-Uni et 259 millions pour la Chine.

Comment l’art français peut-il avoir sa place dans ce contexte ? L’insolente bonne santé des ventes d’art contemporain n’est-elle pas le signe d’une spéculation effrénée ? Artprice évoque ces ventes à coups de dizaines de millions de dollars, ces courbes de profit à +132% (de 1991 à 2008), qui rappellent les chiffres exponentiels des retours sur investissement à la Bourse, avant la chute qu’on connaît.

Combien ça vaut, un artiste ?

Avant même que l’inquiétude n’atteigne le marché de l’art, Martin Le Chevallier s’est posé la question de sa pérennité sur le monde de l’art. Quand l’Etat se désengage, quand l’aura esthétique de la France est en berne et que le marché tourne le dos à la vieille Europe, comment un artiste français même plus très jeune (Martin Le Chevallier a 40 ans) peut-il rebondir ? La question n’est ni naïve ni provocatrice, mais un peu des deux à la fois, comme dans toutes les pièces résolument inclassables de l’artiste. Il faut dire que Martin a ce don précieux pour tourner en dérision nos petits travers, personnels et industriels, et stigmatise d’une façon très Tati-esque les errements normatifs de nos sociétés hyper-développées, qu’il s’agisse de surveillance (un détournement de Sim City, « Vigilance 1.0 » en 2001) ou du déferlement des voix de synthèse au téléphone (« Doro Bibloc », 2003).
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Cabinet de conseil

Martin Le Chevallier, donc, expose à la Fiac, sur le stand de la galerie Maisonneuve, son « Audit », un des très rares dispositifs sonores présents cette année. « L’Audit » joue le double registre du malin-mordant, du distancé pris au piège, du miroir déformant qui darde ses piques aussi bien sur le marché de l’art que sur l’art lui-même (un art « stratégique » donc), et plus largement sur une société où la valeur marchande a progressivement et subrepticement pris le pas sur tout autre type de valeur. « L’Audit », on vous en avait parlé avant l’été, est le fruit d’un travail très sérieux réalisé par un cabinet de conseil, d’habitude plutôt qualifié pour établir un diagnostic économique sur la situation d’une entreprise que sur un individu, fût-il artiste. C’est la première des piques, que de grands cabinets ont préféré éviter en renonçant à la dernière minute, de peur de la mauvaise image que l’artiste aurait pu donner d’eux.

Martin Le Chevallier, artiste qui veut réussir

Pour la biennale de Rennes, Martin, bardé d’un budget de production, s’est mis en tête de tester et éprouver le consulting, très en vogue dans toutes les entreprises au bord du dégraissage qui font appel à ces grands cabinets extérieurs pour ausculter leurs salariés, identifier les problèmes et éventuellement apporter des solutions. Andersen, Deloitte, Bain… Ces entreprises interviennent souvent en période de crise, pour désamorcer un conflit ou faire passer une décision difficile, en usant d’un vocabulaire spécialisé qui fait le sel de la pièce de Martin Le Chevallier. Démarré au printemps, l’audit est centré sur Martin Le Chevallier, artiste qui veut réussir. Après avoir défini son « niveau d’ambition » et établi un diagnostic (Martin n’est pas très productif, avec moins de dix œuvres en dix ans, il fait trop appel aux subventions, etc.), l’audit envisage des stratégies (de développement, offensive, de diversification…) pour s’achever par un « choix stratégique composite : le repositionnement défensif ».

L’ironie comme attitude au monde

La voix doucereuse qui lit le compte-rendu dans le casque, devant une seule image (d’Epinal) de « l’artiste sous surveillance » (audité donc) dans un atelier vide, a bien entendu un effet comique. Un comique aigre-doux, qui rappelle à chacun des expériences similaires (séminaires d’entreprise, analyse au PowerPoint de ses capacités, discours marketing pour vendre un accord d’entreprise, et on en passe). Une ironie envisagée comme la meilleure parade à ce monde schizophrène où l’art est réduit à sa valeur d’échange et de spéculation (un Jeff Koons égale un tas de louis d’or ?) et où l’homme n’est qu’un rouage d’une vaste machine à faire des profits (mais pour quoi faire, au fait ?).

« L’ironie n’est pas qu’une solution, mais un moyen, un regard, une attitude au monde », explique Martin Le Chevallier pour se justifier d’avoir ainsi « mis les pieds dans le plat ». L’an passé déjà, pour la Fiac (un artiste doit y présenter des objets, pas des dispositifs ou des processus, plus difficiles à vendre), il avait produit « NS », un polyptyque en bois peint retraçant les premiers pas de Nicolas Sarkozy président. Une peinture ironique encore, politique toujours, et à distance (du monde de l’art et de la politique), qui avait eu l’heur de séduire les collectionneurs… Son « Audit » 2008 est peut-être moins ostensiblement formaté pour la Fiac, sa pertinence n’est en tout cas pas entamée par son exposition en foire.

annick rivoire 

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< 1 > commentaire
écrit le < 24'10'08 > par < ariley abo vanartgallery.bc.ca >
" ...et où l’homme n’est qu’un rouage d’une vaste machine à faire des profits (mais pour quoi faire, au fait ?)." oh comme c’est bien et beau, pas lénifiant(e) NON oh non ! on reviendra parce que ça oh oui oui ! ça c’ébien ! .. prout