14ème festival Gamerz, du 8 novembre au 15 décembre 2018, à Aix-en-Provence et Marseille.

« Digital Défiance », exposition à la Fondation Vasarely ; workshops à l’École supérieure d’art et à la Cité du livre, Aix-en-Provence, jusqu’au 18 novembre.

« Master/Slave », exposition monographique de Quentin Destieu, galerie des Grands bains douches de la Plaine, Marseille, jusqu’au 15 décembre.

http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

« Maraboutage 3D » (2017, détail) de Quentin Destieu, dans l’exposition « Master/Slave » qui lui est consacrée à Marseille. © Sarah Taurinya
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Le festival Gamerz ouvre les boîtes noires (et nos yeux)

Aix-en-Provence, Marseille, envoyée spéciale (texte et photos)

L’union (re)fait la force... La quatorzième édition de Gamerz marque un tournant dans l’histoire du festival aixois (dont Poptronics est un fidèle partenaire...). Face aux restrictions budgétaires (l’association est passée de cinq salariés à deux…), Quentin et Paul Destieu ont misé sur l’alliance des forces vives en coproduisant l’événement avec d’autres structures culturelles défricheuses de la région Paca, OTTO-Prod, Diffusing Digital Art et Art-Cade. Une coprod qui fait passerelle avec Marseille, Art-Cade, la galerie des Grands bains douches de la Plaine, accueillant l’exposition monographique de Quentin Destieu.

Un pied à Marseille donc, et un autre à Aix-en-Provence, à la Fondation Vasarely où se tient l’exposition « Digital Défiance », tandis qu’à l’École supérieure d’art et à la bibliothèque Méjanes sont organisés des workshops où il est question d’automédia (le 23/11, en partenariat avec le festival Databit.me d’Arles) et de création de jeux vidéo indés (les 13, 20, 27/11, et 4 et 11/12). Sans oublier performances et conférence

Si Gamerz propose une édition 2018 resserrée, celle-ci reste fidèle à ses fondamentaux : porter un regard critique sur les technologies via la réappropriation et le détournement.

Sous les capots

Gamerz, qui n’a jamais versé dans l’apologie de l’innovation, invite à la défiance... Méfions-nous des usages automatisés que nous avons des boîtes lisses que sont nos smartphones et ordinateurs, semblent dire les installations, vidéos et pièces d’artistes présentées dans « Digital Défiance », à la Fondation Vasarely.

Ces boîtes noires sont mises en perspective par la « Borne » d’eRikm. Cet objet noir, compact, dont les extrémités ressemblent à des écouteurs et qui semble de facture ancienne, délivre par intermittence des messages incompréhensibles. Son sous-titre, « Code sacré », renvoie à une liturgie dont le sens reste caché. Quel territoire délimite cette borne ? Serait-ce celui de notre ignorance du langage de la machine qui laisse le champ libre aux industriels ?


« Borne », l’installation sonore énigmatique d’eRikm (2018).

Caroline Delieutraz invite à creuser l’imagerie issue de ces boîtes noires. Elle le fait littéralement en superposant plusieurs puzzles, dont les pièces manquantes laissent apparaître différentes visions (satellite, schéma, photographique, zoom, artistique, amateur) d’un même objet. À l’instar des sept épaisseurs en bois de puzzles superposés de sa tour de Babel, on peut se demander si ces différents langages visuels et leur surabondance concourent à une meilleure compréhension de notre histoire passée et présente ou à l’éclatement de nos repères. Caroline Delieutraz redonne une épaisseur à ces représentations fragmentées et invite à renouer avec le temps du regard.


« Sans Titre (La Tour de Babel) », Caroline Delieutraz (2013).

C’est aussi à une recomposition du territoire qu’invite Géraud Soulhiol. Des captations de Google Earth prennent la forme de continents imaginaires, dont les gros plans sont dessinés ou peints à la main sur des assiettes. Une forme d’hommage aux monstres délirants qui parsemaient les premières cartes du monde et en donnaient une vision assez éloignée de la réalité. L’artiste oppose à la volonté de quadrillage géographique une expérience sensible du terrain, qui passe par la main.


« Territoires recomposés », Géraud Soulhiol (2018).

Ce savoir-faire, ce retour à l’artisanat, on le retrouve dans la « Salle de brouillage » de Julien Clauss, qui aligne patiemment, avec Emma Loriaut, les émetteurs FM faits main pour occuper entièrement l’espace des fréquences radio. Lors de sa performance durant le vernissage, le 10 novembre, Julien Clauss se transforme en opérateur attentif aux signaux, redistribuant les sons transmis par chaque émetteur. Les ondes sont aussi un territoire à occuper.


Les visiteurs de la « Salle de brouillage » de Julien Clauss (2018) cherchent à capter les ondes, postes radio en main.

Décortiquer les boîtes noires pour mieux s’en libérer, c’est ce que propose le Néerlandais Harm van den Dorpel dans ses vidéos « Résurrections » (2018). Une façon de délivrer de la pesanteur les corps échoués sur les réseaux.

« Résurrections », Harm van den Dorpel (2018) :

Expérimenter, faire soi-même, détourner, ces propositions éminemment politiques traversent la programmation de Gamerz depuis ses débuts tout comme l’œuvre de son directeur, l’artiste Quentin Destieu, à laquelle est consacrée l’exposition marseillaise « Master/Slave ».

Artisans du réel

Réunies pour la première fois, les différentes pièces (dont certaines réalisées au sein du collectif Dardex) résonnent d’une façon nouvelle. Elles réinventent une archéologie des médias : le premier (et dernier) processeur dessiné par la main de l’homme gît dans un sarcophage, les restes d’ordinateurs sont transformés en armes primitives, les têtes de Bre Pettis, l’inventeur auto-proclamé de l’imprimante 3D (la MakerBot), martyrisées par les bugs du programme, surplombent des corps inertes…


Avec « À cœur ouvert » (2017), Quentin Destieu revisite l’histoire des micro-processeurs.

Pour chaque œuvre, l’artiste a acquis le savoir technologique qu’il met en question. Ce temps long de l’apprentissage s’oppose à la vitesse des machines dans une mise en scène muséale figée dont l’humour dadaïste révèle en filigrane la fiction.

« Machine 2 Fish », Quentin Destieu et Sylvain Huguet, (2016) :

À l’instar de ce poisson qui tente d’étendre les limites de son bocal sur sa prothèse robotique à roulettes, il s’agit de remettre en question les usages technologiques qu’on nous impose pour en inventer de nouveaux, plus proches de notre nature humaine. Des us et coutumes fantasques, rêveurs, poétiques, drôles… On peut compter sur l’esprit frondeur du festival Gamerz pour nous le rappeler : nous sommes les artisans de notre réalité.

Sarah Taurinya 

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