Première étape coréenne du tour du monde de l’art et des jeux vidéo d’Isabelle Arvers, une aventure pour fêter ses vingt ans de commissariat et de création dans l’art des jeux vidéo. Poptronics a demandé à la globe-game-trotteuse de nous envoyer régulièrement de ses nouvelles.
Sur les traces de l’alphabet coréen, créé par l’empereur Sejong. © Isabelle Arvers
< 09'07'19 >
Mon tour du monde art et jeu vidéo, par Isabelle Arvers (1)

C’est parti pour le tour du monde de l’art et des jeux vidéo d’Isabelle Arvers. Hors des sentiers battus américains et européens, cette activiste qui depuis vingt ans défriche et accompagne les jeux vidéo côté art a décidé d’aller dans une quinzaine de pays, de l’Asie à l’Afrique au Moyen-Orient jusqu’en Amérique latine, à la rencontre d’artistes du numérique, de développeurs.ses indépendant.e.s. Pour construire un projet sur la diversité du jeu vidéo et mettre en lumière les femmes du secteur.

Forcément, Poptronics ne pouvait que soutenir la globe-game-trotteuse et lui a demandé de nous envoyer régulièrement de ses nouvelles. Sa première chronique est coréenne, entre méditation, soupe d’algues et scène queer.

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Première étape de mon tour du monde art et jeu vidéo en Corée du Sud avec une arrivée à Séoul au petit matin. J’aime tout de suite le quartier d’Insa-dong, entre ses tours immenses et ses maisons traditionnelles. Mon hôtel est proche du quartier traditionnel de Bukchon, que je découvre avec l’artiste franco-coréen Yohan Han. Le temple Jogyesa, borné d’eau et de lanternes de toutes les couleurs, est l’un des plus anciens de Corée. Je tombe sous le charme du calme qui en émane.

Yohan, à Séoul pour coordonner le colloque « Médias situés et mobilités partagées » me donne quelques clés sur la Corée : la pollution qui vient à 30% de la Chine, cette statue, sur un des plus grands axes de Séoul, de l’empereur Sejong, celui qui a créé l’alphabet coréen, le hangeul et ses deux sortes de caractères (un peu comme le katagana et l’hiragana japonais).

L’Univers, la Terre et l’humain dans un alphabet

Cet alphabet a été imaginé pour démocratiser l’accès de tous et de toutes à l’écriture et à la lecture. Auparavant, seuls les idéogrammes chinois étaient utilisés. Je tombe littéralement amoureuse de sa géométrie faite de lignes, de ronds et de carrés. Cet alphabet, carré et rond (kareron ? ça me rappelle quelque chose...) influencerait-il la manière dont pensent les Coréens ? Je poserai souvent cette question, pour finalement obtenir une réponse de Nine lors d’une belle rencontre avec le collectif Tacit Group : « Ce n’est pas l’alphabet qui influence la manière dont on pense, c’est la manière de penser qui influence l’alphabet. Quand l’empereur Sejong l’a imaginé, il a souhaité réunir l’Univers, la Terre et l’être humain. ». Lorsque je découvre leur performance pendant ISEA 2019, la rencontre internationale d’art électronique qui se tient cette année en Corée, à Gwangju, c’est la partie dédiée à l’alphabet qui me fascine le plus.

Extrait de la performance de Tacit Group, ISEA 2019 :

Tacit Group est l’un des seuls collectifs d’artistes coréens à travailler autour de la question du jeu vidéo. Quand je leur demande pourquoi ils utilisent « Tetris » ou « Pac Man », ils disent s’intéresser au jeu vidéo comme « système ». Leurs performances consistent à jouer sur scène de la musique conçue à partir d’algorithmes qui empruntent à chaque fois un système différent. Parfois ils jouent à « Tetris », les sons correspondant aux formes des tetrimonos, longs, courts, espace vide, etc. Ils procèdent de la même manière pour la partie alphabétique de leur performance, m’expliquent-ils, puisque le système de l’alphabet coréen en trois parties correspond aussi au parcours du souffle, depuis la fréquence fondamentale émise au niveau de la glotte, à la forme que fait la bouche pour prononcer le son et à l’influence de la langue et de la fermeture de la bouche pour déterminer le son… Avant chaque performance, le système de composition sonore est affiché à l’écran.

Ma fascination pour l’alphabet coréen grandit tout au long de mon séjour en Corée. Lorsque je vais présenter mon travail sur la relation art et jeu vidéo à la fondation pour les arts et la culture de Séoul (SFAC, Seoul Foundation For Arts and Culture), Jin Young, la femme de Yohan, m’apprend même la composition d’un mot : WOR – K – SHOP – ROOM.

Frénésie VS méditation

La Corée vit dans une frénésie permanente. Ici tout va vite et tout le monde se dépêche pour ne pas faire attendre. Pas étonnant que le contrepoint de cette agitation, la méditation, m’attire aussi immédiatement. Je découvre cette idée de prière répétitive et de sortir de son corps par la méditation au travers de plusieurs travaux d’artistes. Yohan Han me présente « Thread », une danse participative sur le principe de la flashmob jouée au Centre Pompidou en 2017, où tout un chacun est libre d’apprendre la chorégraphie et de rentrer dans une danse répétitive, qui amène à une sorte de transe et permet de sortir de son corps de se dédoubler. Je comprends d’autant mieux cet aspect de son travail quand j’observe une femme prier dans le temple Jogyesa. La répétition de mouvements : se courber, puis se relever et recommencer… L’art spirituel… Un art imprégné de toute une philosophie et d’une pratique de la méditation.

« Thread », Yohan Han, performance au Museum Live #5, Centre Pompidou, 2017 :

Un autre espace-temps s’ouvre à moi lorsque je retrouve Daniel Kapelian, que je n’avais pas vu depuis presque 20 ans. Ancien commissaire multimédia à la SACD, plus récemment attaché culturel en Corée, Daniel Kapelian m’accueille au studio OMA Space, dont il est directeur artistique. Il me présente Jang Jiu, artiste et designeuse textile. Les couleurs et les formes minimales des vêtements et des pièces textiles qu’elle crée tiennent de l’œuvre d’art. Un drama coréen est en train d’être tourné dans le jardin. Il y a du monde qui passe et pourtant, de ce lieu se dégage une sérénité. Un moment complètement à part dans ce séjour.


Une pièce de tissu travaillée par Jang Jiu du studio OMA Space. © Isabelle Arvers


Les tissus fermentent dans le sol puis sont teintés selon une technique traditionnelle thaïlandaise. © Isabelle Arvers

Jang Jiu travaille sur la fermentation de ses textiles en les enfouissant sous la terre pendant des mois. Les teintures sont ensuite réalisées de manière traditionnelle dans le nord de la Thaïlande. L’installation interactive et immersive que prépare OMA Space, « Tree of Light », est imprégnée de culture bouddhiste. Le studio vient de remporter un appel d’offre de Google utilisant la technologie de tissu connecté Jacquard by Google. « Tree of Light » est une marche méditative qui tourne autour d’un axe. Le visiteur marche pieds nus sur 108 marches, interagissant ainsi avec l’environnement sonore et lumineux. Sous ses pieds, le contact des premières marches est rude pour aller vers la douceur et passer du son au silence. Une marche circulaire qui vise à plonger le visiteur dans un état méditatif et à se reconnecter avec lui-même. Daniel m’explique alors que les moines tournent 108 fois autour de la Pagode…

« Du féodal au digital »

Cette installation sera présentée à Paris durant la FIAC cette année et j’envie celles et ceux qui pourront vivre cette expérience. Lors de notre discussion, Daniel me parle aussi de leur visite au Japon avec l’équipe de Google chez un maître japonais créateur de kimonos depuis près de 103 générations pour qui chaque génération a su utiliser la R&D pour se renouveler et tenir aussi longtemps. Le maître utilise lui-même à présent des techniques de tissu connecté. J’entends alors pour la première fois l’expression « passer du féodal au digital », qui me reviendra aux oreilles lors d’une belle rencontre avec l’artiste Yaloo à Gwangju.

L’art de la soupe d’algue

Gwangju qui signifie cité de la lumière est la ville au Sud-Ouest de la Corée qui accueille cette année le symposium international d’ISEA. Dans le métro pour m’y rendre animer un atelier « Games as Lights and Colors on Canvas », une jeune femme m’aborde en me demandant si je suis artiste. Puis, voyant mon écran de téléphone : « Oh Yohan Han, c’est mon ami, tu le connais ? » Je cherche en effet à contacter Yohan, mais c’est un homonyme… lui aussi artiste à Séoul. Nous engageons la discussion. Yaloo est artiste. Partie de Corée pour faire ses études à Chicago, elle a fait de nombreuses résidences qui lui ont permis de découvrir une autre manière d’appréhender le travail artistique, grâce à la rencontre avec différentes communautés plus ou moins éloignées du monde de l’art. Entre autres à Fukuoka au Japon, avec son projet « Sea Weed Soup Garden », adapté à ISEA. A l’intérieur de l’exposition « Food Hack » pensée par ACT Festival en collaboration avec ISEA, elle a réalisé une installation de mapping en VR projetée sur un visage qui semble nous sourire. Lorsqu’on se plonge dans sa « soupe d’algues », celles-ci dansent autour de nous sur une chorégraphie de K-Pop qui invite à bouger et à se plonger dans les bienfaits des algues.

« Sea Weed Soup », Yaloo, ISEA 2019 (extrait) :

La soupe d’algues est une très ancienne tradition coréenne, m’explique Yaloo. Les femmes en boivent après un accouchement ou en consomment pour adoucir les effets du cycle menstruel. C’est aussi de tradition pour fêter les anniversaires. Les algues faciliteraient la circulation du sang et la digestion, elles sont un puissant détoxifiant. Il y a dans la soupe d’algues des notions de régénération et de passage liées à la féminité, ajoute Yaloo.

C’est en résidence à la Fukuoka Mojiko Art Platform au Japon, que Yaloo découvre que la soupe d’algues fait aussi partie intégrante de la culture traditionnelle japonaise. Elle est même invitée à un festival dédié uniquement à la soupe d’algues ! Grâce à Yaloo, je rencontre toute l’équipe qui l’a accueillie et lors d’un repas traditionnel fastueux, je ressens un esprit de famille extrêmement chaleureux, auquel je suis heureuse d’être intégrée.

« Techno-orientalisme »

C’est Yaloo qui me reparle de passer du féodal au digital lorsque je lui demande de préciser ce qu’elle entend par « techno-orientalisme » lors d’une discussion au sujet de la place de la femme dans les technologies en Corée. Ayant fait des études aux Etats-Unis, m’explique-t-elle, sa position est mieux acceptée ici, car le fait de maîtriser des technologies (ou plutôt de les pirater, de les détourner comme elle le fait souvent) est respecté. La technologie est le moyen pour l’Asie de rattraper et même de devancer l’autre versant du monde.

« Je suis ce que je suis en te rencontrant »

Après le dîner « franco-coréen-japonais-taïwanais », nous allons boire du Makgeolli, vin de riz fermenté coréen sur le Sky Garden qui surplombe le centre culturel d’Asie (ACC, Asia Culture Center) qui accueille la 19ème édition d’ISEA. Ce lieu a toute une histoire. Il est construit en mémoire du massacre des étudiants et des syndicalistes de mai 1980 qui s’y est déroulé, après que l’armée a assiégé la ville. Cette révolte étudiante et syndicale est restée gravée dans les mémoires, des milliers de personnes sont décédées, Gwangju représente pour tou.te.s le lieu de la révolution. Cette ville du sud, délaissée par le pays, me rappelle Gafsa, où est né mon père en Tunisie. La plupart des révoltes viennent aussi de Gafsa car c’est une région pauvre, dans laquelle l’Etat n’investit pas, où le tourisme ne passe pas…


Yeondoo Jung sur le Sky Garden. © Isabelle Arvers

Ce soir-là, nous buvons sous le ciel et c’est Yeondoo Jung qui me raconte cette histoire et aussi d’autres révoltes au Japon ou à Hong Kong. Son travail, d’une délicatesse infinie, a été présenté en France en 2016 au MAC VAL. Il travaille en photo et vidéo sur la rencontre avec des communautés, des personnes, des histoires. En ce moment, me dit-il, il travaille sur trois histoires parallèles et sur la mémoire des événements, dont cette mère qui a perdu son fils pendant le massacre à Gwangju et qui pendant plus de trente ans a continué à chercher son corps. Celui qu’on lui avait montré avait la tête arrachée par une balle et elle ne voulait pas le reconnaître. Ce que dit alors Yeondoo Jung me touche beaucoup. Dans son travail, il s’efface beaucoup et lorsque ma voisine le lui fait remarquer, il lui répond : « On ne se connaît soi-même qu’en regardant dans un miroir, je suis ce que je suis en te rencontrant. » Encore maintenant en l’écrivant, je suis émue car j’entends là la définition de mon voyage autour du monde. Se connaître par la rencontre avec d’autres êtres, individualités, différences.

C’est encore grâce à Yaloo que je rencontre Suh, une activiste du graffiti, comme me la présente Yaloo. Pour elles, je suis une « ancêtre du graffiti », car mes premières sorties pour aller taguer à Paris remontent à 1988, quand Suh n’avait qu’un an ! Je découvre alors la première conservatrice du graffiti de ma vie. Suh, qui elle aussi a vécu aux Etats-Unis et a beaucoup graffé là-bas, m’explique qu’elle a obtenu une bourse pour travailler sur la conservation du graffiti comme mémoire d’une époque et d’une activité qui s’efface. Elle me montre un graffiti réalisé avec son copain de l’époque en 2014 sur l’immeuble Jeonil qui fait face à ACC. Cet immeuble représente encore aujourd’hui la mémoire du massacre étudiant et syndicaliste de mai 1980. Leurs graffs « Love » et « Life » peints à la verticale sont un hommage au passé. Suh est à présent à Hong Kong pour documenter les graffitis en lien avec les manifestations étudiantes actuelles afin de conserver ce qui sera peut-être amené à disparaître.


« Love » et « Life », graffitis de 2014, hommage aux victimes de la répression policière de 1980. © Suh

La fête d’ISEA qui suit cette rencontre me permet de découvrir le travail de Sanglim Han. Entre deux Margaritas (des Mexicains, des Brésiliens et des Espagnols sont dans la place…) et alors que j’explique être en quête de jeux féministes, Sanglim Han me montre « Primal Nest », un de ses projets réalisés à l’université de Los Angeles en 2014 pour le UCLA Game Lab Festival (auquel j’ai moi-même collaboré en 2015 et 2017). « Primal Nest » est un jeu vidéo 3D expérimental dans lequel le participant peut naviguer dans le paysage virtuel à travers une perspective inter-vaginale. L’intérieur est un ventre féminin, le nid primal de l’humanité, imaginé et construit avec des jambes, des bras, des mains, des doigts et des orteils désincarnés. « En tant qu’étrangère (une femme asiatique aux États-Unis), la question qu’on m’a le plus fréquemment posée est "D’où venez-vous ?" - la réponse à cette question pour moi n’est pas ma nationalité mais "le ventre de ma mère". (Est-ce que tout le monde ne vient pas du ventre de sa mère ?) » Je découvre alors ses œuvres dans lesquelles des navigations 3D nous font entrer à l’intérieur de nos corps désincarnés où, à l’échelle microscopique, les cellules microbiennes représentent plus de 90%, un voyage inter-espèces au fin fond de nous-mêmes…

Ecosystème de corps partagés

En particulier, sa dernière installation, « An Unending Meal », attire mon attention : « Je suis fascinée par le fait que le corps humain contient dix fois plus de cellules microbiennes non humaines que de cellules microbiennes humaines. Je découvre le corps humain comme un écosystème plein d’enchevêtrements entre espèces. Cette perspective dissèque les catégories socialement construites de notre corps, telles que la couleur de la peau, le sexe ou l’indice d’obésité, qui déterminaient auparavant les identités individuelles. Quelle est cette surface que nous partageons avec les autres ? Les corps partagés brouillent les frontières du domaine privé. La migration constante des micro-organismes peut nous rapprocher ou nous séparer. Je collectionne et documente ces repas sans fin et construis un écosystème numérique sur le lieu de l’exposition. Les micro-organismes recueillis auprès de moi-même, des autres ou quelque part entre eux évoluent en images agrandies et en animations 3D. Réinterprétés sous forme de vidéos interactives et de jeux expérimentaux, les souvenirs et les conversations sur l’expérience partagée de la tactilité créent de nouveaux récits. Le corps, les relations, la culture et l’intimité se croisent dans la physiologie de l’écosystème virtuel. »

« Unending Meals », Sanglim Han, 2018 :

Le lendemain, je dois interviewer Ruin, à la Korea Queer Archive. Ruin ne parle pas anglais et je n’ai pas trouvé de traducteur. Sanglim propose de s’en occuper depuis Gwangju, via Wathsapp. C’est une des interviews les plus épiques que je réalise en Corée, avec sur la table, entre Ruin et moi, mon micro Zoom sur pied, accolé à mon téléphone, sur trépied selfie lui aussi, enregistrant la traduction en anglais que me fait Sanglim des paroles de Ruin…

Foucault et Althusser en émissaires

Une rencontre magique, fruit du hasard ou du destin – selon ce que l’on croit. Avant mon arrivée à Séoul, j’avais désespérément tenté de contacter la Korea Queer Archive mais mes messages en anglais étaient restés sans réponse… Une après-midi, au sortir de mon entrevue avec Tacit Group, je me promène dans un quartier près du marché de Mangwon, en pleine gentrification, quand soudain, une affiche retient mon attention : Michel Foucault. Je me retourne et en vois une autre de Louis Althusser que je prends alors en photo. Une personne sort de l’immeuble et m’invite à y pénétrer. Il s’agit d’une librairie-café philosophique qui propose aussi des lectures et rencontres. Il existe un coin « caché », avec une très belle collection de livres queer et féministes ! J’explique alors mon tour du monde axé sur les pratiques queer féministes et décoloniales et j’apprends que le soir-même se tient une rencontre sur ces questions. J’y retourne avec Yohan Han et fais la connaissance de Ruin, étudiante en doctorat sur les questions de genre et d’identité trans et responsable de la Korea Queer Archive…


Affiche de la Korea Queer Archive. © Isabelle Arvers

La difficile émancipation queer coréenne

Avec Ruin, je découvre l’histoire du mouvement queer en Corée, l’histoire des luttes pour la libre détermination de l’orientation sexuelle et la violence symbolique mais perpétuelle du contrôle de la société sur les personnes, dans la famille, dans le travail. Cacher son identité pour pouvoir garder son travail, avoir deux vies, celle avec sa communauté et celle camouflée au sein d’une société de contrôle. La dictature est au Nord mais profondément ancrée dans les esprits. De même l’image de la femme, qui doit être belle, attractive, porter des jupes. Quant aux hommes, aucune féminisation n’est permise sous peine de perdre son travail. Pour changer d’identité dans le cadre d’une transition, en plus d’un certificat médical et d’un certificat psy, il faut aussi l’accord des deux parents. Cet entretien vient confirmer les dires des Famerz, un groupe de joueuses féministes que j’ai interviewées pour la magazine « Usbek et Rica ».

Entrevue grâce à laquelle je découvre les jeux féministes de redMinS, unique développeuse de jeux indépendants au contenu féministe connue à ce jour en Corée… En effet, lorsque je demande aux Famerz si le sexisme ambiant dans le monde des jeux en ligne ne les incite pas plutôt à développer elles-mêmes leurs titres ou à jouer plutôt à des jeux indépendants, elles me parlent de « 2048 Muug Let’s Stir Tea », dans lequel le joueur découvre des histoires de misogynie quotidienne. Via Twitter, redMinS m’explique qu’elle travaillait auparavant dans l’industrie du jeu vidéo et qu’après s’être plainte auprès de ses collègues de la misogynie ambiante et s’être fait rabrouée, elle s’est sentie isolée, attaquée et a décidé de créer son studio indépendant. Afin de créer des jeux pour élever les consciences et promouvoir l’égalité des sexes. Son dernier opus, « Planète Adventure X » , un monde où tout système patriarcal a disparu, vient d’ailleurs d’être entièrement financé grâce à une campagne de financement participatif.

« Planète Adventure X », redMinS, gameplay, 2019 :

Je rencontre trois autres développeuses de jeu vidéo à Séoul. La première, Yun Jeoung Kim, a participé à plusieurs gamejam dont une consacrée au game art. Ella a co-élaboré « Sunshine » et « I must survive » sur les relations entre Corée du Nord et Corée du Sud. Nous y jouons sur son téléphone portable et je manque à peine de rater ma station de métro.

Survivre en jouant la rencontre

Au studio de jeu indépendant Gambridzy, spécialisé dans la conception de jeux à fort impact social, je rencontre Hyun Cho, game designeuse de « The Wednesday » qui traite des « femmes de réconfort », ces quelque 200000 adolescentes capturées par les Japonais entre 1931 et 1945 et prostituées de force dans des camps militaires. Hyun Cho, qui conçoit aussi des jeux et des expériences de réalité virtuelle, vient d’être diplômée de la Korea National University of Art, avec le VR Game « Stranger than fiction » qui nous plonge dans l’histoire du cinéma. Elle a aussi conçu « Game over and over », jeu de plateforme dont le personnage principal se suicide encore et encore, tant que nous ne savons pas encore bien jouer. Son jeu VR « Wallflower » fait partie d’une exposition à voir jusqu’en septembre à la Nikolaj Kunsthalle de Copenhague, « The way a hare transforms into a tortoise ». Un jeu dans lequel on ne peut survivre qu’en rentrant en contact avec les autres, la relation à l’autre constituant ce qui nous permet d’être au monde.


« Wallflower » de la game designeuse coréenne Hyun Cho est présenté cet été à Copenhague. © DR

J’apprends par des membres de Tacit Group qui animent des ateliers de game art à l’université dans le cadre de Art Collider, que son jeu « Game over and over » a été réalisé au cours de l’un de leurs ateliers. C’est aussi dans le cadre de la présentation de travaux d’étudiants de la KAIST University à la très sympathique galerie Place Mak que je visite une des toutes premières expositions de game art en Corée. « Salle de jeux » présente plusieurs jeux artistiques dont certains retiennent particulièrement mon attention : « Slice Ninja » conçu par Seonghyeon Kim est un jeu dans lequel une caméra capture notre visage pour que nous puissions ensuite découper et trancher à loisir dans le vif de notre visage, de façon assez jouissive je dois dire. Une manière de faire réfléchir à la violence dans les jeux vidéo.


« Slice Ninja » de Seonghyeon Kim, un des jeux présentés à la galerie galerie Place Mak. © DR

Un autre jeu attire aussi mon attention. Une projection vidéo qui ressemble a un ciel étoilé mais qui représente en fait une pluie de poussière. Dans « Dust Pong » conçu par Dasol Hong, chaque particule de poussière est en fait une balle du jeu « Pong », revisité pour provoquer une sensation d’ennui et faire réfléchir. En effet, une seule de ces particules de poussière est interactive, le son provoqué est d’ailleurs un long bâillement. Tout le travail de Dasol Hong tourne autour de l’attente, la patience. Elle souhaite que les gens prennent le temps de la découverte sans que tout leur soit expliqué d’emblée pour les pousser à se poser la question de la signification de l’attente. A méditer !

A bientôt pour une prochaine étape à Taïwan et en Indonésie !!

isabelle arvers 

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