« Panorama 14, Elasticités », jusqu’au 22/07 au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22 rue du Fresnoy Tourcoing (59), les mercredi, jeudi, dimanche et 14 juillet de 14h à 19h, les vendredi, samedi de 14h à 21h, entrée : 4 €-3 € , gratuit le dimanche.

Nuit électronique au Fresnoy, le 23/06 à 21h, avec Ryoichi Kurokawa et Novi_Sad, projection-concert à 21h, et Edwin van der Heide, à 22h30, pour un concert aux lasers en extérieur. Entrée : 5 €.

« Horizon des événements », de la Brésilienne Maya Da-Rin, une installation audiovisuelle sur la surveillance, l’absence, le rapport à l’espace… © DR
< 20'06'12 >
Paillettes techno et pépites d’art au Fresnoy

(Tourcoing, envoyée spéciale)

On a laissé les commissaires discuter ensemble, mais ce « Panorama » 2012 sans boîte noire, ça donne quoi au juste ?

« Elasticités », ce sont 53 œuvres (26 installations, 27 films) produites par le Fresnoy, réalisées par les deux promotions et les artistes invités à les entourer (Denis Côté, Jean-Paul Fargier, Benoît Jacquot, Ryoichi Kurokawa, David Rokeby, Edwin Van der Heide). Côté scénographie, les intentions (louables) du commissaire résistent mal à l’épreuve des faits : en lieu et place des cloisons, de grands rideaux (noirs) coupent de toute façon les espaces, empêchant cette déambulation créative qu’avait imaginée Benjamin Weil.

« Panorama » se rapproche plutôt dans sa forme d’une biennale : pas de trame narrative, pas non plus de point de vue global à retenir, mais quelques lignes directrices indiquant les préoccupations des artistes émergents d’aujourd’hui. Il est tout simplement impossible d’en avoir une vision d’ensemble (on a bien découvert les 26 installations mais visionné seulement 3 des 27 films – fictions, docus, animations…–, durée limitée du vernissage oblige). On peut simplement regretter une forme d’infobésité à la sauce arty voire une certaine désinvolture dans cette grande halle où les pièces rivalisent de gigantisme. Bien sûr, le Fresnoy accorde à ses résidents les conditions idéales pour produire une œuvre, et ils seraient fous de ne pas y recourir (et nous de critiquer pareille manne). N’empêche qu’en ces temps de disette culturelle, le dispositif imaginé par Monsieur MOO (qu’on a connu plus inspiré...), un bateau de pêche breton, « Yolande », qui vient se fracasser sur un mur de bouteilles de champagne, est carrément choquant. Le côté potache renversant la tradition du baptême maritime ne résiste pas deux secondes à l’analyse. Et ne peut que renforcer le sentiment assez communément admis que le Fresnoy est riche – entendez « trop » riche…

Transgresser la transaction

Première constatation : les œuvres des artistes invités sont un cran au-dessus du reste. Le Japonais Ryoichi Kurokawa (qu’on aime bien ici) signe une installation hypnotique, « Mol », qui emprunte à l’holographie sur miroir (à la Pierrick Sorin) pour des explosions moléculaires abstraites sur deux écrans enveloppants. On est happé par le tumulte, la puissance, la matérialisation d’une forme de vie parcellaire vibrante.

Le Canadien David Rokeby propose « Hand Held », une installation intimiste où l’image ne s’anime que si on la cueille avec les mains. Déjà, le geste est d’une épatante simplicité (l’installation est noire si on la traverse trop vivement, il faut trouver l’image, déplacer sa main de haut en bas pour faire apparaître une saynète entière, une orange qu’on pèle, un œuf qu’on se passe de main en main). C’est, derrière la pure poésie, une belle façon de transgresser cet usage normé de la main comme interface de transaction (sur nos téléphones, nos écrans, face aux consoles de jeu type Kinect). L’œuvre intègre le visiteur dans son tout, s’active en sa présence, joue avec lui comme lui joue avec elle. L’interactivité dans son sens le plus poussé, sensible, beau.

Le trublion Edwin Van der Heide a été mis hors parcours avec « DSLE -3- », installation immersive. Mais une immersion au sens brutal de surexposition aux écrans et aux sons qui vous enserrent dans un vibrato intense de couleurs, « aux limites de notre perception visuelle et auditive », assure le texte de présentation. On pense à l’effet sidérant des premières installations de Granular Synthesis et on se dit que, quinze ans plus tard, l’effet est moins bluffant, malgré la complexité accrue du dispositif : 44 leds contrôlés indépendamment composent la partition visuelle, un haut-parleur octophonique gère le son, l’ensemble devant permettre « de maîtriser et de modifier notre perception de l’espace », à base de « moments forts qui jouent directement avec la rétine elle-même ». Très franchement, cette première en version installation déçoit, et le live activé au festival SRTP en 2011 d’Eindhoven et tout récemment au Mutek de Montréal paraît a priori plus judicieux.

Films en folie

Mais on vient surtout au Fresnoy pour repérer les futurs Laurent Grasso, Anri Sala, Sandy Amerio, ou Kaori Kinoshita et Alain Della Negra (tous y ont étudié). En première année, les artistes conçoivent un film, autant dire qu’il nous est impossible de prédire pour ceux-là leur succès futur (puisqu’on n’a pas vu leurs films...). Des trois visionnés , « Tomo » de Bakary Diallo, un des très rares Africains résidents au Fresnoy, est déjà une réussite dans sa façon de dépasser le canon des images de synthèse, de mélanger un filmage documentaire hyperréaliste, un village déserté du fait de la guerre (tomo en bambara) et une vision comme sous hypnose de spectres en combustion poursuivant le quotidien disparu (femme pillant le mil…). Ce contraste visuel saisissant, semi-ethno, semi-fantastique, évoque sans un mot l’influence des esprits, la présence des morts, le poids de la guerre, des ethnies…

Dans un registre cinématographique tout à fait différent, la fiction du Portugais Ico Costa, « Quatro Horas Descalço » (quatre heures pieds nus), filmée caméra au poing, au plus près du corps d’un jeune homme qui vient de commettre un meurtre, raconte aussi la folie. Une autre forme de folie toutefois, inspirée d’un fait divers réel, un ado de 16 ans parti pieds nus dans la campagne, après avoir tué son père, et qui finit par se rendre à la police. Dans le film en 16mm, sans aucun dialogue, on accompagne le jeune homme dans son calvaire, au diapason de sa respiration, forcément saisi par l’angoisse qui suinte. Gageons par ailleurs que les films des artistes invités, « Bestiaire » de Denis Côté, « Elsa se marie » de Benoît Jacquot (qui a pris pour prétexte le mariage de sa nièce pour inviter les artistes résidents à imaginer ce film temps réel collectif) et « Tombeau pour l’URSS » de Jean-Paul Fargier, sauront faire parler d’eux.

Entre grandiloquence et approximation

Côté installations, cependant, quelques tendances ressortent de cette édition 2012. Et d’abord le recours systématique à la mise en espace des créations : pas une seule série photo qui ne soit accompagnée d’un son, d’une vidéo… Toutes les pièces sont « mises en situation », une forme d’inflation qui pousse tantôt à la grandiloquence (« Le Dragon d’or » de Christophe Herrero), tantôt à l’approximation (« Tarnac, le chaos et la grâce », pourtant très joli projet de Joachim Olender de jeu sérieux à partir de la fameuse arrestation des militants d’extrême gauche).

Autre constat : toutes les technologies et techniques numériques, optiques, sonores, sont convoquées. Réalité augmentée, interactivité gestuelle (merci la Kinect…), déplacement corporel pour les installations sonores comme « Tutti » de Zahra Poonawala, sorte de méta-orchestre de hauts-parleurs. Jeux d’optique aussi : Kurokawa, donc, mais aussi la très jolie pièce « Mirrors Float Us » d’Anaïs Boudot, où l’image et son double stéréoscopique jouent avec la notion de parallaxe, apparaissant-disparaissant de notre champ de vision, ou encore l’installation un peu trop parfaitement lisse de Pierre-Yves Boisramé, où une maquette de téléphérique environnée de trois écrans « joue » de l’aller-retour mental entre ce que nous voyons et ce que nous construisons comme représentation logique (ce sont les images de la montagne qui bougent, pas la cabine).

Périple immobile...

Dispositifs ludiques bien entendu, comme dans « Libre circulation » de Pierre Hoezelle, où il suffit d’entrer dans un container, un de ces cubes colorés qui peuplent les ports et autres zones de fret et de transit, pour vivre un périple immobile, via les fentes et trous dans la paroi qui diffusent quelques fragments d’images d’ailleurs. Le joli projet, encore un peu instable, de Vincent Ciciliato, « Tempo Scaduto », est plus ambitieux : dans ce jeu de tir à la Kinect, le pistolet, selon que l’on vise ou tire, signe la participation du spectateur en témoin/auteur d’un des meurtres de la mafia à Palerme dans les années 1980 (où a grandi l’artiste). Les scènes sont rejouées à la manière du cinéma documentaire et des reportages, le tir (si la cible est réellement une victime de la mafia) permet d’accéder aux archives. Entre fiction et jeu, réflexion sur le poids de l’image dans l’archive…

Le travail avec les scientifiques est aussi présent. « This is Major Tom to Ground Control », de Véronique Beland, transforme les données des télescopes de l’Observatoire de Paris en textes aléatoires. Sublime coïncidence, la première phrase du programme a été : « Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs. » « La voix de l’Univers » est incarnée par une voix de synthèse, partant du constat que les émissions de radio dites intelligentes, chargées de nous faire entendre toute forme de vie extraterrestre n’avaient pour l’instant rien donné… Une forme d’humour techno qui fait du bien après la série d’installations qui en manquent singulièrement.

... et promeneur invisible

Le projet le plus représentatif de la création contemporaine qu’on ait toutefois vu au Fresnoy cette année est celui de la Brésilienne Maya Da-Rin, qui remixe dans un bel ensemble certaines préoccupations de l’errance contemporaine, de nos corps dans l’espace « augmenté », de topographies émotives, de psychogéographie à la Guy Debord (« l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus ») et de pure poésie.

Face au visiteur, un « horizon » presque statique opère des mouvements brefs, saccadés, qui font rapidement comprendre que le filmeur est une caméra pilotée par un programme. Caméra de surveillance donc, sur les toits roses et les pentes de Marseille. Le son est celui de pas dans la ville, environnement plus ou moins bruyant, carte postale sonore signant indubitablement la présence provençale. Au sol sont projetées les coordonnées GPS du promeneur invisible. Une promeneuse en l’occurrence, Maya Da-Rin, partie de la colline où est placée la caméra de surveillance. L’artiste a choisi Marseille sans y avoir jamais mis les pieds, en ayant l’intuition que cette ville de bord de mer avait un petit quelque chose à voir avec sa Rio de Janeiro natale.

Elle traverse la cité phocéenne, descend jusqu’à la mer, au hasard Balthazar, s’éloignant du champ de la caméra. La caméra « cible » les renseignements de coordonnées transmises par les satellites. L’image n’a rien de spectaculaire, et pourtant l’écran est immense. Le son n’est pas non plus hors du commun. Ce qui fait sens, c’est ce dialogue ininterrompu entre la caméra, son objectif et le GPS, qui trace le parcours de Maya mais jamais ne la filme. Une double façon de « montrer » l’effet de la surveillance électronique dont nous sommes tous les victimes plus ou moins consentantes tout en soulignant les incohérences, les limites et même la totale imbécillité de ces dispositifs de surveillance qui ne captent pas l’émotion, qui ne transmettent pas l’angoisse, les sentiments, et dont l’efficacité est marginale.

« Horizon des événements » est une pièce éminemment politique donc, qui critique notre rapport à ces nouveaux médias, notre dépendance soumise à ces influx. Mais cette critique est subtile, elle se produit dans une économie visuelle, une forme d’ascèse n’enlevant rien à la technicité du dispositif. Et l’on se plaît à penser que les deux pièces les plus neuves de ces « Elasticités », celle de Rokeby et celle-ci, sont aussi les plus émancipées du carcan de la société du spectacle.

annick rivoire 

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