André Lozano est parti du 22 au 27 juillet à Kansas City (Etats-Unis) pour la convention annuelle Apple II, le KansasFest, pour y présenter « Dialector », un programme original et inédit de Chris Marker réactivé par ses soins, avec le concours de l’artiste Agnès de Cayeux et de la fondatrice de Poptronics Annick Rivoire. De retour en France, il raconte la rencontre, l’ambiance, et s’interroge sur la tendance au rétrocomputing.
Une session du KansasFest, qui réunit chaque année depuis 1989 les Apple II « enthousiastes » à Kansas City. © Dean Nichols
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Comment j’ai reloadé Dialector de Chris Marker au KansasFest

Donc voilà, je suis parti avec ma disquette 5 pouces 1/4 de « Dialector » dans le sac à destination de Kansas City, Etats-Unis, pour « reloader » le programme que Chris Marker a écrit au mitan des années 1980. Et ce dans un environnement technologique et sociologique unique en son genre, le KansasFest, le rendez-vous des « enthousiastes » de l’Apple II.

Ce que Annick Rivoire, Agnès de Cayeux et moi-même désignons par « reload » est une réactivation, sur du matériel informatique d’époque, du programme « Dialector » écrit par le cinéaste documentariste et artiste multimédia il y a 30 ans. Comme « Dialector » est un programme de conversation avec la machine, nous invitons des volontaires à l’activer puis nous en conservons l’émotion et le dialogue.

Arrivée à Kansas City

Après avoir décollé du Luxembourg en passant par Munich et Philadelphie, j’atterris à Kansas City, « la ville des fontaines ». Dix-sept heures de vol plus tard, je me retrouve trente ans plus tôt sur la ligne du temps informatique.


Vide-grenier rétrogeek à l’arrivée au KFest. © Loz

Dès mon arrivée à l’université de Rockhurst, à peine l’entrée principale franchie, je trébuche sur une montagne d’encombrants informatiques. C’est une sorte de tradition : chaque année de généreux donateurs se séparent de leur collection. C’est une sorte de vide-grenier entre connaisseurs. Cette année Eric se sépare de son matériel avec une note de tristesse parce qu’il n’est pas certain, vu son âge très avancé, de revenir à KansasFest. Chacun se sert selon ses besoins et partage selon ses moyens son patrimoine matériel et sentimental. Je ne rapporterai de cette manne qu’une joystick fonctionnelle, tout le reste étant ou trop volumineux ou incompatible avec les normes électriques européennes.

J’éprouve un étrange sentiment en me retrouvant ici, à 7500 km de chez moi, dans ce lieu improbable, une université jésuite déserte, perdue dans une ville au centre des Etats-Unis, parmi 70 à 80 « attendees » (participants), fervents utilisateurs d’ordinateurs Apple première génération. Je m’interroge : c’est quoi au juste l’obsolescence ? doit-on se résigner à changer de matériel constamment ? et si la résilience à l’innovation était possible ? ici-même, avec Dean, Vince, Andrew et Quin ? Jeunes et vieux, initiés ou débutants, une contre-innovation s’ébauche.

« Apple II for ever »

Résistons aux sirènes de la nouveauté, bye bye Ipod, Iphone et MacBook ! ici c’est « Apple II for ever ! » et tous de s’émerveiller devant un processeur MOS 6502. Il règne une sorte de fébrilité parmi les participants que j’imagine semblable à celle qui animait les concepteurs d’ordinateurs de la fin des années 1970, avant la West Coast Computer Fair de San Francisco. On s’identifie facilement aux deux Steve assemblant leur Apple I dans le garage du père de Jobs : l’esprit « Garage » règne. Une atmosphère informatique davantage bermuda et tee-shirt que costard cravate. Le plus incroyable, c’est que l’aventure continue chaque année, voire se développe (certains se réjouissaient de voir plus de participants en 2014), et apporte son lot de nouveaux logiciels, de nouveaux matériels, de développements les plus fous pour une plate-forme, l’Apple II, dont la production a cessé… il y a plus de 20 ans. Respect !


La traditionnelle photo de groupe de fin de festival au KFest. © DR

Ils viennent presque chaque année des quatre coins des États-Unis, du Nebraska, de New York, de Californie, en avion, en voiture, même en camion (plus pratique pour transporter le matériel). La première manifestation s’est déroulée en 1989. A l’époque, Apple se focalise sur le Macintosh en abandonnant les pionniers, le Basic, l’Assembleur et les petites compagnies fabriquant toutes sortes de périphériques électroniques. Un tournant pour la micro informatique : les artisans balayés par l’industrie, et les Apple, Microsoft and co. en nouveaux IBM.

8bit fidelity

Je m’étonne encore, pourquoi une telle fidélité à l’Apple première génération ? Alors je pose la question autour de moi. Lorsque j’ai demandé à George Elmore pourquoi il était passionné par ces vieilles machines, il m’a confié que « rien ne peut remplacer un premier amour, on lui reste fidèle toute sa vie, c’est comme ça ». Dave Schmenk, qui développe l’intégration du Rasberry Pi dans l’Apple, reproche aux machines actuelles leur froideur. Elles sont trop « antiseptic » à son goût, d’où son attachement à ces vieilles machines, « more warm ». Il s’agit, souvent, de retrouver le « gameplay » de leur jeunesse. D’ailleurs on joue beaucoup au KFest. Mieux, on réalise de nouveaux jeux pour l’Apple II comme le RPG « Lawless Legends » présenté en exclusivité mondiale à Kansas City.

Mais encore ? D’où vient donc cette attirance ? Le titre du livre de Steven Weyhrich sur l’histoire d’Apple, « Sophistication & Simplicity », est peut-être un bon raccourci pour comprendre ce que représente cette génération d’ordinateurs. Comme le clamait la première publicité d’Apple, « la simplification est l’ultime sophistication ». A la fois simple et sophistiqué avec ses 64 kilobytes de mémoire, ce micro-ordinateur était ouvert à toutes les modifications et à tous les développements, un système ingénieux qui généra un véritable écosystème autour de lui, avec ses petites et grandes entreprises développant, jour après jour, logiciels, jeux, périphériques, hardware, etc.

Climat et climatisation

Il faut être un peu fou pour affronter 35 degrés avec un taux d’humidité de 80% (une moyenne en juillet à Kansas City), mais aux Etats-Unis aucun souci, les voitures, les bus, les magasins, tout ou presque est climatisé –de fraîches et agréables nuits en perspective dans les dortoirs de Rockhurst. Sauf que le KansasFest est une sorte de marathon et qu’il n’est pas question de dormir : à toute heure du jour et de la nuit, dans les chambres aux portes entrouvertes se déroulent d’interminables discussions, des ateliers improvisés et autres démos. Certaines chambres sont de véritables capharnaüm informatiques, mon voisin d’en face surfe sur le net avec son Apple II GS, celui d’à coté compose de la musique sur un IIc et un peu plus loin je ne sais pas, mais ça discute jusqu’à pas d’heure.

4 heures du mat, jetlag oblige, je descends faire un tour au « lobby », histoire de prendre quelque chose au distributeur automatique, et je croise une dizaine d’Apple lovers discutant avec animation. Les geeks ne dorment jamais à KansasFest. Ça tombe bien, moi non plus je n’ai plus sommeil, demain je fais ma présentation de « Dialector ».

« Dialector », Chris Marker et les rétrogeeks


« Dialector » en guest star française au KFest 2014. © Sarah Walkowiak

KansasFest est le lieu et l’événement rêvé pour reloader « Dialector ». Hormis le saut temporel de 30 ans qui nous situe exactement au moment où le programme a été écrit par Chris Marker, l’environnement anglophone est parfait pour un programme qui parle anglais. Par ailleurs, il n’y a qu’ici, avec tous ces spécialistes en Applesoft Basic et en Apple II, que l’on peut non seulement jouer avec « Dialector » mais encore en analyser toutes les subtilités algorithmiques. Avec Annick et Agnès, nous avons tout fait pour replacer « Dialector » dans son contexte historique et technologique, pour mieux en saisir la force et la pertinence. Ici à KansasFest, c’est le test ultime. Si demain, le programme rencontre le succès, alors Chris Marker méritera, plus que jamais, notre profonde admiration en tant que pionnier de l’art numérique.

À la fin de mon introduction, c’est Sarah qui s’est proposée pour converser avec « Dialector », sur un Apple IIc original –et clavier Qwerty pour une fois. Naturellement, le dialogue s’est animé plus qu’à son habitude, puisque de nombreux jeux de mots ont un rapport direct avec l’esprit des Apple Users de la première heure. Grand éclat de rire lorsque « Computer » (le nom de votre interlocuteur dans « Dialector ») a dit « NEVER TRUST ANYONE OVER 256K » ou « DO YOU PUT A ’K’ ON YOUR SHIRT ? » –de l’humour geek impénétrable pour les non initiés.

Durant toute la présentation, l’audience a parfaitement réagi, par ses questions et ses suggestions, à la qualité artistique de « Dialector » et au sens de l’humour propre à Chris Marker… Mission accomplie quand la « session » « Dialector » s’acheva sous les applaudissements du public.

Apple Forever

Ici on est fan de Apple, mais on n’aime pas forcément les Macintosh. Margot Comstock à la fin de sa conférence inaugurale nous confie qu’elle a arrêté son magazine « Softalk » avec l’arrivée du Macintosh. Apple, sous l’impulsion de Steve Jobs, s’est orienté à la fin des années 1980 vers des machines prêtes à l’emploi, ne nécessitant que très peu de connaissances en informatique et rendant la communauté des utilisateurs et leurs clubs, leurs revues et leurs connaissances totalement obsolète.

A sa sortie, j’ai été très fan de l’interface graphique du Mac. Pourtant, quand on y pense, cette interface fut à la fois la meilleure et la pire des choses qui pouvait arriver à l’informatique. En rendant l’ordinateur aussi simple à utiliser qu’un jouet d’enfant, Apple a rendu les utilisateurs bien plus ignorants et dépendants. Il y a trente ans, 5% d’entre nous possédaient un ordinateur mais presque 95% de ses propriétaires étaient techniquement capables de programmer ou de modifier leurs machines. Aujourd’hui, nous allons supposer que 95% d’entre nous ont un ordinateur et que nous ne sommes plus que 5% techniquement capables de programmer du code ou de transformer une machine.

Les vidéos conférences en direct depuis Kansas Fest

En arrivant ici, j’ai rencontré Olivier, un Français d’origine devenu Américain, qui lui aussi vit sa première KFest, et offre un compte-rendu quotidien pour la page Facebook française dédiée aux fans d’Apple première génération. Il sera mon intercesseur auprès de tous ces Américains pendant mon séjour à KansasFest. Je suis l’unique participant à venir d’un autre continent.


André Lozano, un Frenchie au pays des Apple II lovers. © Loz

Il s’agit de tenir son rang… Nous avons organisé, diffusé et enregistré quatre rendez-vous Google HangOuts sur Youtube via la chaine dédiée, dans le but de faire se rencontrer et dialoguer Américains et Français. Chaque jour après le déjeuner à Kansas City et vers 20h heure française, nous avons pu (quand les conditions techniques le permettaient…), échanger nos idées à loisir dans la bonne humeur, avec Annick, Agnès, Dean, Ken, Olivier, Stéphane et notre ami Antoine Vignau bien dans la place. Une belle occasion de tisser de nouveaux liens outre-Atlantique.

Bouquets de sessions

Chaque jour, les « sessions » au KFest se succèdent selon un calendrier bien établi. Les propositions sont très diversifiées, entre conférences, démos, ateliers… Il y a les conférences « classiques » comme celle de Margot Comstock sur l’aventure de la revue « Softalk », un titre phare de la presse informatique du début des années 1980, celle de Jason Scott d’Archive.org sur la question de l’archivage, ou ma propre conférence sur « Dialector ».

De nombreuses démos sont également proposées : Peter Neubauer évoque les derniers développements de l’émulateur GSPort, Ivan Drucker présente A2Cloud et A2Server (A2Cloud permet à un Apple II de se connecter à Internet, via un Raspberry Pi), Charles Mangin nous fait une démo d’impression 3D pour remplacer certaines pièces en plastique, David Schmenk a fusionné l’Apple II et un Raspberry Pi…

Les workshops ne sont pas en reste : Sarah Walkowiak troque le fer à souder pour une aiguille pour faire du point de croix et construire un Apple II en fil ; Vince Briel, déjà connu pour avoir récréé l’Apple I ou l’Altair, reproduit un ordinateur mythique, le Ohio Scientific Superboard II (OSI 600), avec fers à soudure et composants électroniques ; les Hogan père et fils (11 ans) nous invitent à faire décoller des fusées propulsées par air comprimé pilotées par le port Joystick de l’Apple II.


Ambiance studieuse au cours d’un workshop au KFest 2014. © Dean Nichols

Une présentation singulière par Quinn Dunki, une blonde Canadienne, qui nous raconte comment pendant quatre ans, à l’instar de Steve Wozniak, elle a créé son propre ordinateur « Veronica » à partir de zéro (« from scratch ») autour du processeur MOS 6502. A la manière d’un défi, sans autre intérêt que celui de maîtriser hardware et software, par jeu et pour le dépassement de soi, puisqu’elle n’est pas informaticienne.


La Canadienne Quin alias Blondie Hacks présente sa machine créée from scratch au KFest 2014. © Dean Nichols

C’est dire qu’on ne s’ennuie pas à Kansas Fest. Sans oublier le jeu. Pendant les 5 jours de cette réunion, nous avons eu souvent l’occasion de jouer, que ce soit pendant la compétition de « Structis », sorte de « Tetris » inversé, ou avec « Lawless Legends », tout juste réalisé cette année, ou, sous des formes plus singulières avec « Jungle Adventure », à l’origine un jeu texte interactif transposé en jeu de société collectif par Ken Gagne qui incarne lui-même l’ordinateur à qui donner des instructions (« human interface »).

L’avenir de l’Apple II

Pendant sa présentation, Ken Gagne, éditeur de Juiced.GS a surpris en montrant, graphiques à l’appui, la progression du nombre de ses abonnés ces cinq dernières années. Après une baisse logique de la diffusion du magazine liée à l’obsolescence des machines, le magazine connaît une véritable résurrection, qu’on peut attribuer à l’émergence du retro-computing.

Depuis que les ordinateurs créés il y a 30 ans sont entrés au musée, ils représentent un intérêt historique pour toute une nouvelle génération de passionnés par la préservation du patrimoine informatique. Il nous confie être très surpris d’avoir toujours davantage d’informations à publier autour de l’Apple, chaque jour apportant son lot de nouveautés matérielles et logicielles.

Enthousiasme


L’équipe de Juiced.GS au KansasFest. © DR

Durant mon séjour à Kansas Fest, j’ai souvent entendu le terme « Apple enthusiast » ou « computer enthusiast ». J’aime beaucoup cette expression car elle tourne le dos à la « nostalgie » et nous immunise contre la « mélancolie » qui accompagne la disparition de toutes ces machines qui nous ont fascinés. Dans cet enthousiasme pointe une joie et une confiance dans l’avenir, comme si le passé avait encore la capacité de nous étonner et de nous enseigner de nouvelles sagesses.

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Quelques liens rétrogeeks

Le site incontournable pour être informé sur l’actualité des Apple première génération ; http://a2central.com.

Créer un ordinateur à partir de zéro, par Quinn alias Blondie Hack : http://quinndunki.com/blondihacks/

Convertir son vénérable Apple II en une sorte d’Arduino vintage : http://www.ivanhogan.com/kfest/

Le project « Softalk » initié par quelques fans pour numériser tous les numéros de la revue : http://www.softalkapple.com/

Un des premiers et célèbres sites de conservation de la mémoire informatique et ses meilleurs fichiers texte : http://textfiles.com/

Site français dédié au monde Apple : http://www.brutaldeluxe.fr/

Le site où trouver les répliques des fameux Apple I et de l’Altair : http://www.brielcomputers.com/

« Structis », le jeu « Tetris » à l’envers pour Apple II : https://bitbucket.org/martin.haye/structris/downloads

« Sophistication and Simplicity : The Life and Times of the Apple II Computer », le livre incontournable de Steven Weyhrich sur l’histoire d’Apple.

« Juiced.GS », la revue trimestrielle d’actualité Apple première génération.

La page Facebook Apple II France : https://www.facebook.com/groups/a2france/

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