L’art sonore est-il un art écolo ? Abstract de l’enquête publiée dans « MCD l’Internet voit vert », réalisée par Jean-Philippe Renoult, artiste sonore et journaliste, qui vient éclairer la très longue discussion entre field recordists, à lire dans la rubrique pop’etc.
Au Jardin d’Alice, lors du premier festival Parisonic, en mai 2010, les cuicuis des oiseaux sénégalais faisaient écho aux chants des titis parisiens. © Pureprésence Parisonic 2010, photo Catherine Cocat
< 27'02'12 >
L’art qui sonne vert

L’art sonore est-il vert ? Les artistes du field recording arpentent l’environnement micro en bandoulière, à la manière de photographes naturalistes. Jean-Philippe Renoult, lui-même artiste sonore mais aussi journaliste, a réalisé une enquête pour « MCD l’Internet voit vert »), magazine dont Poptronics avait la responsabilité éditoriale. En voici un résumé, qui accompagne la très longue discussion entre praticiens du field recording dont nous vous proposons le meilleur dans la rubrique pop’etc.

« Sven Langhens enregistre le bruit de mastication d’un escargot sur une feuille de salade. Pour cela, il élabore un dispositif indoor à l’abri du bruit ambiant et entreprend de restituer ce son à 300 fois son volume d’origine. C’est la spécialité peu commune de l’artiste contemporain Sven Langhens qui emprunte aux techniques bioacoustiques la matière de son œuvre. » Cette noble pratique fait de l’artiste danois une valeur prisée de l’art contemporain... Mais voilà, Sven Langhens n’existe pas ! Il n’est que le protagoniste inventé par Bertrand De La Peine, dans son court roman « Bande-Son » (éditions de Minuit, 2011). Que la bioacoustique pensée comme matière artistique inspire la littérature montre un intérêt neuf pour le son enregistré.

Quand, rattrapé par ma double casquette d’artiste-journaliste, j’ai été invité à écrire sur la pratique « verte » du field recording, j’ai réalisé à quel point le sujet était sans fin. Et décidé d’échanger avec d’autres praticiens qui eux aussi utilisent les microphones comme le peintre ses pinceaux. D’autres savoir-faire sonores existent, que se partagent les naturalistes professionnels, les bioacousticiens qui s’intéressent aux sons d’origine animale, les biophoniciens qui fixent les sons de la nature (hors animaliers), les chasseurs de sons, les documentaristes méticuleux qui observent la faune et les paysages sonores de tous les écosystèmes du globe... Les artistes du field recording partagent un goût pour le détournement et élèvent la prise de son en discipline d’art. L’enregistrement de terrain devient entre leurs mains un matériau pour des installations, des créations radiophoniques, des compositions électroacoustiques.

Héritiers déviants de la musique concrète
Certes, le phénomène n’est pas nouveau, si l’on considère l’héritage de la musique concrète. Mais Pierre Schaeffer et ses disciples ont peu utilisé de sons naturels enregistrés outdoor. C’est plutôt le dehors qu’on mettait in situ dans les très riches studios de l’ORTF. Seul le compositeur Luc Ferrari se risquera à sortir micro au poing et magnétophone à bandes à l’épaule afin de capter les sons du commun. Les sons du vulgaire, diront certains, dénonçant chez Ferrari une posture quasi hérétique au regard de l’orthodoxie acousmatique française d’alors... Trop tard, le mal était fait. Le micro pouvait prendre les sons de la boue... et il aimait ça.

Le terrain contre le studio Le field recording, au sens de l’enregistrement de terrain et d’ambiances sonores, s’oppose donc à l’enregistrement de studio. Si l’on considère tout ce qui peut s’enregistrer au-delà de la porte d’un studio, on mesurera l’ampleur du domaine. Le field recording ne va pas seulement aux champs, mais aussi aux architectures, à l’urbain, à l’humain... Fait unique dans l’histoire des pratiques instrumentales, ici, l’écoute précède la production du son. L’écoutant doit dompter le paysage acoustique qu’il enregistre. S’accorder avec lui.

Écologie acoustique

Le terme d’écologie sonore, l’étude de la relation entre les organismes vivants et leur environnement sonore, est inventé au milieu des années 1970 par le Canadien R. Murray Schafer. On lui doit aussi d’avoir introduit la notion d’environnement dans le cadre du son et de la musique, en forgeant le mot « soundscape » (paysage sonore). Au travers d’exercices pédagogiques simples, R. M. Schafer a montré que deux individus distincts entendront des sonorités différentes d’un même paysage en fonction de leur culture. Alors que ces même individus s’accorderont à voir quasiment le même paysage visuel sitôt les yeux ouverts.

Chasseurs de sons Les chasseurs de sons ont initié la discipline dite de la « phonographie » (Charles Cros, inventeur du phonographe, avait créé à la fin du XIXe siècle ce néologisme, en réponse au portrait photographique). Aujourd’hui, « le couple microphone-enregistreur est un outil poétique qui se manipule de la même façon qu’un chef-op’ cinéma va travailler sa lumière, choisir ses optiques, et aborder un cadre pour le travailler », dit Rodolphe Alexis, qui dédie l’essentiel de son travail aux prises de sons ornithologiques. Bercé d’électroacoustique, le coéditeur de la revue d’arts sonores « Vibrö » ajoute : « C’est de la prise de vue, vue de l’oreille. »

Le son, dès qu’il est fixé sur un support, n’est plus dans un paysage. Mieux encore, il en crée un autre. Pour « Dakar Morning Birds », DinahBird et moi avons enregistré un long plan-séquence dans le jardin clos de la villa qui nous accueillait au Sénégal. Il s’agissait de capter l’éveil de Dakar au petit jour, rythmé par un curieux oiseau chef d’orchestre aux ponctuations rythmiques stupéfiantes de régularité. L’intérêt n’est pas tant les particularités locales des espèces que l’exposition graduelle d’un écosystème entier dans notre petit jardin clos, véritable écrin à sons doté d’une identité acoustique qui nous plaît beaucoup. L’œuvre ne procède quasiment pas du montage (1h30 réduite à 50mn de sons fixés), ni de manipulations électroniques ou même de recomposition. Mais la seule diffusion de cet enregistrement dans un autre jardin à ciel ouvert, lors du festival Parisonic, en mai 2010, en change non seulement la perception, mais aussi le sens phonographique premier. L’écosystème enregistré à Dakar rencontre celui du Jardin d’Alice, oasis de vert entre quatre murs de béton à proximité de la porte de la Chapelle à Paris. À cette occasion, les oiseaux parisiens se sont montrés très bavards, comme si les oiseaux sénégalais faisaient chanter les titis siffleurs sur d’autres tons et registres qu’à l’accoutumée.

(Parisonic au Jardin d’Alice en 2010 avait fait l’objet d’une édition de Popsonics, la webradio de Poptronics, à ré-écouter ici).

jean-philippe renoult 

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