Sixième édition de Nuit blanche à Paris dans la nuit du 6 au 7 octobre.
Dernière réalisation du collectif britannique UVA avant Nuit blanche, le clip pour Battles. © UVA
< 06'10'07 >
Nuit blanche, un commissaire à la question

Il y a les grincheux qui trouvent que ça fait foire, les dédaigneux qui considèrent que c’est paillettes et poudre aux yeux et que l’art est ailleurs… N’empêche, la Nuit blanche 2007 a toutes les chances d’attirer cette année encore son gros million de visiteurs battant le pavé parisien (même si les chiffres sont invérifiables, quiconque est déjà sorti lors des précédentes éditions constate de facto la popularité de l’événement).

Alors, elle sera comment cette Nuit blanche ? Concentrée autour de la ligne 14 (la seule automatisée, donc ouverte toute la nuit), elle joue la carte d’un mélange inédit de spectacles de rue et d’arts graphiques et visuels, en prenant une forte orientation nouveaux médias. Cette couleur particulière, tout du long de la centaine de lieux de présentation et grâce aux 400 artistes invités, est la signature des deux commissaires, Jean-Marie Songy, qui dirige le festival des arts de la rue à Aurillac, et Jérôme Delormas, responsable du Lux, Scène nationale de Valence. C’est aussi la dernière Nuit blanche de Bertrand Delanoë et Christophe Girard (le maire et son adjoint à la Culture), avant les élections municipales. La Ville de Paris a en effet inventé en 2002 ce concept de Nuit ouverte aux performances en plein air, à la découverte de l’art contemporain dans des lieux étranges et inhabituels, et à un commissariat différent chaque année. La recette a d’ailleurs été copiée partout dans le monde, avec déclinaisons chinoise, américaine, japonaise, finlandaise… et même provinciale (Amiens propose un tas d’événements notables). Jérôme Delormas défend ses choix pour poptronics (qui proposera les siens ensuite !).


L’alliance du spectacle de rue et des arts graphiques et numériques, c’est un peu la carpe et le lapin. Comment avez-vous conçu cette Nuit blanche avec Jean-Marie Songy, l’autre commissaire qui dirige le festival de rue d’Aurillac ?

Nous avons choisi de travailler ensemble sur un état d’esprit qui est celui de l’espace public et son occupation. La mise en scène de la ville a été notre base commune, chacun avec son background. Nous avons ainsi joué avec les contrastes et les tensions, le feu aux Tuileries face à la lumière magique du Palais Royal, avec la « nuit ardente aux Tuileries » de Carabosse et l’émerveillement hypertechnologique du collectif UVA (United Visual Artists) au Palais Royal. Nous ne nous sommes pas partagés le terrain, tout a été discuté, toutes les propositions apportées, nous les assumons à deux.

C’est la première fois qu’autant de graphistes (VJ’s, graphistes numériques voire typographes) sont invités à Nuit blanche. Pourquoi ?

Ça s’est fait de façon très légère, une fois de plus, c’est la question de l’espace public parisien qui a rendu leur présence évidente. Quand Pierre di Sciullo interroge les passants avec ses affiches, on est bien dans une certaine occupation de l’espace public. Et puis, individuellement, ce sont tous des artistes formidables. Nous proposons beaucoup d’installations où l’immersion est présente, comme l’Expanded cinéma dont la programmation a été confiée à Yann Beauvais. C’est l’idée du cinéma dans l’espace, face à la Bnf, de l’autre côté de la passerelle, un très grand écran avec des jeux sur l’image démultipliée, avec 13 cinéastes programmés. Pareil sur le site des Olympiades : un vis-à-vis entre Komplex Kapharnaüm, qui proposent un documentaire à échelle géante et le détournement littéral de François Chalet sur une tour de Tolbiac (« les tours du chalet »). D’un côté, les habitants du quartier qui témoignent (via une bande son) d’une certaine réalité sociale, avec projections gigantesques, de l’autre la chronique parisienne mise en son par Matthias Wetter des graphismes colorés de Chalet.

Une certaine critique vous reproche d’avoir zappé les grands noms de l’art contemporain, à l’exception de James Turell. Est-ce une volonté délibérée ou l’effet du budget constant depuis le début de Nuit blanche (donc riquiqui à l’échelle de la ville) ?

Pas une seconde. On aurait pu attendre de moi que j’apporte de grands noms, mais j’ai refusé les alibis. Ceux que je propose ne sont pas non plus « contre » ces supposés grands noms. D’ailleurs, certains sont bien repérés dans le milieu de l’art contemporain comme Robert Stadler, par ailleurs designer. C’est davantage le « frottement » (designer-artiste) qui m’intéressait. Ce n’est en tout cas ni une question d’argent ni une volonté de réagir à un certain fonctionnement du milieu de l’art contemporain. Compte-tenu du contexte urbain, de l’échelle (une nuit entière) et du côté « one shot », j’ai été porté naturellement vers ces artistes.

Le budget de Nuit blanche (1,7 million d’euros, dont 500 000 euros du privé) est-il suffisant ?

Il n’a pas bougé par rapport à l’an dernier, c’est un exercice douloureux et difficile avec si peu d’argent d’avoir les meilleures conditions et de faire les meilleurs choix. J’ai bien en tête cette période, entre fin juillet et début août, où ont été rendus les arbitrages qui semblent cruels.

L’espace créé dans l’univers en ligne Second Life pour la Nuit blanche fait-il partie de votre commissariat ? Y voyez-vous une résistance au reste de la programmation ?

C’est peut-être l’espace le plus officiel de la Nuit blanche au contraire ! J’ai proposé dès le départ Agnès de Cayeux ou Valéry Grancher. Le projet a été hébergé au saint des saints, à la direction des affaires culturelles, avec l’appui personnel du maire de Paris. Nous n’avions plus d’argent pour préparer ce projet dans Second Life et c’est à l’initiative du maire que la proposition de Christophe Bruno s’est concrétisée à la dernière minute.

Le parcours suit la ligne 14, qui traverse Paris. Avez-vous conçu la programmation en faisant plus grand public au centre de Paris (Gondry au théâtre du Châtelet par exemple) ?

On met symboliquement un coin dans le patrimonial du centre de Paris. Avec H5 à la bibliothèque Fornay, qui déclenche des réactions hallucinantes dans le quartier par exemple. Sous le titre provoc « Renaissance », ils ont couvert l’immeuble de bâches avec une simulation réalisée à la perfection, comme si la bibliothèque allait être transformée en immeuble hideux vitré de bureaux. Le numéro de téléphone reçoit déjà des coups de fil d’entreprises qui veulent acheter un plateau. C’est évidemment une façon de poser la question de l’immobilier à Paris. De même, on fait se rencontrer slammers et pensionnaires à la Comédie française, soit deux mondes, pendant cette Nuit blanche…

On dit que c’est presqu’impossible de faire bouger Paris culturellement. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Paris est extrêmement difficile pour des questions de sécurité et d’autorisations. On n’a pu par exemple couper pratiquement aucune rue. Pour des raisons institutionnelles, la ville est figée dans un face à face entre l’Etat et la municipalité. Il a été ainsi impossible d’imaginer une installation sur la colonne Juillet à Bastille. Ceci dit, c’est une aventure formidable parce qu’on nous a laissé les clés. Nous avons totalement décidé du parcours et c’est assez incroyable d’être en situation de proposer des choses à cette échelle…

annick rivoire 

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