Le Spectacle du quotidien, dixième édition de la Biennale d’art contemporain de Lyon, du 16/09/09 au 03/01/10 (fermé le 25/12 et le 1/01/10, du ma. au dim., 12h-19h, ven. 12h-22h, à La Sucrière (Les Docks, 47-49 quai Rambaud), au Musée d’Art Contemporain (Cité Internationale, 81 quai Charles de Gaulle), à la Fondation Bullukian, 26 place Bellecour, à l’Entrepôt Bichat, 5 rue Bichat, Lyon. Entrée : 6€-12€.
D’entrée, la Biennale affiche un genre politique, avec cette vidéo de Sylvie Blocher, "A more perfect day" (2009), autour de la figure d’Obama. © Sylvie Blocher
< 17'09'09 >
Biennale de Lyon, l’anti-Venise

(Lyon, envoyée spéciale)
Plus subtile que spectaculaire, la Xe biennale de Lyon ne porte pas si bien que ça son nom : pas plus d’esbroufe que de banalité dans ce « Spectacle du quotidien » qui dévoile plusieurs belles trouvailles. Dans ce projet très lisible porté par le commissaire Hou Hanru, qui met la politique au centre, on trouve beaucoup de vidéos, sans doute le meilleur moyen de traiter des questions d’altérité.

Car « dès qu’on est dans la question de l’altérité, c’est politique », dit l’artiste Sylvie Blocher. Politique en effet, ce travail à trois sur la communauté Rom par Lucy Orta, Maria Papadimitriou, Gabi Scardi qui ont fondé le Temporary Museum Autonomous for All : dans un espace à la fois domestique et ouvert, avec tapis au sol, portraits, livres, objets (une grande robe à fleurs de Lucy Orta) et films, une chaîne hi-fi passe des phrases récitées par des marchands et des camelots : « Je soutiens que ce langage est purement poétique avec des critères anthropologiques », lit-on dans un texte qui accompagne la bande sonore. Une phrase un peu didactique, certes, mais qui résonne avec plusieurs autres œuvres exposées à Lyon.

Parmi les trouvailles mêlant de l’image et du langage justement, la vidéo « A more perfect day » de Sylvie Blocher, située à l’entrée du musée d’art contemporaine de Lyon (le MAC). Sur un immense écran tout en hauteur posé dans les escaliers, un format peu habituel, un homme torse nu chante en anglais sous-titré les paroles du discours de Barack Obama du 18 mars 2008 à Philadelphie, moment fondateur où il s’est présenté comme le « fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Texas ». Montage de différentes phrases, le ton est très à gauche, parlant des files d’attentes aux urgences, de sa grand-mère « raciste » ou des reproches essuyés de n’être « pas assez noir ou trop noir ». Filmé en buste, maquillage mi-blanc mi-mat, l’homme arbore un corps étrange : « Je voulais que ce corps soit ambigu, avec une ligne de démarcation bizarre. Je voulais que ce soit roucoulant, non autoritaire. J’ai dit à David Bichindaritz, qui a mis en musique et qui interprète cette chanson : c’est l’inverse d’un discours politique, abandonne ton corps », dit Sylvie Blocher. Ça roucoule en effet mais les paroles heurtent et tranchent, dans une pièce très juste dont on garde en tête la belle mélodie tout le reste de la visite.

La politique du vivre ensemble
Du langage, il est question un peu partout. Car une grande partie de la biennale se partage entre politique des langues et du vivre ensemble. Comme dans cette photographie de Thierry Fontaine où un homme dont ne voit que les mains lit au dos d’une enveloppe déchirée : « À Paris, quelqu’un m’a demandé si je parlais français. » Dans une vidéo de 2005 intitulée « Veni, veni, veni », Robert Milin a demandé à des paysans filmés regard caméra de parler le langage qu’ils utilisent avec leurs bêtes : longs regards fixes et silences entrecoupés de ces espèces de cris saisissants, entre patois et langue presque animale. Et puis, quelques phrases glanées ici et là au cours de la visite : de Dan Perjovschi, qui investit avec ses « Every day drawings » un mur entier d’ardoise à la craie, on lit : « The spectacle of everyday : plat du jour » ou bien, du groupe « Un nous », dont les affiches sont placardées un peu partout : « Artistes encore un effort »...

On monte d’un ton à la Sucrière, l’entrepôt du Port Rambaud où les arrivages de sucre ont été remplacés par les installations de la biennale. Dans la première salle, Jimmy Durham a placé des caméras de surveillance en haut d’échafaudages tandis qu’un portail de fer noir aux pointes tranchantes claque violemment sur les murs (« Sans titre », 2009) de la jeune Indienne Shilpa Gupta). Percutante aussi, cette série de photographies de 2005-2006 d’Adel Abdessemed, où lui-même se met en scène, entre humanité et animalité, déguisé en gorille passant la bague au doigt à une mariée, ou donne pour titre à un troupeau de sangliers sur un trottoir : « Friends ». Même violence non contenue dans ses vidéos : « Head on » ou « Hot blood » : un personnage hystérique avec dents de vampire qui chante un mélange inaudible de God save the queen et de Marseillaise, ou bien marmonnant cette unique phrase : « I am a terrorist. »

Dérive situ
Planent au-dessus de cette biennale les écrits de Guy Debord. L’un des thèmes revendiqués par Hou Hanru est la « dérive » chère au père du situationniste, avec cette vidéo de Mark Lewis : caméra posée au sol, enregistrant les mouvements d’un homme sans abri dont on ne voit pas le visage, seulement le bas du corps. Ou bien, plus ludiques, les vidéos des Hehe (« My friends all drive Porsches »), démesure par le bas d’une minuscule voiture téléguidée perdue dans les rues de New York, émettant des gaz roses ou verts. L’une des bonnes surprises de cette biennale, aussi, c’est la présence, à plusieurs étages de la Sucrière, des « Chairs events » de George Brecht, qui mettent en exergue la notion fluxus d’« event », événement minimum comme assemblage de deux objets (une chaise et un autre objet). La confrontation est très juste avec les minuscules « Sculptures » de Takahiro Iwasaki composées à partir de serviettes éponges, de marque-pages de livres en tissus dont il a tiré les fils pour construire de toutes petites tours, fragiles, posées sur des tables, ou bien un château sortant d’un sac poubelle. Des assemblages d’objets comme autant d’événements infimes que l’on tire du côté du poétique.

Dans la série « poétique des choses », Eulalia Valldosera présente ses pièces énigmatiques et théâtrales : jeux de projections sur des serviettes suspendues à des fils à linge donnant sur le mur une ligne parfaite ou lumière projetée depuis un landau sur un rail de travelling sur une série de verres emplis à différentes hauteurs d’un liquide rouge. Un beau travail de cinéma dans sa version la plus dépouillée (projection d’ombres). Ou encore cette installation de Pedro Cabrita Reis aux Entrepôts Bichat, « Les dormeurs », où des néons placés un peu partout viennent ponctuer l’espace comme des tirets ou des allumettes en suspension, sans plus altérer l’ancien Arsenal et son état d’abandon, avec ses fils de machines fantômes, ses végétaux qui gagnent les sols et ses feuilles mortes au sol. Comme si ces artistes nous invitaient à ne pas trop déranger ce qui est, mais à changer de focale.

marion daniel 

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