Exposition « Territoires de l’image » pour les dix ans du Fresnoy, Studio national des arts contemporains, en neuf lieux à Tourcoing, Lille, Valenciennes, Lens et Béthune (59 et 62), jusqu’au 3 février. Rens. : 03.20.28.38.99.
Le 9/11, « Ten years after » : soirée anniversaire avec concerts, performances, DJs, de 19 h à 1 h. Réservations : 03.20.28.38.61.
Parmi un panorama de 80 oeuvres du Fresnoy, l’installation « I Games » de Maïder Fortuné, un théâtre d’ombres mouvant, aux frontières de l’imaginaire et du fantastique. © DR
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Le Fresnoy fête ses 10 ans, sans perdre le Nord

(Tourcoing, envoyé spécial)

Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, fête cette année son dixième anniversaire et s’offre une grande rétrospective sous l’intitulé malin « Territoires de l’image ». Une décade déjà et dix promotions (« Nam June Paik », « Godard », « de Beauvoir »...) pour une école pensée à la fin des années 80 et réalisée en 1997, sous la houlette de l’écrivain et artiste Alain Fleischer et de l’architecte Bernard Tschumi, qui a réhabilité un ancien centre de « distractions populaires » jadis très prisé à la périphérie de Tourcoing. Le choix d’implanter cette école d’un genre nouveau dans la grande région lilloise a longtemps été perçu comme le résultat de parachutages politiciens, déconnecté du contexte social plutôt lourd de Tourcoing. Mais le Fresnoy, s’il n’a pas toujours réussi à faire venir à l’art les populations sinistrées du coin, a quand même réussi à inscrire la France dans le paysage international des nouveaux médias (vidéo et nouveau cinéma, installations interactives et sonores).

L’école du Fresnoy, qui recrute ses étudiants à haut niveau, milite pour « une pédagogie en acte » (Fleischer), qui débouche obligatoirement sur la production d’œuvres originales explorant « l’imagerie moderne » : au départ, ce vœu pieu était souvent concrétisé sous la forme de pièces d’art vidéo, dont les meilleures ont fait et font le tour des festivals « pluri », mais de plus en plus, et ce en grande partie sur l’impulsion d’Eric Prigent (en charge de la création numérique), les élèves, encadrés par des artistes, se tournent vers des procédés « installatoires » (voir à ce sujet Panorama 8). Dix ans, cela méritait un anniversaire digne de ce nom : neuf lieux éclatés, histoire d’entretenir de bonnes relations de voisinage, accueillent la rétrospective de quelque 80 pièces (choisies parmi une production totale de 450 oeuvres), qui, plus qu’un « style » Fresnoy, recense une façon d’observer le paysage industriel du Nord ou d’envisager l’œuvre baignant dans l’image.

On dirait le Nord

Première étape, la Maison de l’Architecture et de la Ville de Lille, coincée entre les deux gares TGV et le centre commercial high-tech. Dans ce petit endroit biscornu et ultra moderne, Matthieu Kavyrchine s’empare des pourtours lillois pour en restituer la beauté. Ses performances consistent à lacérer ses propres photographies d’environnement « standardisé », à coups de nunchaku et à filmer la ville comme un corps. « Portrait », installation pour trois écrans suspendus présentée en 2004 dans « La ville qui fait signes », dévoile par un lent panorama de 35 minutes sur 360° l’évolution urbaine de la métropole nordiste : Kavyrchine fait ainsi apparaître la zone de frontière entre Roubaix et Lille, la trace des anciennes industries ou l’incroyable densité (la première à l’échelon européen) des supermarchés.

Au Palais des Beaux-Arts de Lille, Christine Felten et Véronique Massinger s’emparent aussi des paysages nordistes pour en souligner l’âpre beauté. Par souci de contradiction face au tout numérique, elles utilisent un sténopé pour la série « Canal Caravana Obscura » (1998) : quatre grands tirages (2,50 x 1 m) juxtaposés, quatre traversées sépias d’un paysage (les abords d’un canal) qui a tout d’un rêve conscient, diffus mais bien là, comme une contingence. Un paysage n’est pas qu’une réalité, il est aussi une création du regard : c’est ce que mettent en avant les films de Julien Lousteau (« De Wind », 2001) et Dominique Gonzales-Foerster (« Plage », 2001) qui, chacun à sa manière, documentent le réel de manière infiniment poétique : un paysage d’éoliennes, la nuit, le long d’une crête pour le premier, scandé de titres de films imaginaires, et la surréelle plage de Copacabana pour la seconde. Hors du réel au contraire, l’installation vidéo interactive de Magali Desbazeille et Siegfried Canto, « Tu penses donc je te suis » (2000) : le spectateur marche sur une image vidéo projetée au sol de piétons filmés par en dessous. Au contact avec l’image d’un piéton, on entend ses pensées, ce qui surprend puis amuse et finit par captiver.

Mouvement et geste artistique

Maïder Fortuné (au Musée des Beaux-Arts de Tourcoing) décline depuis son passage au Fresnoy son expérience du mouvement (elle a reçu une formation de mime) et une interrogation sur le geste comme acte artistique. « I Games » (2001) se présente sous la forme d’une installation vidéo en quatre volets, où l’artiste incarne tour à tour une ado sous la pluie, filmée en gros plan, qui saute sur place, puis tient un ballon à tête humaine, déambule d’un air inquiet et enfin fait de la balançoire. Mise en scène épurée, regard sur elle-même vue par le monde, son imaginaire n’est pas loin du fantastique tel que conçu par Todorov, un glissement du réel vers l’irrationnel.

L’aléatoire photographique

Louise Crawford est elle aussi adepte du contre-pied. « Je ne me considère pas comme photographe et la photographie en soi ne m’intéresse pas ». Cette artiste qui fait d’habitude évoluer sa pratique autour de la sculpture et du film, choisit ici de laisser parler son inconscient en prenant des photos Polaroïd de manière aléatoire : la série « Innocent World » (1999) se compose de huit agrandissements de ces photos par définition pauvres, proches d’une esthétique Super 8. L’innocence revendiquée est celle de paysages aquatiques à la troublante intensité picturale, là aussi comme un rêve éveillé (à relier à l’installation vidéo de Carolina Saquel, « Un portrait peut avoir un fond neutre », diptyque de 2005, très épuré assez proche d’un Mondrian, en plus... maritime).

Fourre-tout déambulatoire

Retour au Fresnoy, pour une exposition qui, à force de tout mélanger, a des allures de fourre-tout déambulatoire. On retiendra néanmoins, parmi une palanquée d’œuvres, l’autre installation vidéo de Maïder Fortuné, « Slak » (2002), où deux corps s’opposent, fusionnent, forment mot et monde et celle de Yuji Oshima, « The Spiral » (1999). Conçue comme une spirale de papier blanc (par opposition à la brique lilloise !), cette installation sonore réduit le spectateur à ses oreilles puisque il n’y a rien à voir et tout à entendre, grâce à un système de huit enceintes débitant d’étranges cliquetis.

Un peu d’humour (enfin !) avec la « Mort d’un poisson rouge » (1999) de l’inénarrable patrickandrédepuis1966, qui se filme en train d’avaler à la paille les 9 litres d’eau d’un aquarium ( ! ) ou avec le film drolatique de Gregg Smith : cet étudiant sud-africain joue au « Touriste » (2003) en se filmant dans la posture d’un étranger Tati-esque qui génère des situations absurdes en partie dues à la barrière de la langue. Une légèreté bienvenue.

benoît hické 

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