« L’argent pas Net ? », table ronde proposée par poptronics dans le cadre de l’exposition « L’Argent » au Plateau-Frac Ile-de-France, le samedi 5/07 de 16h à 18h, à l’Antenne du Frac, 22 cours du 7e art - à 100 m du Plateau, Place Hannah Arendt - Paris 19e (entrée libre).
"L’audit, processus de consulting, travail en cours", de Martin Le Chevallier, invité par Poptronics au Plateau ce samedi. © DR
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Argent pas Net ? Poptronics au Plateau

Ils sont plus de 70 artistes dans l’exposition « L’Argent » à brillamment tourner autour du pot, à dévaluer ou réévaluer la valeur de l’art, la marchandisation du monde et le rapport à la monnaie. Il y a même les furtifs, ceux qui, comme The Center of Attention (une galerie semi-virtuelle londonienne), ont simplement payé Le Plateau pour être inclus dans l’exposition. « Cette transaction constitue l’œuvre, et la seule contribution, du Centre of Attention pour l’exposition. » Extrême ? Pas tant que ça : la disparition de l’artiste, sa dilution dans les arcanes du réseau ou la dématérialisation de la création sont une alternative aux normes marchandes. Alors non, poptronics n’a pas payé le Frac Ile-de-France pour organiser une table ronde au Plateau, et faire résonner du côté du Net la somme des questions que pose très justement l’exposition. Et poptronics ne se paie pas davantage pour organiser ce débat, pas plus que les deux artistes invités à débattre autour de la théma « Argent pas Net ? », David Guez et Martin le Chevallier, ne le seront.

Pourquoi cette précision ? La gratuité est sans doute consubstantielle à l’art, ce geste désintéressé, impérieux et forcément généreux de l’artiste qui n’aurait d’autre choix pour assouvir sa soif impérieuse de création... Surtout, Internet a porté la gratuité (vraie ou fausse) comme un thème majeur des débats contemporains (cf. le projet de loi « Création et Internet », les téléchargeurs « tous voleurs » selon Sarkozy, l’agitation des maisons de disques ou plus récemment des mondes du cinéma et du livre). Majeur au point qu’une culture nouvelle en émerge, cette culture dite du libre, née d’un contexte informatique, l’ouverture des codes source des logiciels (l’open source), de façon à permettre le développement collaboratif, une sorte de pratique post-hippie qui a su faire ses preuves (Linux ou Wikipédia, pour ne citer que deux exemples). Et d’une certaine manière, Internet a préfiguré les impasses actuelles d’un art indexé sur les cotations boursières, où de riches Chinois, Russes ou Allemands décident du bon (et mauvais) goût du jour.

Dès la préhistoire du réseau, à la fin des années 80, l’argent était le grand absent de la création liée aux nouveaux médias : le berceau du net-art était situé dans les ex-pays de l’Est, avides de pouvoir rattraper les standards artistiques internationaux et encore peu inscrits dans le parcours du collectionneur d’art. Le Net leur permettait alors une création autonome, indépendante des institutions et de toute structure, dématérialisée et ouverte sur l’international. Vingt ans plus tard, les mêmes qui prônaient un art démultiplié et évanescent pénètrent le marché de l’art avec des pièces physiques, manière de réintégrer la norme (et accessoirement sortir des vaches maigres…). Comme si le net-art avait anticipé la confusion entre art, marché de l’art et valeur de l’art. Les net-artistes n’ont cessé de poser la question de la valeur de « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée » (d’après l’essai fameux de Walter Benjamin sur la photographie, toujours d’actualité) et de remettre en cause, via leurs dispositifs et les interactions proposées, les règles de sa portée marchande et esthétique.

Aujourd’hui, l’artiste qui utilise comme support la Toile et travaille la matière numérique est plus que d’autres confronté à la réalité d’une économie en devenir, une « nouvelle économie » dont les modèles sont à inventer (et où la rétribution des auteurs n’a pas été prévue). Inséré dans un réseau où le faux-semblant de la gratuité et les contradictions mêmes d’une économie immatérielle sont à l’œuvre, comment l’art peut-il trouver le moyen d’exister ?

David Guez et Martin Le Chevallier, les deux artistes invités à débattre de ces questions, sous la modération de l’auteur de ces lignes, donneront-ils des réponses ? David Guez, précurseur du net-art en France, a notamment anticipé les réseaux sociaux et les plateformes de partage vidéo, en concevant Teleweb.org (un ancêtre des Dailymotion et autres Youtube) dès 1999, ou Ekart, le premier projet d’échange artistique en P2P (peer to peer) en 2002. Ses propositions ont le statut hybride (mi-art, mi-techno) qui décontenance les institutions, oscillant entre dispositif et mise en situation (à l’instar de la plateforme communautaire 1400cm3, alternative à Myspace, ou de 2067 un e-mail vers le futur). Ce partisan d’une culture du self-media (qui a insufflé ses idées au projet poptronics) a développé avec DotRed, sa dernière proposition lancée au Flash Festival à Beaubourg, un mix aventureux de réseau social, de serious game et de projet humanitaro-politique autour des questions du droit au logement. Martin Le Chevallier, lui, produit depuis la fin des années 90 des médias critiques sur les mythes contemporains : il choisit le dispositif du jeu vidéo rappelant les Sim’s pour stigmatiser la surveillance (Vigilance 1.0 en 2001), il conçoit un serveur téléphonique Doro bibloc « à l’écoute de nos pulsions consuméristes » en 2003, imagine une fiction interactive (en boucle) sur le bonheur (Papillon en 2005) et, pour l’actuelle biennale des Ateliers de Rennes, se fait auditer par un cabinet de consulting « afin de s’assurer de la pertinence de ses choix artistiques et commerciaux ». Le débat, à défaut de rapporter de l’argent, promet d’être riche.

annick rivoire 

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