Manifeste du monde ZEROUN” (lire zéro un ou zéroun, au choix !) de David Guez, ou « Comment utiliser le Land art, la génétique ou la rétro bio-ingénierie pour sauver notre mémoire collective à l’ère du numérique”.

Ce manifeste a été rendu public le 15/11 aux Labos d’Aubervilliers, dans le cadre du projet “Degré 48” (la latitude d’Aubervilliers), réalisation en résidence d’écriture de Daniel Foucard. L’auteur, en référence au "degré 41" du poète Iliazd, revue futuriste qui a publié nombre de manifestes proches de l’esprit Dada, a commandé à des artistes amis une série de “manifestes”, révélés à raison de trois par mois.

Prochaine édition, Manifeste#8 le 6 décembre à 20h aux Laboratoires d’Aubervilliers, avec le collectif graphique L’agence du doute, 41, rue Lécuyer, Aubervilliers, entrée libre.

"Arbres binaires", une approche artistique du Manifeste ZEORUN par David Guez, ou comment pérenniser nos cultures numériques, en utilisant des supports naturels de stockage du code. © DR
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Manifeste du monde ZEROUN, par David Guez

Pierre, papier, bits ? Pourquoi séparer les mondes physiques et numériques, alors que tout (ou presque) passe désormais par le numérique et que notre mémoire collective et individuelle est digitalisée ? David Guez, net-artiste proche de Poptronics, était le 15 novembre l’un des trois artistes invités à dévoiler son “Manifeste du monde ZEROUN, Comment utiliser le Land art, la génétique ou la rétro bio-ingénierie pour sauver notre mémoire collective à l’ère du numérique”, aux Laboratoires d’Aubervilliers, dans le cadre du très joli projet “Degré 48” de Daniel Foucard.

L’auteur, en résidence d’écriture aux Laboratoires, propose à des artistes de tous les champs (performance, écriture, net, vidéo, graphisme...) de réfléchir à l’actualisation du fameux Manifeste, ce totem de l’Histoire de l’art. Une fois par mois, deux ou trois d’entre eux sont invités à présenter le fruit de leur réflexion, qui peuvent être aussi hilarantes que la conférence en faux semblant d’Olivier Bosson, ou prospectives que celle de David Guez. Le tout sous le g.u.i., c’est à dire l’œil et les mains d’un collectif de graphistes qui font de la soirée un happening typographique post-lettriste, pour une conception d’affiches vivantes, mobiles, uniques et bâties à chaud (à partir de grilles des manifestes des avant-gardes passées, comme ils s’en expliquent ici). Autant dire que l’ensemble fait souffler un vent de fraîcheur dans le design graphique, comme dans la performance.

Manifeste#7 - David Guez, Olivier Bosson, Dominiq Jenvrey - “Degré 48” - collectif graphique g.u.i. – 2013 :



Dans le travail de David Guez, la mémoire et l’oubli, le futur et les visions qu’il accompagne sont centraux. D’ailleurs, le projet de “Manifeste ZEROUN” prend sa source dans le “Disque dur papier”, le tout premier pop’lab de Poptronics, ce magazine en PDF ouvert aux artistes pour imaginer une passerelle entre le monde (soi-disant) réel et le monde de l’écran. Il y posait déjà le principe que le numérique n’avait pas trouvé le support idéal de stockage et d’archivage (disquettes, Floppy, disque dur externe, clé USB, tous ces formats vieillissent à vue d’œil). Depuis, poursuivant ses réflexions, il a gravé le MP3 de Neil Armstrong sur sa “STELE BINAIRE” ou imprimé le code de “La Jetée”, le film de Chris Marker, dans un énorme pavé de 1000 pages.

Avec le “Manifeste du monde ZEROUN”, David Guez pose une nouvelle pierre dans le jardin de la conservation numérique. Et propose d’imaginer d’aller taguer des arbres, de construire des monuments de pierre dans nos forêts pour réunir les mondes “++” et “réel”. Lisez son manifeste, c’est un régal d’anticipation !



MANIFESTE DU MONDE ZEROUN - DAVID GUEZ

L’apparition de l’ordinateur et du code binaire a projeté la civilisation dans une course à l’aplatissement du réel.
On entend par aplatissement du réel un acte de digitalisation volontaire et involontaire, massif et local.
On entend par digitalisation un acte de transformation de l’information déposée depuis la nuit des temps sur divers supports de données ( la pierre, le livre, la peau, les plantes, la corde...) en un code universel compris, codé et décodé par la Machine Universelle M.U. et stocké par cette même M.U. :

LE CODE BINAIRE

Des zéros et des uns - LES ZEROUNS - alignés dans les calculateurs et les registres de la M.U. qui transforment le MONDE REEL en MONDE ZEROUN.

On entend par information tout message organisé par l’homme, l’animal ou la nature qui se transmet dans le temps à un autre homme, animal ou à la nature, toute pulsation ayant un sens ou structurant un sens : le contraire du bruit et du chaos.

On englobera ainsi et aussi l’hypothèse sub-atomique et quantique qui postule que l’information est la composante même de l’organisation des structures physiques existantes, et donc, du monde réel.

Ainsi, l’apparition de la M.U. dans les années 1940 a déclenché la plus grande entreprise de mise à plat du monde réel et sa première mission corollaire de comptage et d’indexation de ce même monde.

Ce phagocytage du réel s’est accompagné de facto par son inscription et sa concentration sur ces nouveaux supports électroniques et magnétiques, qui, au fil des années, et de façon exponentielle depuis l’avènement du micro ordinateur et du WWW en 1990, ont permis de stocker massivement la totalité de l’histoire.

Mais cette préhistoire de la digitalisation est aujourd’hui terminée et laisse place à une digitalisation en temps réel de l’information, une digitalisation du temps réel et une digitalisation du réel.

Une nouvelle étape débute : l’information est créée avec le numérique, transportée par le numérique et stockée dans le numérique.

Et même s’il est encore possible en 2013 de trouver des exemples de médias déclinés en dehors ou en complément du digital tel que le livre, l’évidence technologique, économique, politique, puis sociologique ne fait et ne fera de ces exemples que des exceptions.

Le couple M.U./WWW est parvenu à un tel niveau d’infiltration du réel et de son organisation qu’il génère de l’information intra M.U., qui se nourrit et s’entretient d’elle-même, créant une inflation informationnelle sans commune mesure dans l’histoire de l’humanité et dans celle, individuelle, des hommes.

De plus, cette perte du réel s’est accentuée avec la digitalisation du réel lui même : des scanners 3D et des outils de cartographie reconfigurent le présent “en train de se faire” en statues de poussières d’une finesse telle qu’elles invitent à la projection d’illusions concrètes et parfaites : un réel augmenté ou REEL++.

Mais LA ZEROUNISATION ne s’arrête pas là : l’ultime avatar de la M.U. se présente en la M.U++, un appendice technologique et mécanique de la M.U., un robot ou une imprimante 3D qui fabrique du REEL à partir des ZEROUNS.

Ainsi, le monde réel s’engouffre dans la M.U. sans question particulière pour fabriquer du REEL++.

On pourrait toujours objecter que cette réification MU++ du REEL en un avatar ZEROUN composé de sable concassé ou de fibre de plastique permet de prolonger le REEL, mais nous rétorquerons que le résultat est un média de basse qualité, pauvre en toute chose, une sorte de poche vide : un REEL–.

On pourrait aussi objecter que le REEL est une illusion que le ZEROUN arrivera parfaitement à imiter et qu’imiter parfaitement une illusion revient à en créer une nouvelle instanciation, augmentée des avantages du couple M.U./ZEROUN :

UN MONDE++

L’objectif de ce manifeste n’est pas de lutter contre la M.U., le REEL++ et le MONDE++, mais d’en montrer les dangers et les aléas.

L’objectif est donc de remettre en jeu du lien entre la M.U. et le REEL, au cas où la M.U. viendrait à boguer ou se brûler aux radiations des orages magnétiques. Le RÉEL++/MONDE++ étant une composante de la M.U., il ne nous sera d’aucun secours en cas de disparition.

Ainsi, d’une façon simple et évidente, nous appartenons au MONDE REEL, nous pensons et naviguons dans et avec le MONDE REEL et nous sommes fabriqués de la même éventuelle illusion que le MONDE REEL.

Ainsi, nous nous attacherons à toutes les créations, toutes les organisations, toutes les procédures qui permettent de fixer et de vitrifier l’information, toutes les entreprises artistiques, scientifiques, conceptuelles, toutes les œuvres de l’esprit qui s’attellent à organiser le monde réel en vue d’un stockage pérenne du monde ZEROUN et de sa restitution en cas de disparition.

david guez 

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