MuseoGames, une histoire à rejouer, exposition au musée EDF Electropolis, du 16/04 au 21/08/11, du mardi au dimanche de 10h à 18h, 55 rue du Pâturage, Mulhouse (68), tél. : 03.89.32.48.50.

Interview et images de Pierre Giner, concepteur et l’un des trois commissaires scientifiques de l’exposition (à laquelle poptronics a contribué pour sa partie éditoriale).

Nouvelle scénographie pour nouvelle expérience à MuseoGames, qui déménage des Arts et métiers à Paris à la fondation Electropolis, à Mulhouse. © Pierre Giner
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Mulhouse rejoue MuseoGames

Un succès fou ! MuseoGames, première grande exposition jouable dans un musée français, déménage au musée EDF Electropolis à Mulhouse. Cinquante mille visiteurs en ont fait l’exposition la plus fréquentée du musée des Arts et métiers. Comment ça bouge, une expo historique sur le jeu vidéo ? Est-ce exactement le même concept (sur lequel a planché poptronics) ?

Pierre Giner, commissaire scientifique et concepteur de la scénographie, artiste estampillé pop, répond à nos questions. Et nous offre les premières images (en panos recomposés) de la toute nouvelle version de MuseoGames. Sans oublier un autre cadeau en exclusivité : le petit journal de l’exposition, totalement inédit (une réalisation Pierre Giner, avec Poptronics pour les textes et le cabinet de designers lyonnais Trafik pour le graphisme), à télécharger ici-même :

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Cette migration de « MuseoGames, une histoire à rejouer », du musée des Arts et métiers à la fondation Electropolis à Mulhouse, ça donne quoi ?

Pierre Giner : C’est à la fois la même exposition avec les mêmes contenus mais c’est une autre expérience qui la réactive et en fait une exposition totalement redistribuée.

MuseoGames à Mulhouse

Aux Arts et métiers, il s’agissait de montrer une histoire du jeu en mettant au centre le joueur et son activité à l’intérieur même du musée. A Mulhouse, au sous-sol du musée Electropolis, la complexité consistait à redistribuer les contenus sur 300 mètres carrés (au lieu des 600 m2 parisiens). Ce ne pouvait donc pas être la même exposition. Mais ce sont les mêmes contenus, dont on a une expérience différente : il y a toujours une grande salle de jeu, mais cette fois plutôt de jeu en réseau. Le choix des jeux présentés est renouvelé, qui sont jouables sur les mêmes 24 consoles historiques, mises à disposition par l’association de préservation du patrimoine MO5.com.

Il s’agit cette fois de plonger le visiteur-joueur au milieu des points de vue assez différenciés et du vocabulaire graphique du jeu (signé Trafik) déployé sur les murs, via les contenus éditoriaux (réalisés par poptronics) : interviews d’artistes et de créateurs, œuvres d’artistes contemporains vidéoprojetées, phrases écrites au mur de gamedesigners. C’est donc toujours la même exposition, mais présentée autrement, avec en plus la collection de consoles du musée Electropolis.

A part promener les contenus pour des publics autres que parisiens, à quoi sert cette nouvelle version de MuseoGames ?

La mobilité de l’exposition, nous en tirons parti pour l’augmenter de nouveaux contenus, de nouveaux fonds, de nouveaux partenariats et de nouveaux sujets. A Mulhouse, MuseoGames joue moins la visualisation du joueur et privilégie une façon de jouer dans un univers plus large que le seul retrogaming, de rejouer aux premiers jeux au milieu de ce qui en est dit, de ce qui en est fait. En tant que concepteur de l’exposition et co-commissaire scientifique (avec Stéphane Natkin, le fondateur de l’Enjmin, l’école nationale du jeu et des médias interactifs numériques et le scientifique Loïc Petitgirard), il me paraissait indispensable d’écrire cette exposition pour aller vers l’édition de ses contenus. C’est ce qui ressort notamment du journal édité pour l’occasion (en PDF ci-dessus).

La première exposition travaillait d’abord sur la visibilité des consoles et de l’histoire des jeux vidéo dans le cadre du musée. Aujourd’hui elle continue à creuser le sujet grâce aux créateurs historiques du jeu vidéo Philippe Ulrich, Hideo Kojima, Frédérick Raynal, Peter Molyneux, David Cage, aux historiens et critiques, sociologues et chercheurs également.
D’une exposition à l’autre, c’est cependant le même très grand confort de jeu qui est offert aux visiteurs dans un environnement visuel singulier. C’est un peu comme si on déployait dans l’espace réel un « serious game » à propos du jeu vidéo, ce que Stéphane Natkin a très justement appelé « InGame » au cours d’une de nos conversations. MuseoGames à Mulhouse propose d’entrer à l’intérieur du jeu, ça n’est pas une exposition au rabais qu’on ferait tourner, c’est réellement une autre version, une mise en situation augmentée.

Cela préfigure-t-il d’autres migrations et versions de cette première grande exposition jouable en France ?

En effet, chaque lieu qui accueille l’exposition permet d’autres partenaires en Chine, en Corée, au Brésil ou au Canada, à Shangaï, Montréal ou Sao Paulo, mais aussi d’autres points de vue des acteurs du secteur, les créateurs de jeu bien sûr, mais aussi de l’industrie, des studios et des jeunes pousses des écoles. Tour à tour, MuseoGames pourra alors s’intéresser davantage aux questions de design, de scénarios ou des rapports avec le cinéma par exemple. C’est une mise en route de la circulation de l’expo mais également de son augmentation.

Le succès public et critique de MuseoGames aux Arts et métiers a permis de convoquer acteurs du jeu, critiques et industriels. Notre responsabilité est de continuer à raconter cette histoire du jeu, puisqu’à chaque expo, nous nous rendons compte que nous n’en avons pas assez dit et que le travail d’expression du sujet reste à accomplir. On aimerait creuser sur la place de la création, sur le futur du secteur et la place du jeu dans la société, les usages et les médias…

Une question pour les plus « gamers » des visiteurs de MuseoGames, qui avaient apprécié de retrouver (ou découvrir) l’expérience du jeu sur les consoles d’époque : est-ce toujours le cas à Mulhouse ?

On joue toujours sur les consoles d’origine, avec des écrans actuels, c’est simplement la perspective qui change, de l’imagerie du jeu à l’immersion vidéoludique : vous jouez à côté d’un gamedesigner mythique, c’est assez cool non ? Je craignais d’ailleurs qu’on perde des niveaux d’expérience en la faisant voyager mais en fait, c’est comme dans un jeu vidéo : on a fait un upgrade, un nouveau niveau, qui crée une nouvelle expérience. Ainsi, la timeline vidéoprojetée à Paris est ici présentée dans sa version interactive et déployée dans l’espace de jeu. Le dédale des salles à Mulhouse rappelle l’ambiance d’un shoot’m’up.

Dans le contexte politique de préfiguration d’un musée du jeu vidéo, où se place MuseoGames ?

MuseoGames ne se pose même pas la question d’un « musée du jeu vidéo » puisqu’elle a commencé à le faire en passant par le musée lui-même. Son succès indique que c’est peut-être comme ça qu’il faudrait diffuser cette culture, pas forcément dans un musée en tant que tel, mais plutôt dans un lieu qui se situerait entre la Cinémathèque d’Henri Langlois des années cinquante et le musée des arts et traditions populaires, entre usages, pratiques et métiers. En développant, à partir et autour des consoles, en élargissant aux jeux eux-mêmes, à la création et aux créateurs enfin.

Au-delà du retrogaming, plus qu’un lieu de conservation des objets qui serait celui de la fétichisation à l’ancienne, il serait utile de répondre à cette nouvelle forme de cinéphilie, sorte de ludologie ou de ludophilie dont le vocabulaire même est à inventer. Plutôt que conserver d’un point de vue nostalgique et antiquaire, MuseoGames défend l’idée de revisiter la société et la création du point de vue du jeu et de ses pratiques.
D’ailleurs, si le futur musée du jeu vidéo adoptait un point de vue patrimonial sur les consoles, cela poserait la question de la création française elle-même : nous n’avons pas de constructeur de consoles ou de borne, alors que la création française est très présente sur la conception des jeux.

C’est donc l’appellation même de « musée » qui semble à contre-courant ?

Le jeu vidéo a beaucoup plus perfusé la société et la création en général (cinéma, musique, mode, arts visuels…) que le seul prisme antiquaire conservateur. Ce que Poptronics va d’ailleurs montrer dans son hors-série MCD à venir, logiquement intitulé « GameCulture » (merci Pierre pour la publicité, on y reviendra, ndlr). Ce serait dommage de se priver de cette vision du joystick préfigurant les outils de communication actuels, les smartphones comme les tablettes tactiles. MuseoGames, et c’est sa force et sa singularité, est une exposition faite du point de vue de la culture et pas seulement depuis le poste d’observation de l’industrie du jeu elle-même.

En quoi le jeu vidéo est-il une culture et pas seulement un produit de consommation ?

L’objet fini, la console, le jeu, ne le sont que du point de vue commercial. Le numérique crée par définition des objets non finis. L’architecte designer Andrea Branzi évoquait dès les années soixante les villes comme des objets sociaux non finis que les gens s’approprient. Les objets numériques sont précisément des objets non finis, ils sont finis et réinventés par leur usage. Si l’iPad demande à l’utilisateur de se servir de tous ses doigts, ça vient du joystick, pas du papier. Quand Commodore ressort en 2011 sa console 64 en tous points identique (côté design) à celle des années 80, le constructeur ne fait qu’actualiser une technologie. De même avec Super Pong (une version Pong jouable à quatre à intégrer dans une table basse de salon, ndlr), qu’on pourrait presque considérer comme le remake du classique « Pong », comme certains revisitent Fritz Lang au cinéma.

Si Nintendo a tout jeté de son histoire industrielle, c’est bien parce que les industriels travaillent à l’obsolescence programmée, organisée, anticipée de leur production. La conservation des outils est quand même une bonne idée… Mais l’une des bases pérennes de toute cette histoire, c’est le code. Le code informatique se partage, se transmet, s’ouvre, se réécrit… Bref, le numérique est une nouvelle culture qui serait comme un laboratoire permanent, où les images et les récits sont étroitement imbriqués à l’usage, au partage et désormais au réseau. C’est aussi une expérience corporelle. Cette extension du domaine du numérique qu’a initiée le jeu vidéo participe pleinement de nos vies, qui y sont désormais immergées.

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