Gamerz, 7ème édition du festival des arts multimédias d’Aix-en-Provence, du 18 au 26 novembre 2011, école supérieure d’art, fondation Vasarely, Seconde Nature, galerie Susini, Arcade Paca, expositions et performances en accès libre.
Le canon de Tryone, street artist berlinois qui bombarde les murs lépreux, comme celui de l’école des Beaux-Arts d’Aix pour le festival Gamerz. © poptronics
< 25'11'11 >
Gamerz 7, l’âge de déraison

(Aix-en-Provence, envoyée spéciale)

Paradoxalement, c’est de la très bourgeoise Aix-en-Provence que nous viennent régulièrement des nouvelles expérimentales des arts dits numériques. Pourtant, si la ville peut s’enorgueillir d’une histoire culturelle glorieuse (de Cézanne à Vasarely), pas plus qu’ailleurs l’émergence n’attire les foules, qui préfèrent le shopping du samedi aux aventures artistiques déjantées concoctées par la fine équipe de Gamerz, dernière née des manifestations locales s’intéressant au numérique.

N’empêche, les deux anciens de l’école des Beaux-Arts qui mènent l’aventure depuis déjà sept éditions ont été épaulés, soutenus et parfois hébergés par leurs prédécesseurs (Territoires électroniques, Arborescence, Seconde Nature). Et Gamerz poursuit tranquillement sa montée en puissance, surfant allègrement sur une esthétique bricolée, sur la game culture comme sur les performances décalées, le street art ou les musiques hawaïennes, 8 bits, glitch…

Gamerz grandit donc, et propose cette année une belle exposition à la fondation Vasarely, où tous les genres des arts électroniques sont conviés, s’éloignant de la ligne « game-culture » qui avait fait sa réputation. « Le jeu est un peu un prétexte pour entrer dans cet univers numérique », explique Sylvain Huguet, artiste et programmateur. La fondation Vasarely (bien mal en point, le toit fuit, le chauffage est en rade, les œuvres du père du cinétisme tombent en morceaux…) est donc le théâtre de drôles de rencontres, où tous les sens sont mobilisés.

Une étrange rencontre
La vue, façon j’ai la berlue, avec la très belle installation mécatronique de Clorinde Durand, réalisée au Fresnoy en 2010, mais qui semble avoir gagné en fluidité des mouvements. « Medusalith Amaquelin » est allongée dans un bassin d’eau, sa chevelure immense (plus de 3 mètres de long, un exploit pour l’artiste qui a dû convaincre un fabricant de perruques de chambouler sa chaîne de production) s’étalant tout autour d’elle. Quand on l’approche, elle lève légèrement la tête, avec un mouvement de l’épaule plus que troublant. Certains pensent à une performance humaine, tentent de lui parler, sont prêts à compatir (il fait froid). L’étrangeté de la rencontre tient au statut hybride de la créature, ni robot, ni sirène, comme un personnage mythologique revisité à la sauce cyber.

La vue encore, avec le dispositif hypnotique imaginé par Servovalve, noir et blanc, minimaliste comme les compositions du duo français, totalement harmonieux avec l’environnement cinétique de Vasarely. On plonge la tête dans son « Expérience dyptérique » avec le même émerveillement qu’enfant on collait l’œil contre les jouets kaléidoscopes.

L’ouïe est elle aussi sollicitée, avec « Oterp », le jeu pour smartphone (encore au stade expérimental, il sera à terme disponible sur les plate-formes de téléchargement), développé par Antonin Fourneau, une déambulation à l’oreille où il faut attraper des bribes de mélodie façon chasse au trésor. Antonin Fourneau (qui organise les Eniarof, ces fêtes foraines du jeu indé et du retrogaming), prête volontiers son iPhone aux visiteurs, pas bégueule. Au rez-de-chaussée, c’est une autre expérience sonore à laquelle convie le Chœur Itinéris, une chorale classique qui déploie un répertoire pour le moins inhabituel : les sonneries de nos appendices technos. Un décalage impertinent encore accru par le décor monumental des toiles de Vasarely.

Chœur Itineris, extrait de la performance à Gamerz 2011 :

L’oreille (encore), et plutôt les deux, s’étonne du dispositif vidéo imaginé par Paul Destieu, l’ensevelissement sous un tombeau de gravier d’une batterie (et sa disparition, jusqu’à l’évanouissement acoustique). « L’étouffement sonore et visuel » voulu par « Fade Out » est une belle façon de réfléchir à la musique et pourquoi pas d’imaginer la vidéo comme un cas de musique concrète extrême, monumentale et désincarnée.

Jeux d’eau, jeu de force
Le goût n’est pas oublié, en cette soirée de vernissage, avec le drôle de buffet des Dolls in the Kitchen, deux anciennes étudiantes aux Beaux-Arts reconverties dans la performance culinaire sans chichi, intrigante et ludique (des carottes blanches, des choux-fleurs roses, des parcours de dominos en canapés… le tout très bio, très bon).

Et le toucher alors ? Spectaculaire ou poétique, là encore, variété au programme : d’un côté l’installation noir et blanc du bassin à coloriage de Thierry Fournier (sur un pupitre vidéo, on dessine des formes simples, qui apparaissent à la surface d’un bassin, glissent et s’entrechoquent, chacune produisant le son d’une note de gamelan), de l’autre le travail aux champs revisité par Monsieur Moo. L’interactivité d’« Open Source » (2008-2009), la pièce de Thierry Fournier, est belle, et l’interaction autour de la pièce encore plus : les enfants sont ravis, mais les adultes aussi discutent, négocient, jouent avec les formes. Instants rares de partage sensible. La pièce n’a pas été conçue spécifiquement pour Gamerz mais semble trouver à la Fondation sa vraie dimension. Après les jeux d’eau, un jeu de force… Dans une salle au sol couvert de paille (ça sent bon !), une meule attend le visiteur. Les plus audacieux, curieux, habitués, forts aussi, parviennent à la faire rouler, et à trouver le rythme. C’est que la meule est musicale ! Certains samplent, d’autres vont au ralenti, ne parvenant à produire qu’un son saturé, en avance ou en retard sur son temps puisque « la vitesse de lecture est proportionnelle à la vitesse de rotation de la meule ». Démonstration :

« Meule 2 Foin », Monsieur Moo, installation interactive, 2011 :

La boîte à meuh de Monsieur Moo (autre ancien des Beaux-Arts d’Aix, décidément un filon pour les nouveaux médias) n’est pas que drôle. Elle bouscule les règles de l’interactivité, souvent trop bridée, trop dirigée, trop figée, où la seule possibilité offerte au spectateur est d’actionner un bouton, comme avec sa télécommande… Le mode leurre, le décalage, l’inventivité, on les retrouve ailleurs à Gamerz, à la galerie Susini avec le détournement d’une vieille machine à écrire en bot un tantinet rentre-dedans : on communique avec cet « agent conversationnel » (jusque-là, rien de très nouveau) en tapant à la machine (sans possibilité, donc, de corriger ses fautes de frappe), et les dialogues sont là encore drôles, mais pas que. Exemple : « Caca », a écrit un visiteur. « Certains utilisateurs sont fascinés par ce mot, toi aussi ? », demande la machine. Le visiteur répond « non ». « Ouf, j’en peux plus de supporter des utilisateurs idiots », réplique « TWB » (TypeWriterBot), développée par Gauthier Le Rouzic lors d’un workshop sur les objets communicants aux Beaux-Arts.

Action painting radical... à vélo
L’équipe derrière Gamerz aime l’ambiance bricolo hi-tech, les expériences foutraques et pourquoi pas foireuses, les chemins de traverse (pas pour rien que Poptronics est partenaire !). Les deux directeurs artistiques, Sylvain Huguet et Quentin Destieu, sont eux-mêmes artistes dans le collectif Dardex-Mort2faim. Ils racontent cette façon de vivre le festival, en amont, avec les artistes qui viennent achever le développement, remonter ou démonter leurs dispositifs, ce côté fablab (d’ailleurs, certaines des œuvres présentées ont été développées dans le fablab de la Maison numérique d’Aix). « Le Faussaire », dont c’est la première sortie, ne marche pas terrible : il est censé reproduire avec son bras articulé la signature de stars de l’art contemporain mais le collectif Dardex-Mort2faim et Grégoire Lauvin n’ont pas vraiment eu le temps de tout débuguer. Premier « faussaire » digne de ce nom, Andy Warhol.

Comme l’annonce le catalogue pour présenter la soirée Peer 2 Peer 2 Peer du 25 novembre « menée sur un régime volontairement informel », les Gamerz réussissent à brosser un panorama pointu de la création émergente. Et quand ils ne savent pas, ils délèguent, comme c’est le cas cette année avec la soirée Nice to meet you (à Marseille, avec le Riam, autres partenaires de Poptronics…), dédiée au street art. Tryone, un Berlinois venu en bus (hongrois) depuis Bruxelles avec six autres « trentenaires du graff », a déjà investi les murs de l’école des Beaux-Arts avec sa performance au canon (à peinture). A Marseille, le 25 novembre, Markus Butkereit aka Tryone performera « The Cannon Drive by shooting », à même la porte de l’immeuble où s’installe l’association Technè (organisatrice des rencontres Riam), 61, rue Jean de Bernardy. Une action qui puise son énergie dans l’esprit du graffiti, et sa terminologie dans le vocabulaire guerrier pour un action painting radical, le tout à vélo.

Avec son côté un peu brouillon qui rend la manifestation tellement sympathique, Gamerz offre à Aix la bourgeoise une grosse semaine de performances le soir, d’expos le jour, une sélection de machinimas toujours aussi impeccable (signée Isabelle Arvers, qui n’a pas les yeux dans sa poche côté création à partir des moteurs de jeux) et même, cette année, le lancement d’une plate-forme open source (C.H.A.N.C.E., Challenging Networked Communities), un projet européen de réseau social permettant aux petites structures associatives du type Gamerz de mutualiser le booking d’artistes. Que des bonnes idées, avec un budget (fait rare en ces temps de vaches culturelles maigres) en hausse régulière (60 000 euros). Qui dit mieux ?

annick rivoire 

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