Digital Revolution : An immersive exhibition of art, design, film, music and videogames, exposition du 13/07 au 14/09, Barbican Centre, Silk St, Londres.

À lire : le catalogue de l’exposition aux quatre couvertures différentes, avec des essais de Jim Boulton, David Surman, Julia Kaganskiy, Iain Simons et Marie O’Mahoney, Barbican International Enterprises, London, 2014, 29,99 £.

« The Treachery of Sanctuary » (2012), de Chris Milk, l’une des installations plus ludique qu’artistique de la « Digital Revolution » du Barbican. © DR
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Une « Digital Revolution » en miettes au Barbican de Londres

Londres, envoyée spéciale

La presse anglo-saxonne, notamment le« New York Times », n’a pas manqué de relever combien l’exposition « Digital Revolution » au Barbican Center du 3 juillet au 14 septembre, était « idéalement » située dans l’East London (aux proches abords de la City qui ne cesse de s’étendre), et plus spécifiquement au cœur de ce périmètre devenu florissant depuis la crise financière de 2008 des entreprises hi-tech et de l’industrie du numérique. Ce qui est aujourd’hui appelé la « Tech City » ou encore le « Silicon Roundabout ».

Une révolution numérique made in England…

Et, c’est sans grande surprise que l’on constate que cette « Digital Revolution » du Barbican, mécénée par le groupe Bloomberg avec un partenariat de Google pour certains projets de réalité virtuelle, conçue par le commissaire invité Conrad Bodman, fait la part belle – presque des showcases – à ces entreprises ou studios de conception de la Tech City (entre autres), par le biais d’un certain nombre de pièces et d’œuvres sélectionnées, ou par les commandes spécifiquement réalisées pour l’exposition.

Exemple ? La section « Creative Spaces » du parcours, qui en comporte sept localisées dans la Curve Gallery du Barbican, dédiée aux effets spéciaux et aux blockbusters de l’industrie cinématographique et de l’animation, présente le travail des concepteurs de deux entreprises britanniques : Paul Franklin de Double Negative pour le film de Christopher Nolan, « Inception » (2010), Tim Webber de Framestore pour « Gravity » (2013), d’Alfonso Cueron.

Révolution sans auteurs

De la même façon, mais cette fois-ci dans le champ de l’art contemporain, le Pit Theatre, au sous-sol du Barbican, propose aux visiteurs une participation interactive avec une pièce lumineuse : « Assemblance » (2014). Le protocole est simple : dans une pièce plongée dans l’obscurité et emplie d’un brouillard de vapeur d’eau (quelque chose d’Ann Veronica Janssens ?), des colonnes lumineuses en 3D réagissent au contact de la présence humaine, des mouvements et des gestes du visiteur qui se trouve en position de « sculpter » des formes lumineuses (quelque chose d’Anthony McCall, l’interactivité en plus) et de dialoguer avec les autres visiteurs, ou plus exactement faire entrer en dialogue ces formes les unes avec les autres.

« Assemblance » (2014), Usman Haque et Dot Samsen expliquent leur pièce commissionnée par le Barbican :

La pièce a été conçue par Usman Haque et Dot Samsen du studio Umbrellium, installé dans cette « golden aera » qu’est aujourd’hui le Silicon Roundabout. Mais ce qui est plus symptomatique est la présentation qui en est faite dans les supports de communication de l’exposition, du petit dépliant de visite jusqu’au catalogue : les cartels et légendes mentionnent en premier non pas le titre de l’œuvre, ni le nom des deux créateurs, mais le studio comme collectif.

Industrie, art ou création ?

Industrie-Art-Création : les frontières se dissolvent. La technologie fait-elle l’œuvre ? L’anticipe-t-elle ? Les concepteurs ingénieurs, que ce soit dans la sphère cinématographique, musicale ou artistique, re-disposent, re-définissent les relations entre les acteurs. L’exposition du Barbican enfonce le clou sur cette « révolution-là ». Mais le fait dans un non-dit tonitruant…

Au crédit du Barbican, rappelons, comme le fait d’ailleurs Conrad Bodman dans son introduction au catalogue de l’exposition, que l’institution culturelle pluridisciplinaire londonienne s’est très tôt intéressée à la création numérique : dès 1997 avec « Serious Games » qui présentait des artistes de l’interactivité, et, en 2002, avec « Game On » qui abordait la « jeune » actualité du jeu vidéo comme part de la culture contemporaine.

Qui trop embrasse mal étreint…

Avec « Digital Revolution », néanmoins, il semble que nous participions au trio gagnant d’« une exposition de notre temps » : économie des industries innovantes-institution culturelle de renom-exposition grand public au titre communicant. Trio gagnant en terme de fréquentation, mais un titre bien ample, bien ambitieux (parce que quand même : « Digital Revolution, An immersive exhibition of art, design, film, music and videogames ») qui ne tient pas ses promesses, qui, de toutes les façons, ne pouvait pas les tenir, réduisant cette exposition à un parcours d’aperçus, avec des entrées fourre-tout ou redondantes : « Digital Archeology », « We Create », « Creative Spaces », « Sound and Vision », « State of Play », « Our Digital Futures », « Indie Games Space »…

Presque chacune de ces sections aurait pu être une exposition. Devrait être une exposition. Voir l’espace dédié aux jeux vidéo… Voir ce qui a été fait en France, notamment, avec « Play Again, musée pop du jeu vidéo », à l’Imaginarium de Tourcoing en 2013, ou avec « MuseoGames, une histoire à rejouer », au musée des Arts et Métiers, à Paris, en 2010-2011 (deux expos dont Poptronics avait assuré la conception éditoriale, ndlr). Qui trop embrasse…


« Digital Revolution », vue de l’exposition. © DR

Ainsi la section qui ouvre le parcours, « Digital Archaeology », entend retracer le passé des technologies informatiques et numériques. Elle présente des pièces historiques du jeu vidéo comme « Pong » (1972) et « Pac-Man » (1980), « Space Invaders » (1978), « Super Mario Bros. » (1985), les premières consoles Nintendo, le premier synthétiseur numérique, les premiers ordinateurs domestiques d’Apple (l’Apple II), les premières interfaces, le premier site Internet avec le World Wide Web de Tim Berners-Lee (1990)…

Scénographie XIXe siècle

Un aperçu souvent peu lisible pour le visiteur, les pièces étant placées dans des sortes de casiers alignés les uns derrière les autres. Ces rangées et la monstration des objets comme momifiés dans leur obsolescence semblent relever de la scénographie XIXe siècle d’un muséum d’histoire naturelle (enfin virtuelle, en l’occurrence !).

Cette « archéologie » du numérique dans tous ses aspects demandait aussi une exposition en soi, et surtout des articulations plus sérieuses sur les recherches, les expérimentations qui se sont effectuées dès les années 1940-1950. La programmation a une histoire bien plus complexe, sur la longue durée, que ces quelques « premières » ainsi transformées en icônes, populaires certes.

Art interactif ou pièces ludiques ?

La section « State of Play » qui présente des œuvres d’art interactives se trouve aussi particulièrement réduite et peu en prise avec ce qui se fait actuellement : que dire de « Mirror N° 10 » (2009) de Daniel Rozin, où le visiteur, ses déplacements, ses gestes, ses mouvements sont saisis par des capteurs et retransmis sur un écran sous la forme de traits graphiques colorés en constante mouvance ? C’est amusant et l’on se prend au jeu de sa propre image métamorphosée en temps réel en traits picturaux par la palette graphique animée.

Que dire de « The Treachery of Sanctuary » (2012) de Chris Milk ?

Cette installation interactive composée de trois grands écrans verticaux propose aux visiteurs de jouer avec leur captation sous forme de silhouette ailée. Des nuées d’oiseaux s’échappent comme dans un mauvais rêve de votre ombre, composant un univers en noir et blanc angoissant et spectaculaire.

Plus intéressante, la pièce de Rafael Lozano-Hemmer, « The Year’s Midnight » (2011), toujours sur le thème du miroir et du reflet déformant.

« The Year’s Midnight » (2011), Rafael Lozano-Hemmer :

Que dire encore de « Pyramidi » – scoop de la section « Sound and Visions » – conçu par will.i.am, producteur et musicien américain, juré de l’émission « The Voice » sur BBC One, en collaboration avec l’artiste sonore Yuri Suzuki ?


Trois étapes capturées de « Pyramidi », installation mégalo-kitsch de wil.l.i.am. © DR

Sur un écran se dessine l’énorme tête de cet artiste, figurée en pharaon égyptien, au rythme des sons électroniques produits par trois structures robotiques en forme de pyramide et représentant des instruments de musique (tambour, piano…), et d’une chanson bien martelée « Dreamin’ About the Future »…

Bling bling, la Digital Revolution ?

« Digital Revolution » joue du spectaculaire et de l’ersatz. Ne travaille ni le contemporain du Net Art ou de l’art numérique, ni ne se pose la question de l’exposition du numérique (quels que soient les objets). Elle brouille et simplifie les enjeux d’un passé présent qui rejoue sans cesse le futur.

On ressort de cette exposition qu’elle est déjà anachronique…

Dans la même période estivale, à quelques jours près, se tenait à la Serpentine Sackler Gallery, toujours à Londres, une exposition de l’artiste britannique Ed Atkins, « Ribbons » (11 juin-25 août 2014), mais également au Palais de Tokyo, à Paris – « Bastards » (6 juin-7 septembre 2014).

Deux expositions monographiques en écho, dans lesquelles l’artiste, par l’installation, des écrans vidéo, un travail de détournement et de fragmentation de l’image vidéo, de l’image numérique, du son électronique, la création d’un avatar, ré-interroge en vertige l’image de soi, du corps et de l’errance du monde ou dans le monde… Un des plus pertinents exemples contemporains d’une maîtrise subversive des médiums de la « révolution digitale.

marjorie micucci-zaguedoun 

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