« M. CHAT, X ANS », exposition urbaine à Orléans. Jusqu’au 22/12 à la galerie l’Escalier, 17, place de la Bascule, et à la galerie Gil Bastide et jusqu’au 05/01 au Musée des beaux-arts, place Sainte-Croix et à l’Astrolabe, bd A. Avisse, et dans toute la ville.
M. Chat squatte le Musée des beaux-arts d’Orléans, sa ville natale. © Collectif Chat / Benjamin Dedieu
< 18'12'07 >
A Orléans, ça se passe comme Chat

Orléans, envoyée spéciale

Ce qui est bien avec M. Chat, c’est que clando ou officiel, le sourire à grandes dents du félin jaune dérange toujours autant. A droite, à gauche, chez les institutionnels de la culture comme chez les habitants du cru, tel cet artisan qui voudrait bien qu’on lui explique pourquoi l’auteur de graffiti est parfois condamné et d’autres fois fêté à coups d’expositions et d’affiches partout. Dix ans déjà que M. Chat et sa silhouette cartoonesque tutoie les toits des villes et des cités, parfois ailé, posant son énigmatique sourire, tel un message de pure poésie, dans nos villes saturées de signes publicitaires ou sécuritaires. Dix ans qu’il fête à sa façon, en investissant Orléans, sa ville natale, jusqu’à provoquer de drôles de réactions.

Comme beaucoup des artistes issus de la mouvance des arts de la rue, l’auteur de M. Chat se planquait derrière un collectif d’artistes. Une décennie plus tard, de manifestations anti-CPE en rencontre artistique majeure, en l’occurrence celle de Chris Marker, le cinéaste du réel qui en a fait l’objet de son dernier docu-fiction, « Chats perchés », Thoma Vuille revient à visage découvert à Orléans. Entre-temps, il a investi le parvis de Beaubourg, en 2004, a défilé au 1er Mai de New York, est passé par Francfort, Hong Kong ou Macao en 2006. Bref, M. Chat s’est offert un joyeux tour du monde, mégalo et vertigineux, qu’il achève momentanément avec cet envahissement d’Orléans sur tous les fronts : Musée des beaux-arts, affiches de rue, plaquettes du Conseil régional, médiathèque, galeries, journal local

Orléans, la ville anti-jeunes

Mais la déferlante passe mal : localement, on accuse M. Chat d’être récupéré par la municipalité (de droite) qui en ferait un objet de communication à sa gloire et redorerait ainsi son image auprès des jeunes à quelques mois de l’élection. La mairie d’Orléans, c’est un fait, n’aime ni les jeunes (arrêté « couvre-feu » contre les mineurs de moins de 13 ans en 2001), ni les SDF (arrêté « anti-bivouac » en 2002). Mais c’est bien mal connaître Thoma Vuille, au RMI depuis dix ans, que de le croire instrumentalisé par les politiques du cru. Thoma a créé une association pour monter cet anniversaire orléanais, a fédéré une bande de citoyens proches de la culture urbaine, aimant le chat et son message œcuménique (ambiance à la Lewis Caroll, le sourire d’un sphynx ne vaut pas toujours approbation…), lesquels se sont battus en économisant sur tout, et surtout sur les non-subventions...

Un chat sur la ville

Un après-midi début décembre, lors d’une rencontre organisée avec des spécialistes de l’art urbain, d’un sociologue, d’un représentant du centre Pompidou, et d’une ex-journaliste de « Libération » (auteur de ces lignes), la tonalité des questions du public indique qu’ici, M. Chat fait partie de la campagne municipale. Pourtant, les Parisiens qui ont fait le déplacement à Orléans pour y voir ces hordes de chats colonisant les cimaises du Musée des beaux-arts ou s’invitant en carton découpé à dialoguer avec les animaux empaillés du Muséum d’histoire naturelle, n’y voyaient qu’un joyeux événement, un chat sur la ville, un sourire géant venu recouvrir les clichés tenaces sur la ville à la pucelle la plus célèbre au monde, confite dans son patrimoine pesant (malgré les tentatives diverses pour la tirer vers des horizons culturels plus pointus, type Archilab, notamment).

Les Orléanais se sont-ils sentis réellement envahis pour ainsi réagir avec une virulence d’un autre âge quand il s’agit de manifestation culturelle ? Tracts haineux (« la délinquance entre dans l’institution ») et effacement express de la fresque au sol de M. Chat devant la médiathèque (peinte samedi, effacée « accidentellement » le lundi), anathèmes jetés en place publique par les opposants à la municipalité et questionnements, jusque dans les pages de « Libération », sur les limites d’un art urbain sorti de la clandestinité, donc de la rébellion, et qui du coup aurait perdu toute pertinence.

« Réhumaniser les zones de non-lieu »

Ce débat, les street-artistes, les post-graffeurs et autres qualificatifs qui désignent cet art hors les murs des galeries et des musées, le connaissent bien. Faut-il vivre caché pour vivre artiste ? La qualité plastique des interventions dans l’espace public tient-elle uniquement à son illégalité ? Questions absurdes si l’on se contente d’opposer artificiellement création officielle et art clandestin. Laurent Mazuy, agitateur culturel à Orléans, le résume admirablement : « Le chat ne se décline pas en logotype, mais furtivement nous captive ». Le rédacteur en chef de « Graff’it », le magazine qui a failli disparaître suite aux attaques de la SNCF pour diffuser les photos des plus beaux graffs urbains sis dans les friches ferroviaires (trois ans de procédure judiciaire, 150 000 € de dommages et intérêts demandés), rappelle justement que le mouvement graffiti avait pour objectif de « réhumaniser des zones de non-lieu de ces espaces publics comme les zones ferroviaires ». « Au départ, l’impulsion, ajoute Thoma Vuille, c’était de mettre de l’humain et de l’amour dans la ville : Orléans était une ville plutôt grise et on avait besoin d’un peu de soleil partout. »

Enfin, l’intervention de M. Chat à Orléans, quand bien même serait-elle canalisée par les institutions qui l’accueillent, reste une manière bien particulière d’investir l’espace. Au musée, les chats flottent au-dessus des statues antiques, se posent derrière le coude d’une Vénus allongée, squattent en toute amitié devant un Hantaï et chatouillent le bonnet d’un notable. Au muséum, les répliques cartonnées embrassent les ours empaillés et les masques de chat circulent dans les cours d’école. Lucie, 6 ans : « En fait, c’est un crâneur M. Chat, il veut être partout ! » Cette occupation fait masse, sature l’espace, pour provoquer, faire réagir, jusqu’au malaise, visiblement.

Pour achever cet envahissement, Thoma Vuille a une solution toute trouvée : « Avec la performance, je travaille sur moi, comme ça, les 30 à 40% de gens qui ne sont jamais d’accord sur une intervention dans l’espace public ne pourront pas s’y opposer. » Au 5 janvier, les chats jaunes disparaîtront des musées, médiathèques, journaux, et peut-être des murs de la ville. Comme les rats du conte de Grimm ont quitté la cité au son de la flûte… La morale de l’histoire est encore à venir : Orléans mérite-t-elle son chat ?

annick rivoire 

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