Rencontre avec la dessinatrice Nine Antico, en compétition officielle à Angoulême avec « Le Goût du paradis » (Ego comme X), 16€.
Egalement disponible, « Cahier dans la marge n°8 » (Arts Factory), 8,5€.
A quoi rêvent les jeunes filles ? L’insouciance dessinée par Nine Antico, jeune dessinatrice en sélection officielle à Angoulême. Dessin extrait de son "Cahier dans la marge" paru en décembre dernier. © Nine Antico
< 30'01'09 >
Nine Antico, mémoires BD d’une jeune fille pas rangée

Elle dessine l’adolescence, aime le rock et sa première BD, « Le Goût du paradis », plongée autobiographique dans le cœur d’une jeune fille des années 90 à Aubervilliers, est sélectionnée au festival d’Angoulême 2009, catégorie Jeune Révélation. Un joli prétexte pour rencontrer Nine Antico, 27 ans, avant son départ pour Angoulême. La clope au bec, le look rock’n’roll et l’air déterminé, la dessinatrice s’est livrée au jeu des questions-réponses dans un bar du côté de la Bastille, à deux pas du bureau qu’elle partage avec d’autres illustrateurs dans un immeuble béton et coursives aux allures de squatt berlinois.

« Je dessine depuis que je suis toute petite »
« Je recopiais des photos puis mes amis, des scènes de groupe. Je suis arrivée à la narration quand j’ai commencé à dessiner mes dimanches en famille. Je ne lisais pas de BD, à part quelques Lucky Luke, des incontournables comme ça. Mon père collectionnait les Charlie Hebdo mais ça ne m’intéressait pas. J’ai découvert la bande dessinée avec Ludovic Debeurme ou Daniel Clowes. A la même époque, vers 18-19 ans, j’ai aussi découvert le rock, je dessinais pendant les concerts, je voulais capter sur le vif l’énergie, le mouvement de la musique. »
Aujourd’hui « lassée » des lives, elle croque alors Sparklehorse, Stephen Malkmus (le chanteur de Pavement), Chloé, Jennifer Cardini, Daniel Johnston, qui, enthousiaste, met ses dessins en ligne sur son site, campe DJ’s et clubbeurs des soirées Panik à l’Elysée-Montmartre. Elle publie un fanzine « Rock This Way », collabore avec le collectif Disco Babel (organisateur de concerts, des championnats de air guitar, du forum de fanzines DIY Boogie et éditeur de la revue « Minimum Rock’n’roll »), pige pour « Nova Magazine » et tient la rubrique « Oh les filles » pendant un an dans « Muteen ».

« A la crèche déjà, j’avais envie de vivre l’amour »
« Le Goût du paradis » naît de son besoin de raconter « le complexe d’être blanche dans le 9-3, à Aubervilliers, de parler de cette adolescence où on se compare à tout pour essayer de trouver sa place, de ce moment où les choses se mettent en place et où tout bascule. J’ai toujours été amoureuse, ou voulu l’être. A la crèche déjà, j’avais envie d’être grande et de vivre l’amour. Je voyais bien que je n’étais pas exactement comme les autres filles. » De la cour de l’école aux années collège, c’est donc le portrait en noir et blanc d’une « petite amoureuse » qui attend qu’un garçon s’intéresse à elle, jalouse et admirative de sa copine délurée Nanou qui sait tout mieux faire qu’elle, sortir avec les mecs, se battre avec les filles...

Surtout, sur fond de repas de famille dominical rythmé par Jacques Martin, « Le Goût du paradis » dresse le portrait en creux d’une adolescente solitaire et sage, bonne élève en décalage avec son environnement banlieusard (rap et roulements de mécanique), qui non seulement n’a pas les même codes que ses voisins, mais n’a pas de codes du tout : les codes, c’est les autres. Reste à s’inventer. « J’ai été refusée par toutes les écoles d’art, ce qui m’a rendue aigrie pendant longtemps. Mais ça m’a permis d’être moins académique, je suis plus laborieuse dans mon dessin, mais plus libre aussi. Mon style, je l’ai trouvé au fur et à mesure que je dessinais “Le Goût du paradis”. Maintenant, je sais ce que je veux, je ne suis pas adaptable, je ne gagnerai pas ma vie comme illustratrice ou graphiste, je préfère être serveuse et développer mes propres projets. »

« Injecter l’intime dans des personnages de fiction »
Après ce premier album, elle dessine un « Cahier dans la marge » pour Arts Factory (dont on disait déjà du bien ici). C’est dans l’exposition qui accompagne (entre autres) la sortie de ce cahier qu’on tombe en arrêt devant un tableau de chasse bricolé, avec des garçons rangés par colonne, du trop beau inaccessible au vraiment pas poss’. Des garçons épinglés comme des papillons, entourés d’ados rêveuses dessinées au crayon de couleur. Mais Nine Antico ne compte pas creuser ce sillon de l’adolescence : « “Le Goût du paradis” porte la trace des années 90, il est temps de passer à autre chose. J’ai toujours envie de parler de choses personnelles, intimes, mais en les injectant dans des personnages de fiction. »

C’est ainsi que sa prochaine BD mettra en scène une fausse bio croisée de Bettie Page et Linda Lovelace (l’actrice du porno « Gorge profonde »), deux grandes figures érotiques. « Je suis très attirée par l’érotisme en BD, plus que dans les films, car on est complètement dans l’univers du fantasme et de l’imaginaire. » Le point de départ : « Une fable où Hugh Hefner reçoit deux filles qui veulent poser pour “Playboy”, et les fait se promener dans la vie de Page et Lovelace. Ce qui m’intéresse chez elles, c’est qu’elles ont eu toutes les deux des vies chaotiques, avec des hauts et des bas, mais ont su construire une carrière en jouant avec leur sexualité, même si Bettie Page était une forte tête qui savait exactement ce qu’elle faisait, pour qui l’érotisme était un jeu, et que Linda Lovelace se voyait plus comme une victime bringuebalée par des choix qui ne lui appartenaient pas complètement. » Déjà soixante pages de faites, mais encore un an de travail, selon elle (on peut en avoir un léger aperçu ) : « Le projet est ancien et à la mort de Bettie Page, j’ai un peu paniqué, ça m’a mis la pression. »

Si elle rêve qu’une de ses BD soit adaptée au cinéma, l’actualité de Nine Antico, c’est Angoulême. En briscarde du festival, dont elle a parcouru les travées pour les éditions Cornélius pendant quelques années, elle ne se laisse pas plus impressionner que ça par le « Cannes de la BD » : « Angoulême c’est surtout l’occasion de boire des coups avec des grands comme Charles Burns ou Daniel Clowes. Dans le meilleur des cas, je repars avec le prix et mon livre est réimprimé. »

julie girard 

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