Interview au long cours avec le trio légendaire Wire, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album recentré rock, « Object 47 » (Pink Flag/Differ-Ant).
Wire en 1978 : de gauche à droite, Graham Lewis, Colin Newman, Bruce Gilbert et Robert Grey. © Annette Green
< 20'08'09 >
Wire rebranché rock : « Notre album sonne 2008 » (2/2)

(Pop’archive). Montreuil, mi-juin. Wire enchaîne les interviews préalables à la sortie de leur onzième album, « Object 47 », cette semaine dans les bacs (et chroniqué sur poptronics ici-même). On attendait deux quinquas revenus de tout, blasés et cassants (on défait difficilement une réputation), on découvre deux musiciens élégants, volubiles et drôles, Colin Newman (guitare, chant) et Graham Lewis (basse, chant), qui reviennent avec plaisir sur leurs provocs passées et leurs emballements du moment. S’expliquant largement sur leur carrière hors-normes : ils ont sorti plus de disques avec leurs projets parallèles qu’avec Wire, qui sort de quatre ans de sommeil. Wire ne renie rien, Wire mute, Wire avance, dessinant une geste artistique assez rare dans le monde finalement assez conservateur du rock.

Le départ de Bruce Gilbert
« Quand nous avons enregistré “Send”, en 2003, ce disque furieux, claustrophobe, Wire sortait de dix ans d’électro-acoustique : le but était de retravailler avec des guitares. Mais Bruce voulait encore aller vers des choses purement noise et nous nous y refusions, ce n’était plus le moment de faire ce genre de musique. Nous serions revenus à un truc électronique ou à de la musique industrielle, c’était sous-exploiter notre potentiel ! Nous étions dans une impasse et fondamentalement, entre 2004 et le milieu de 2006, Wire n’existait plus : nous ne nous adressions quasiment plus la parole. Mais à trois (avec Robert Grey, le batteur, ndlr), nous sommes repartis d’essais de 2003-2004 qui ont donné “Read & Burn 03”, le EP paru à l’automne 2007. Nous avons alors parlé à Bruce, pour savoir s’il voulait réellement abandonner. Il l’a confirmé, ce qui nous a permis de nous concentrer sur “Object 47”. On a bouclé l’album en quatre mois. »

Wire - « In The Art of Stopping » (extrait de « Send », 2003) :


« Object 47 »
« Avec nos autres projets, nous avions évolué vers des choses plus mélodiques et nous voulions pousser cette exploration plus loin. Nous voulions de l’espace, comme sur “Map Ref. 41°N 93°W” (un des titres phare de Wire, sur “154”, ndlr). “Send” était très étroit, ce disque est davantage panoramique. Et puis, c’est un album au sens classique. Dans les albums modernes, avec un peu de chance, tu trouves deux titres (plus souvent un seul), et le reste c’est du remplissage. C’est fait pour les gens qui roulent en bagnole. C’est de la pollution.

« Notre songwriting n’est pas très conventionnel : nous ne jouons pas ensemble en studio, nous n’écrivons pas vraiment de chansons, nos méthodes de compositions se passent de ça. Nous étions très excités par ce que nous faisions. Nous avons assemblé le matériel né de jams et « One Of Us » est le premier titre à en être sorti. A l’écoute, ça sonnait bien : la basse de l’intro, le passage de la guitare au premier plan, le couplet… C’est un territoire où nous n’étions pas allés depuis longtemps et nous nous y sentions bien. Les années 90 ont été une décennie électronique. Ce n’était pas une période pour la voix mais pour le son, le non-vocal, la danse, le post-rock… Je n’ai quasiment pas joué de guitare, en tout cas pas vraiment chanté. Ensuite, ça a été “essayons de crier”, puis “essayons de parler”. Maintenant, c’est “essayons de chanter”. C’est naturel aujourd’hui mais, en 1997, ça ne l’aurait pas été. Je détesterais qu’on imagine Wire comme une entité isolée du monde. Nous ne vivons pas dans le passé : nous sommes fiers de ce que nous avons fait bien sûr, mais aussi de faire une musique de son temps. Nous n’aurions pas fait “Object 47” il y a dix ans. Il sonne 2008. Il est pertinent. »

L’influence de Wire
« Il y a tellement de nostalgie… Les années 70 sont devenues la décennie dominante. Cette notion de punk qui revient… Le punk n’est pas très excitant une fois passé tes 16 ans. Les gens regardent ce qui a suivi et découvrent Wire, Gang of Four, nous citent comme influence. Je ne crois pas que ce soit si profond. C’est une attitude, un genre qu’ils se donnent. Comment se réclamer d’un truc ancien et faire quelque chose d’original ? Aux Etats-Unis, “Pink Flag” reste un disque populaire parce que c’est un modèle, un patron : on peut le jouer lorsqu’on forme un groupe et qu’on ne sait pas jouer. Le plus étonnant, c’est sa descendance : en Grande-Bretagne, il a engendré des groupes pop et aux Etats-Unis, des groupes rock. Nous ne voulions pas que notre musique soit résumée à un genre : nous avons toujours cherché à rester extérieurs.

« Grâce à Internet et au téléchargement, notre audience rajeunit. C’est manifeste aux Etats-Unis où trois générations viennent nous voir. La majorité de notre public sont des trentenaires et des gens de notre âge, mais désormais aussi beaucoup de jeunes de 20 ans. On pourrait être leurs grands-pères ! Un ami disquaire m’a raconté que trois mômes de moins de 18 ans, arrivés ensemble dans sa boutique, lui ont tous acheté “Pink Flag”. Ce disque a 31 ans ! Ceux qui l’ont acheté à l’époque à leur âge ont près de soixante ans. C’est vertigineux. A côté de ça, un chorégraphe vient de mettre Wire et Iggy Pop à côté de Stravinski au Lincoln Theatre de New York ! Cette époque est vraiment étonnante... »

Wire - « Practice makes perfect » (extrait de « Chairs Missing », 1978) :

Le son 2000
« Nous restons intéressés par ce qui se passe : tu ne peux pas t’autoriser de zapper une période quand tu crées, il faut rester au contact, même si tu n’entendras rien de ce son sur notre disque. Ces cinq dernières années, il se passe des choses intéressantes, notamment à Brooklyn. Surtout, des artistes issus de la techno viennent à la pop par un chemin inédit, sans passer par un groupe de rock ni utiliser de guitares, comme Justice ici par exemple. A Londres, il y a cette deuxième génération drum’n’bass et, bien sûr, le dubstep, extraordinaire. Ce n’est pas de la musique pour iPod, ça se vit live : il faut entendre les basses bouger l’air. Nous avons été frappés par “Return To Cookie Mountain” de TV On The Radio, Mouse on Mars ou le nouveau groupe de Mark E. Smith, Von Südenfed. Je l’ai vu en club : il rendait les gens fous et moi, je n’avais pas été aussi excité depuis l’arrivée de la drum’n’bass au milieu des années 90. »

Le futur de l’objet
« J’aime l’idée d’avoir un objet en couverture. Ce mot est si Wire. Et tout ça marche avec le titre, “Object 47”, en ces temps de crise du disque, de réflexion sur l’avenir des ventes “physiques”. Dans le futur, il restera de la place, de la valeur pour l’objet, entendu comme quelque chose que l’on veut posséder. A Londres, de jeunes Japonais pillent les vinyles des soldeurs et n’ont pas de platines pour les écouter : ils les téléchargent ! Début juin, nous avons joué devant le musée d’art moderne de Porto, pour une exposition “Vinyl”, ce qui nous a revigoré. Ça n’avait rien de nostalgique : ces objets ont un pouvoir. Il y a une flexibilité dans l’objet qu’il n’y a pas dans le download. Et puis, ça n’a rien à voir avec le rock mais avec l’art. Les tirages des livres de Fluxus étaient très-très limités… On va gagner notre vie à jouer live. Tu ne peux pas télécharger une performance. Filme-la avec ton portable, envoie-la sur YouTube, tu n’auras pas vu, senti ce qu’il se passe lors d’un concert. »

Wire live
« Sur scène, on a longtemps joué des inédits. A New York en 1978, 75% des morceaux étaient du troisième album à venir. L’année suivante, 80% du concert était composé de nouveaux titres. Nous avions même embauché un groupe pour jouer l’intégralité de “Pink Flag” en première partie. Ça a fait scandale ! Dans les années 80, nous n’avions pas la distance suffisante : on ne voulait pas jouer les juke-box. Là, le contexte a changé, les vieilles chansons ont leur place pour les jeunes qui viennent nous voir. Nous jouons de tout, notamment le premier morceau que nous avons écrit ensemble, “Lowdown”, qui est sur “Pink Flag”, avec l’aide de Margaret Fiddler à la guitare. Ça donne des choses intéressantes : les jeunes n’ont pas le contexte historique, ils réagissent titre après titre “celui-là est bien, le suivant est naze”. C’est stimulant. »

Wire live à New York au South Street Seaport, le 30 mai 2008


Lire aussi : Wire rebranché rock, ça claque

Cet article a été initialement publié le 7 juillet 2008.

Recueilli par matthieu recarte 

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