Rétrospective Emilio Vedova, artiste phare de l’avant-garde italienne, à la Berlinische Galerie, jusqu’au 20/04, 124-128 Alte Jakobstrasse, Berlin, Allemagne.
Emilio Vedova, "Dischi", 1985-1995, installation de ses disques monumentaux à la Berlinische Galerie. © Jens Liebchen / Coll. Emilio und Annabianca Vedova, Venedig
< 19'03'08 >
Qui voit Vedova voit l’avant-garde dans la rétro

(Berlin, envoyé spécial)

Engagé en art et dans l’histoire, Emilio Vedova (1919-2006) l’a toujours été. Une de ses dernières œuvres, « Chi brucia un libro brucia un uomo », (que l’on peut traduire par « qui brûle un livre brûle un homme ») tisse ainsi un lien entre les autodafés de 1933 et le bombardement de la bibliothèque de Sarajevo. Acteur majeur de l’expressionnisme italien abstrait, Vedova ne bénéficie pas d’une grande notoriété en France. Il est pourtant l’un des auteurs du manifeste du « Front nouveau des arts » en 1946, avec Renato Guttuso et Ennio Morlotti, qui l’a ensuite mené dans les plus célèbres manifestations de l’art contemporain, de Biennales de Venise en Documentas de Kassel. La rétrospective que lui consacre la Berlinische Galerie permet de plonger dans une œuvre protéiforme, à commencer par sa peinture.

Après des débuts sous influence futuriste, Vedova définit un univers à part, et construit un ensemble unique dans l’histoire de l’art avec « Non a caso », « Non dove », « Dagegem », « Tondo a terra », des disques monumentaux entièrement recouverts de peinture, recto-verso, tranches comprises, qu’il conçoit à partir de 1985, placés au sol, tandis que les demi-disques sont accrochés aux cimaises, à mi-parcours entre sculpture peinte et environnement.

Vedova nourrit son regard, ses formes et son expression de ses séjours à l’étranger : Brésil en 1954 (il restreint alors sa palette chromatique), Berlin en 1964, ville tragique où l’avenir se dessine sous les auspices d’une culpabilité toujours palpable. Son ensemble de pièces « Absurdes Berliner Tagebuch » constitue un autre virage dans ses choix de supports (planches de bois récupérées puis assemblées formant des blocs, disposés sur le sol et sur les cimaises) et sa manière de peindre (couleurs vives et allégories apparaissent).

L’atout majeur de cette rétrospective, c’est qu’on y découvre un autre visage de l’artiste, à travers un ensemble conséquent d’esquisses, de maquettes et de pièces où la peinture se fait moins expressive. Non content de marquer par ses formats géants et son énergie picturale l’histoire de l’art, Vedova s’est aussi intéressé au théâtre, en association avec le compositeur Luigi Nono (1924-1990) pour deux spectacles : « Intolleranza » (1960) et « Prometeo » (1980). L’un transforme radicalement le langage musical et son écoute tandis que l’autre met à mal l’espace scénique traditionnel en y introduisant une sculpture en acier et des écrans mobiles pour des peintures projetées. A eux deux, ils modifient entièrement la perception du théâtre. Les événements visuels et sonores ont lieu simultanément sur scène et dans la salle.

Bien avant les « moving images », Vedova travaille sur un système d’images projetées où il désacralise la toile. Par ses images quasi noires, il réamorce et prolonge les sujets qui le hantent et notamment les camps de concentrations et le racisme. Vingt ans plus tard, avec l’architecte Renzo Piano, il met en scène le « Mythe de Prométhée », une pièce atypique où images et sons se fragmentent, passant du visible à l’invisible, de l’audible à l’inaudible, comme une allégorie de l’époque contemporaine. Les spectateurs sont invités à bouger, les certitudes s’effritent : le silence devient bruit et le noir, image.

De la boîte scénique à l’architecture, il n’y a qu’un pas à franchir. Sa participation au pavillon italien de l’exposition internationale de 1967 à Montréal lui en donnera l’occasion. Vedova bouscule les formats et les gammes chromatiques et se lance dans une proposition hybride entre architecture et environnement. Délaissant les surfaces pleines, il peint sur du verre de Murano, initiant un jeu de couleurs et de transparence. Il réalise un écrin de parois de verre, associé à un système de projection mobile. Le verre peint est éclairé par diverses intensités lumineuses qui amplifient l’échelle des couleurs et font se mouvoir les formes picturales. Résultat : l’architecture du pavillon se dématérialise au profit d’un ballet lumineux.

cyril thomas 

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