Jean-Philippe Renoult est artiste embarqué à bord de la péniche de European Sound Delta. Comme il est aussi embarqué dans l’aventure poptronics, il nous a envoyé ses impressions sur l’Ars Electronica 2008, le festival de nouveaux médias de Linz, en Autriche, du 4 au 9/09.
Julius Von Bismarck pose une croix lumineuse avec son "Image Fulgurator" sur le pupitre d’Obama. © DR
< 09'09'08 >
Ars Electronica, journal de bord

(Linz, correspondance)

Ars Electronica backstage

Nous voici à Linz depuis samedi soir. Nous passons notre première nuit sur la péniche European Sound Delta. Elle reste à quai jusqu’à ce jour (9/09), le temps de faire le plein de fuel, de nourriture, de matériel d’enregistrement, ainsi que de se remettre de deux fêtes consécutives sur le ponton. S’y sont conjugués festival d’écoute façon Placard et live électronique nourri de field recordings réalisés à bord et durant les précédentes escales. Depuis qu’il est à quai dans la capitale provisoire des arts électroniques, et, chose qui ne s’invente pas, face aux bureaux de l’Ars Electronica, le bateau ESD est devenu le « QG off » des artistes de la manifestation. Alors que l’édition 2008 se place sous le signe d’une « New Cultural Economy » de Creative Commons et des modes de distribution alternatifs à la propriété intellectuelle, il est amusant que la péniche « Ange-Gabriel » ait tout officieusement la palme du meilleur « hacking » de l’événement.

Il faut dire que les palmes, Ars Electronica adore… Prix, prix honoraires et prix multi-catégories, prix hors catégorie… Pas vu, pas Prix, en quelque sorte. Fort heureusement on oublie vite la notion de palmarès quand on visite la grande expo « CyberArts 08 » au « OK », le Centre d’art contemporain et ses quatre étages d’installations, interactions, projections.

Obama a des apparitions

Le début du parcours est un tantinet confus : beaucoup de moniteurs vidéo, beaucoup d’auteurs dans un espace réduit. C’est pourtant là que se trouve l’une des meilleures créations de l’édition. Une photo de Barack Obama prise lors de son discours à Berlin montre l’homme politique sur une estrade entouré de photographes et une étrange croix lumineuse sur son pupitre. Cette croix est en fait une projection, ici littéralement une apparition, qui, bien qu’elle ne se présente qu’une fraction de seconde devant l’objectif, aura le temps d’imprégner la pellicule des paparazzi. Voici comment se révèle le projet « Image Fulgurator » du Berlinois Julius Von Bismarck, avant qu’un making of vidéo en détaille le procédé lors d’une opération sur la place Tien An Men devant le portrait de Mao.

Le « Fulgurator » est une espèce d’appareil photo réversible. A la fonction standard s’ajoute la double fonction de projection d’une image pré-chargée. Le temps d’un déclic elle s’impressionne sur le sujet photographié. Impossible au spectateur de voir le motif à l’œil nu, c’est seulement la photographie qui révèle l’intrusion. D’où l’intérêt pour Julius Von Bismarck d’occuper les places publiques et monuments multi-photographiés, les sièges de grands évènements et conférences de presse. A Pékin, il recouvre le gigantesque visage de Mao d’une colombe de la paix. Quand les badauds post-visionnent le résultat de leurs propres clichés sur l’écran de leur appareil photo numérique, le hacking se fait jour et déstabilise le plus souvent le photographe amateur qui ne s’explique pas cette ingérence. Une intrusion à la fois poétique et politique qui ramène la simple définition d’art cyber aux calendes grecques de la mémoire électronique.

Démonstration en images du procédé au Checkpoint Charlie à Berlin :



Son et lumière

Car oui, il faut le dire, le cyber art, c’est déjà vieux. Tout ce qui est exposé là aurait pu l’être il y a 5 ans. Certes on n’échappe pas à la monstration technologique up to date, telle la déjà redondante « Reactable », des luthiers électroniques hispano-autrichiens Sergi Jordà, Martin Kaltenbrunner, Günter Geiger et Marcos Alonso, qui séduit par son immédiate interactivité ludico-sonore. Cette interface multipoint sur laquelle on déplace des cubes et palets afin de créer des combinaisons rythmique et mélodique régalait il y a peu les spectateurs de la dernière tournée de Björk. A cela, on peut préférer le low-tech, voire le no-tech… « Optical Tone » du Japonais Tsutomu Mutoh et ses lampes culbutos qui déclinent plusieurs teintes de lumière quand on les bascule. Ce n’est pas plus cyber art qu’un luminaire de chez Ikea, mais c’est plus beau. « Samplingplong » de l’Allemand Jörg Niehage, ou quand le clic fait « plong, bam, wizz » et autres bricoles sonores, à la façon d’un Comic Strip dont vous êtes le héros : pointez votre souris vers de petits objets, ils s’animent (à écouter et à voir en vidéo ici).

Fumez, on vous dit !

Enfin, et l’info est de taille, aux « CyberArts 08 », on peut fumer ! Certes l’Autriche autorise encore la cigarette dans les lieux publics, mais qu’ici dans un espace muséal, il soit expressément demander de fumer sous une installation et de cracher la fumée en son centre pour l’animer tient du pur plaisir revanchard du fumeur compulsif que je suis. On doit ce geste au duo HeHe (dont poptronics a déjà beaucoup parlé) des artistes Heiko Hansen et Helen Evans, respectivement germanique et britannique, mais résidents depuis 2000 à Paris. Avec leur dernier projet environnemental « Pollstream » (Nuage Vert), ils illuminent le nuage de vapeur émis par une centrale électrique à Helsinki, et s’inscrivent ainsi dans la suite du « Champs d’Ozone » produit en 2007 pour l’expo « Air de Paris » à Beaubourg, et proposé ici dans la foulée… On sera content d’y retourner, et même pas forcément pour allumer une clopinette.

jean-philippe renoult 

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