Deux bilans plutôt qu’un au festival Ars Electronica, la Mecque des nouveaux médias qui se tenait à Linz, en Autriche du 3 au 8 septembre. Première partie : les découvertes et coups de cœur de notre pop’envoyée spéciale, en partenariat avec Arte.tv.
« Nemo Observatorium » du Belge Lawrence Malstaf : l’expérience multi-sensorielle d’être dans l’œil du cyclone. © DR
< 15'09'09 >
Ars electronica festival, to be followed (1/2)

(Linz, envoyée spéciale)
Pour ses 30 ans, du 3 au 8 septembre, le festival Ars Electronica a battu ses records : 300 événements, 800 artistes et scientifiques en provenance de 31 pays, 565 journalistes et 72500 visiteurs... Le festival des nouveaux médias autrichien a beau être un mastodonte, poptronics y a comme promis déniché de nombreuses perles. Revue non exhaustive de ces coups de cœur et découvertes (avant le bilan en bonne et due forme).

La BD version brevets
« Perpetual Storytelling Apparatus » des artistes et designers berlinois Benjamin Maus et Julius von Bismarck est une machine à créer une histoire illustrée, sans fin, en utilisant les images associées aux brevets. A partir d’un classique non révélé (un best-seller selon leur page web), la machine conçue par les deux artistes dessine, en continu et sur papier, des images issues d’une analyse des mots du texte et de la recherche de ceux-ci à travers la base de données de l’United States Patent and Trademark Office, l’organisme chargé des brevets aux Etats-Unis. Les images sont elles-mêmes liées à d’autres visuels, et pour chaque terme de la recherche, les dessins reliés entre eux par la chronologie des brevets sont imprimés les uns à la suite des autres. La richesse visuelle des iconographies de styles très différents, dans des domaines connexes comme éloignés, crée une narration. Cryptée mais tissant néanmoins une multiplicité de récits. Beaucoup de visiteurs sont d’ailleurs partis en emportant des bouts de l’histoire, pour tenter d’en déchiffrer l’intrigue ou simplement apprécier les images hors contexte.

Trio de robots et zoetrope vidéo
Plaisir de la déambulation à travers le nouveau centre Ars Electronica, le musée du futur autrichien qui distribue sur 6500 m2 et plusieurs niveaux des expositions temporaires, des installations et autres expérimentations entre art, science et technologie. On tombe ainsi sur la jolie petite exposition « Poésie du mouvement » (jusqu’au 31/12). A voir absolument d’autant qu’on peut y jouer aussi par Internet, l’installation « Quartet » de Jeff Lieberman et Dan Paluska, un instrument de musique robotique composé d’un marimba qui crache des balles de ping-pong, d’un ensemble de 35 verres et de percussions. Le visiteur/l’internaute sont invités à composer une mélodie, qui est aussitôt jouée sur l’instrument, les films de chaque composition étant mis en ligne dès que le morceau vient d’être joué.

Autre coup de cœur de cette poésie cinétique, outre les sculptures mobiles d’Arthur Ganson, « Bellows » d’Eric Dyer, une version contemporaine du Zoetrope, un jouet optique préfigurant le cinéma. Il a conçu un dispositif qui jongle avec notre perception visuelle : nous voyons à l’œil nu une sculpture cinétique qui tourne trop vite pour que nous puissions en deviner les détails, et, à ses côtés, la projection de la captation en direct par une caméra de cette même sculpture. Le mouvement apparaît alors comme ralenti à l’image, et fait apparaître des formes différentes, un mouvement martial, des structures colorées répétitives... Avec ce dispositif, Eric Dyer mélange animation et objet physique, magie et vision.

La dérive urbaine en vélo
Blast Theory, le collectif britannique connu pour ses projets de « réalité mixte » où espaces physiques et informationnels s’entrecroisent, invitait les festivaliers et les habitants de Linz à monter sur un vélo, non pas pour déclencher mille et un effets interactifs mais pour un jeu-performance-déambulation, « Rider Spoke » (2007). Le vélo comme interface d’échange ludique. Chaque participant-acteur part en solitaire le soir dans la ville sur son vélo équipé d’un petit écran tactile. Pour répondre ou écouter la voix qui l’amène à répondre à des questions et à entendre les réponses des précédents participants, il lui faut choisir un emplacement précis, qui n’a pas été précédemment sélectionné par quelqu’un d’autre. Les questions-défis alternent souvenirs à partager, promesses à faire, ou suivi à distance de passants pour décrire leurs actions. Au terme d’une heure environ, la performance s’achève et le joueur doit rapporter son vélo. Ce dispositif plutôt simple, qui paraît a priori moins riche que les précédents projets de jeux de réalité augmentée du collectif britannique (comme par exemple « Ulrike and Eamon Compliant », présenté à la biennale de Venise), est néanmoins le creuset d’une très belle expérience, révélant une réflexion sur soi et la ville qui paraît tout autre qu’au quotidien.

Boire et pisser pour recycler
« Drink. Pee. Drink. Pee. Drink. Pee. » est une installation-laboratoire où plusieurs fois par jour, les deux artistes à l’origine du projet, Britta Riley et Rebecca Bray (qui se font appeler Britta et Rebecca), ont mené de courts ateliers avec les visiteurs d’Ars Electronica pour transformer l’urine en engrais à utiliser chez soi. Avec un dispositif ludique, les deux artistes tentent de faire prendre conscience des conséquences pour l’environnement du trajet de l’urine : les composants chimiques de l’urine qui peuvent provenir des médicaments ingérés se retrouvent par exemple à notre insu dans l’eau du robinet, ce qui affecte la faune et la flore. Au-delà de la simple dénonciation, Britta et Rebecca proposent une solution à domicile : si chacun fabriquait son propre engrais à partir de son urine filtrée, l’environnement serait moins affecté. Concrètement, le visiteur mesure le PH de son urine, l’hume et en note la couleur, avant de rajouter des produits chimiques (de l’uréase d’abord puis du chlorure de magnésium), de faire bouillonner le tout puis le refiltrer pour obtenir une dose d’engrais pour arroser ses plantes.

Britta et Rebecca (qui s’expliquent pour Arte.tv, partenaire de poptronics sur cet Ars Electronica) développent un mode de recherche collaboratif, qu’elles appellent « R&D-I-Y, Research and develop it yourself » (recherche et développement à faire soi-même). L’innovation et la recherche à la portée de tous, partagées et développées par des gens ordinaires, de façon horizontale et non hiérarchique. Elles viennent d’ailleurs de lancer le projet « Window Farms » qui propose à chacun de faire pousser des plantes sur sa fenêtre (selon leurs tests, une salade par semaine sur une fenêtre new-yorkaise), en ville, en utilisant des matériaux recyclés ou peu onéreux.

Dans l’œil du cyclone
Tempête sur Linz ? Pas vraiment, mais « Nemo Observatorium » de Lawrence Malstaf, l’installation qui a emporté le Golden Nica dans la catégorie Interactive Art, permet d’en faire l’expérience de manière intime, de se retrouver au cœur du cyclone. Le visiteur se place au centre d’un cylindre transparent et appuie sur un bouton. Se déclenchent alors des bourrasques qui font voltiger à haute vitesse de petites bulles de polystyrène, dans un mouvement trop rapide pour être suivi. La personne à l’intérieur décide de la durée du tourbillon. De l’extérieur, cela ressemble au chaos, mais du dedans, la sensation est tout autre, mélange de calme et quelquefois d’euphorie ou de peur.

Lawrence Malstaf, artiste belge qui oscille entre design industriel et scénographie des arts de la scène (avec Meg Stuart ou d’autres chorégraphes), invente un autre rapport à l’expérience physique, pluri-sensorielle (voir l’entretien réalisé par Arte.tv). « Nemo Observatorium », comme « Shrink », performance présentée également cette année à l’Ars Electronica festival, sont des métaphores de la capacité d’adaptation à l’environnement des êtres humains. Et le résultat de l’expérience, plaisante ou flippante, dépend largement de leur capacité à être en symbiose avec leur environnement, ou en tout cas à s’adapter à des situations qui à première vue n’ont rien d’enchanteur.

Allô, ici l’opéra
« Opera Calling » du collectif  !Mediengruppe Bitnik (en collaboration avec Sven König) est une intervention furtive que les artistes suisses ont menée à Zurich de mars à juin 2007, en cachant des microphones à l’opéra. Les représentations sont retransmises à l’extérieur, dans une salle d’exposition ainsi que par téléphone : un serveur téléphonique appelle de manière aléatoire les habitants de Zurich pour leur proposer d’écouter l’opéra en direct depuis chez elles. Certains raccrochaient tout de suite mais d’autres écoutaient toute la représentation. C’est sous forme de vidéo que le collectif a choisi de présenter leur projet à l’Ars Electronica.

« Opera Calling », avec écran noir et sous-titres, de !Mediengruppe Bitnik :

« Opera Calling », qu’on peut voir à la galerie Plug.in (jusqu’au 8/11 à Bâle), a été développé à l’occasion d’une exposition de six mois au Cabaret Voltaire à Zurich, prétexte à creuser le « hack » artistique, qu’ils envisagent en trois phases, l’appropriation, la manipulation, le retour (feed back). « Opera Calling » est la réponse de Bitnik à la notion d’appropriation. Quant à la seconde, ils ont conçu le projet en ligne « Download Finished », une interface qui permet de créer des films à partir de films que l’on trouve en ligne (dans les réseaux peer-to-peer, les archives en ligne...). Enfin, pour le « feed back », Bitnik a mené une série d’ateliers en collaboration avec d’autres collectifs, dont les Espagnols de Platoniq, ce qui a donné naissance au projet « A Hack a Day », encore actif.

« Opera Calling » s’approprie une « situation » dans l’espace public. Alors que 80% des fonds pour la culture à Zurich sont consacrées à l’opéra, les places restent onéreuses et les scénographies un rien conservatrices. Et l’opéra de Zurich a tenté de mettre fin au projet en cherchant les microphones dans la salle de concert. Pour partager leur expérience au-delà de la performance, Bitnik a conçu un mode d’emploi. Une manière de faire référence aux documents du même nom (« How To ») qui accompagnent les logiciels libres mais aussi de renvoyer à l’art conceptuel où les descriptifs d’œuvre servent à la fois à les créer et à les présenter.

Entretien avec Carmen Weisskopf et Domagoj Smoljo de !Mediengruppe Bitnik (réal. Arte.tv) :


anne laforet 

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