Nicolas Frespech, net-artiste que poptronics aime (et vice-versa), analyse le succès du phénomène Internet du moment, Twitter. Le site de micro-blogging aux 700% de croissance est-il si créatif que les médias le disent ? Lui qui a imaginé dès 2005 un journal d’artiste en flux, les Instants RSS, alerte sur les dangers de dépendance à une marque.
Les imprimantes connectées au babil de Twitter de Christopher Baker dans l’installation "Murmur Study". © Christopher Baker
< 31'07'09 >
Twitter is killing you !

De l’Iran à Michael Jackson, de Barack Obama aux crashs d’avions... les journalistes passent le plus clair de leur temps à citer une marque, j’ai nommé Twitter et en oublient l’info ! « L’immédiateté est le contraire de l’information », rappelle pourtant Paul Virilio… Jamais depuis Facebook, MySpace et YouTube, je n’avais entendu autant de citations d’un produit. La terre entière twitte, la chasse aux scoops et aux informations « temps réel » est ouverte.

Tendance globalisante : équipés de nos mobiles sophistiqués, serions-nous tous photographes, graphistes, vidéastes, journalistes, ici et ailleurs en même temps ? Jusqu’à NKM qui twitte pendant la cérémonie du 14 Juillet… C’est ce qu’on aimerait nous faire croire. Twitter a été lancé en 2006, la vraie nouveauté, c’est l’engouement des médias pour le micro-bloguing, « le » phénomène de société 2009... qui fait bien entendu l’impasse sur son potentiel artistique.

En un an, l’entreprise au taux de croissant à 700% s’est imposée : qui n’a pas son compte Twitter aujourd’hui ? Britney Spears qui annonce les dates de sa tournée, Tracey Emin dont j’ai raté l’expo à Londres et qui a envie d’un calin et même Sarah de chez Colette à Paris ! Tout se mélange, entreprises, amis... Plutôt chaotique à décoder, ce mélange de slogans et de confidences.

Préhistoire du Net
Petit retour historique et critique. J’ai connu le début du Net, on tapait alors du code HTML pour faire des pages, créer du contenu. On se connectait à la demande en RTC, pas encore de Web 24h/24, l’arrivée de l’ADSL était encore loin. Faire des pages personnelles nécessitait un minimum de connaissances techniques. Plus tard, certains sites proposèrent aux internautes des solutions, évinçant la technique au profit de l’éditorial : le blog était né. Tenir un blog signifie création d’informations... or la plupart de ces « pages » ne sont plus alimentées au bout de 15 jours fautes d’événements personnels. Alors, que proposer dans la société du SMS (160 caractères) ? Du micro-blog, beaucoup plus simple à alimenter et beaucoup plus enclin à accueillir de la micro-information…

Solitude et réseau social 2.0
Twitter, synonyme de simplicité… un scénario élémentaire : il vous suffit de répondre à cette question : What are you doing ? Twitter décomplexe une nouvelle forme d’exhibition basique liée au temps : « Je suis en train de faire du Pilate » se retrouve au-dessus de « Je cherche un plan à 3 »... le recul n’est pas la première qualité des micro-blogueurs ! Qu’est-ce qu’on peut dire si on a rien à dire ? Parler de soi, mais on sait très bien que parler de soi à travers des mots, 140 caractères c’est une mise en scène...

On parle de plus en plus de « temps réel », et vous, vous y croyez ? Twitter valorise une approche exutoire parfois diffamatoire. Quid de la mémoire ? On peut utiliser le « Search twitter » pour remonter dans le temps et chercher des micro-trucs salaces sur ses collègues de travail... ou pour organiser un cambriolage… Cette plateforme n’est-elle pas faite avant tout pour « vivre » l’instant et donner cette impression que tout se joue ici et maintenant dans un flot d’informations paralysant non-stop ? Je me connecte sur Twitter Fall (où est visualisé le flux des twitts). Les slogans et autres promos de marques se mêlent à des événements tragiques, une accumulation, un monde en flux constant comme les bandeaux qui défilent sans arrêt sur les chaînes d’information 24/24H.
Twitter n’offre aucune garantie de pérennité des informations envoyées. Si Twitter venait à fermer, c’est tout un pan de la mémoire du Net qui disparaîtrait. Son concurrent, Frazr, a fermé son service français tandis que Google Waves débarque prochainement. Autant dire que le risque existe que cette entreprise au bisness-modèle hésitant et qui ne rétribue même pas ses auteurs n’y résiste pas…

Et l’art dans tout ça ?
Art, techniques et usages ont toujours fait bon ménage. Et si j’avais inventé Twitter ou plutôt son usage avec les Instants RSS ? Oui, moi plasticien français connecté depuis 1996, isolé dans le Sud et sans une tune ? En 2005, j’ai lancé Instants RSS, une création de micro-bloguing que l’on peut consulter sur différents types d’écrans et supports (mobile, console, livres...) et sous différentes formes (flux RSS, lecture, installation...).
L’Extimité, une légitimité artistique ? Je désirais programmer un outil de diffusion sous forme de flux alors que les fils RSS devenaient de plus en plus fréquents. Je souhaitais expérimenter un journal d’artiste en « temps réel » avec Internet qui tienne compte des pratiques artistiques actuelles et des conditions économiques. Parce que le brouillon de l’œuvre se tisse et se détisse, et qu’il en reste des fragments, une sorte de happening.

Comment construire un journal d’artiste actuel qui soit information et constitue en même temps une création originale ? Comment parler d’intimité et de processus de création sur le réseau ? Comment éviter de se transformer en Demi Moore, qui raconte ses petites histoires politiquement correctes à son million d’abonnés ?

J’avais 16 ans, le Journal d’Andy Warhol a été une révélation. J’adorais lire ses courts paragraphes où il parlait d’argent, de stars et de son psy. A l’université, une prof incroyable nous expliquait que pour comprendre une œuvre, il fallait comprendre sa genèse mais aussi tout son écosystème (affectif, économique...). Elle nous parlait de ce que mangeait Léonard de Vinci, nous racontait des histoires d’amour de différents peintres à partir d’échanges épistolaires. Séance diaporama de documents historiques : notes de frais, déception sentimentale...

Je n’ai aucun complexe à citer ces références car ce sont les bases d’une réflexion sur ce travail. J’utilise le terme Instant quand je tape et valide une information courte sur le réseau, que ce soit depuis mon ordinateur fixe ou mon téléphone mobile. On peut alors lire ces Instants par abonnement sur n’importe quel agrégateur de news et bien entendu sur un téléphone compatible et même en livre. J’ai réalisé une interface personnelle en PHP, afin de ne pas être dépendant d’un service et l’adapter à mes besoins. L’outil n’est pas figé mais pensé en fonction de l’évolution des technicités du Net et de ses usages.

En effet, j’avais en tête l’idée de l’« inspiration », de l’instant précis, de la précarité du modèle créatif et de l’inspiration. L’utilisation d’un fil RSS permettait de travailler avec le temps. Quand un nouvel instant est envoyé, il est alors accessible automatiquement aux personnes abonnées. Néanmoins, je limite l’accès aux seuls 10 derniers posts (ce chiffre peut varier) pour susciter encore plus de curiosité et de fidélité de la part du « spectateur », comme une performance dans le temps dont je n’aurais pas encore défini le terme. Disponibilité et patience sont requises pour suivre le fil. L’Instant RSS devient une surprise, je cherche à créer un rapport de frustration et même d’addiction.

Cette approche peut être considérée, à première vue, comme du micro-bloguing, mais les Instants RSS peuvent aussi contenir des images, des sons, plus de 140 caractères... L’intérêt du micro-bloguing ne réside pas tant dans le fait que ce qui est partagé est court mais dans la gestion du temps et de l’espace. D’ailleurs, quand, en 2007, Frazr France m’a invité en tant qu’artiste à intégrer mes Instants, et qu’un développeur a mis en place une routine pour les récupérer directement sur sa plateforme, j’ai fini par demande non sans difficulté à ce qu’on arrête cette expérience : le site mémorisait tous les éléments envoyés. Au contraire, les Instants tels que je les conçois sont une matière artistique : je peux sélectionner un mot et faire apparaître tous les Instants où ce mot apparaît. Je peux en faire une lecture ou une publication papier et pourquoi pas une exposition ? Une économie des Instants ? Elle est à développer en fonction des supports et des usages basé sur le modèle de la gratuité défendu par Chris Anderson.

Dès 2005, les Instants préfigurèrent une nouvelle forme d’expression qui se joue du temps et du réseau… Et Twitter dans tout ça ? J’ai ouvert un compte il n’y a pas si longtemps, pour y faire quoi ? Simplement pour communiquer et faire de l’auto-promotion. Comme n’importe quel artiste…

Micro-art
Côté expériences artistiques avec Twitter, Stweet (street + tweet) du collectif We Love The Net (sur une idée d’Albertine Meunier) est une sorte de mash-up de Street View et de Twitter. Stweet offre la possibilité de naviguer dans différentes villes où différents tweets géolocalisés apparaissent dans votre déambulation... En attendant de nouveaux outils de réalité augmentée où ces fameux messages courts apparaîtront directement sur les verres de vos lunettes !
Christopher Baker propose dans son installation « Murmur Study » une série d’imprimantes qui s’activent quand sont diffusées sur Twitter certaines onomatopées.

« Murmur Study », Christopher Baker, installation à Minneapolis (jusqu’au 23/08) :

Et vous ? Laissez vos trouvailles créatives dans les commentaires !

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< 5 > commentaires
écrit le < 31'07'09 > par < a xqL bram.org >
Il y a trois jours j’ai assisté à Breaking une performance d’Eli Commins à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Toute la matière textuelle de son œuvre pour la scène venait de twitter. Très belle pièce, beaucoup d’émotion. Article de Florence March "Réinventer le protocole de la fin" http://florencemarch.blogspot.com/2009/07/reinventer-le-protocole-de-la-fin-yashi.html Information http://www.elicommins.fr/Breaking
écrit le < 01'08'09 > par < Iconographe zog gmail.com >
En voilà une : http://www.lecieldenantes.fr
écrit le < 20'09'09 > par < anne.laforet R8E poptronics.fr >
à voir aussi, le projet "Default to public" (http://www.defaulttopublic.net/) de Jens Wunderling, award of distinction au dernier prix ars electronica.
écrit le < 21'10'09 > par < mister.n boh laposte.net >
A propos de Wave. Article Slate.fr Google Wave, rien d’autre que du chat de luxe Le nouvel outil censé révolutionner la communication en ligne est simplement trop compliqué. http://www.slate.fr/story/11839/google-wave-deception-chat-direct
écrit le < 02'07'10 > par < mister.n LNL laposte.net >
A noter un service similaire mais open source Identi.ca http://identi.ca/ "Identi.ca est un service de microblogging qui vous est proposé par Status.net. Il utilise le logiciel de micro-blogging StatusNet, version 0.9.3, disponible sous la licence [GNU Affero General Public License] " Licence du contenu du site Creative Commons Attribution 3.0 Tous les contenus Identi.ca et les données sont disponibles sous la licence Creative Commons Attribution 3.0.