L’ancienne Premier ministre britannique Margaret Thatcher vient de mourir à 87 ans. On se souviendra d’elle pour sa violente politique libérale très antisociale. Et pour toute la musique qu’on lui doit, de bien involontaire manière. Dans les années 80, bien au-dessus du « Miss Maggie » franchouillard de Renaud, ses opposants luttaient pied à pied en chansons engagées contre la dame de fer. Playliste anti panégyrique.
La pochette d’un single "actu" de Crass, paru en 1984. Le groupe punk préférait ce format pour être plus réactif dans l’anti-thatchérisme... © DR
< 08'04'13 >
Thatcher la sorcière est tombée par terre, musique !

L’« Iron Lady » n’est plus. Touchée par la maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années, la fossoyeuse du Welfare State britannique vient de mourir à 87 ans.

« Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, ça les fait vivre plus longtemps », écrivait Dominique A. Et si c’était vrai ? Car les chansons anti-Thatcher ont quasiment été un genre en soi durant son (trop) long règne, de 1979 à 1990, marqué par un libéralisme économique débridé et une politique d’ultrafermeté sur les questions irlandaise (avec la mort de Bobby Sands suite à une grève de la faim comme crime originel) et sociale (son inflexibilité, notamment lors de l’historique grève des mineurs de 1984-1985, ses coups répétés contre le mouvement syndical).

On ne sait s’ils sabrent déjà le champagne, mais un certain nombre de musiciens britanniques doivent avoir du mal à réprimer un sourire : Elvis Costello, Morrissey, Matt Johnson, Paul Weller, Billy Bragg, Christy Moore, la plupart des punks mais aussi Pink Floyd (« The Fletcher Memorial Home », 1983) ont tous, à un moment ou un autre, pris position contre la politique de la Dame de fer. Retour en musique sur l’anti-thatchérisme militant.

L’anti-thatchérisme venu des marges punk et ska
Comme de juste, les premiers à se mobiliser contre la conservatrice anglaise sont à chercher aux marges punk et ska. Après le plutôt rigolard « I’m in love with Margaret Thatcher » des Notsensibles en 1979, c’est à The Beat, l’un des groupes ska les plus populaires de l’époque, que revient le privilège de lancer la première chanson contre Thatcher en 1980.

The Beat – « Stand Down Margaret », live au Rockpalast (1980) :

Très en pointe lors de ces premières années du thatchérisme, les Specials, après avoir repris et réactualisé le « Maggie’s Farm » de Dylan en 1980, feront un tube de leur description de Londres sous Thatcher l’année suivante : « This town’s becoming like a ghost town / Government leaving the youth on the shelf. » Hasard ou conséquence, le titre est numéro un à sa sortie à l’été 1981 quand éclatent de violentes émeutes raciales à Brixton, Toxteth et ailleurs.

The Specials - « Ghost Town » (1981) :

Les punks sont en première ligne. Souvent issu du monde ouvrier, ils ne cachent pas leur engagement à gauche, comme Steve Drewett, leader des oubliés Newtown Neurotics.

Newtown Neurotics - « Kick Out the Tories » (1981) :

En plus brutal, The Exploited, meneur de la deuxième génération punk (les « punks not dead ») embraie le pas en 1982 avec « Maggie » et son refrain qui, à défaut de faire briller les hommes à crêtes par la qualité de leur argumentation, a le mérite du slogan explicite : « Maggie, you cunt » !

The Exploited – « Maggie », live à Nottingham (1987) :

Plus argumentée, la même année, c’est du côté du collectif anarcho-punk Crass qu’on trouve la grande chanson anti-Thatcher. Le groupe commente l’actualité politique dans toutes ses chansons et sort un single qui fait date, « How does it feel ? ». Le morceau titre, « How Does it Feel (To be the Mother of a Thousand Dead) ? » est le premier d’une longue série à cibler très frontalement la politique sociale de Thatcher et la guerre des Malouines tout juste terminée. Très engagé, Crass ne s’arrêtera pas là, en étant à l’origine de ce qu’on appelle le « Thatchertape gate » la même année. Une cassette commence alors à circuler où l’on entend une édifiante (et fausse) conversation entre le Président américain Ronald Reagan et le Premier ministre britannique. Le montage laisse à croire que Reagan est prêt à envoyer des bombes nucléaires sur l’Europe en cas d’attaque soviétique. Le scandale fait long feu, mais Crass subira le harcèlement des autorités (et des plaintes en cascade) qui le conduisent à se dissoudre en juillet 1984, après un dernier concert en soutien aux mineurs en grève au Pays de Galles.

Crass – « How Does It Feel (To Be The Mother Of A Thousand Dead) ? » (1982) :

La grève des mineurs démarre en mars 1984, avec l’annonce abrupte de la fermeture de vingt mines qui mettra 20000 personnes au chômage. Elle dure une longue année pour s’achever par une victoire complète du gouvernement : les mineurs n’obtiennent aucune de leurs revendications. Il faudra attendre quinze ans et « Billy Elliott » pour voir ce terrible épisode de l’ère Thatcher porté à l’écran, mais sur scène, les musiciens sont là dès les débuts du mouvement. Outre les concerts de soutien qui se multiplient, certains n’hésitent pas à abandonner les bénéfices de leurs disques aux mineurs et à leurs familles. Chumbawamba sort plusieurs disques cette année-là, Robert Wyatt s’associera au groupe Henry Cow et au poète Adrian Mitchell dans « The Last Nightingale ».

Autre artistes très engagés dans le conflit, le groupe industriel Test Department sort l’album « Shoulder on Shoulder » avec un chœur de mineurs gallois, quand l’ancien leader d’Hawkind, Robert Calvert, sort un album concept où alternent chansons engagées, extraits de discours syndicaux et témoignages de mineurs. Plusieurs compilations verront également le jour pour financer la lutte.

L’une des chansons marquantes du conflit est le « Which Side Are You On ? » de Billy Bragg, qui sort en 1985 après la fin du mouvement. De « Between The Wars » à « Thatcherites » qui égratigne John Major, successeur de Thatcher, en 1996, le grand protest singer anglais des années 1980-1990 ne lâchera pas les conservateurs d’une semelle.

Billy Bragg - « Which Side Are You On ? », live à Bochum (1985) :

Des Clash à d’autres représentants d’une ligne plus mainstream, comme Sting, The Blue Monkeys ou Bono, qui n’a pas écrit sa chanson anti-Thatcher ou pro-grévistes ? Jusqu’à Dire Straits, qui attendra toutefois bien sagement 1991, un an après son départ du 10 Downing Street. Il n’empêche, ce long mouvement de grève reste encore une référence marquante pour tout le rock anglais un tant soit peu engagé et dans les années 1990 de Pulp (« Last Day of the Miners’ Strike ») à Manic Street Preachers (« 1985 »).

Ding Dong Nomi
Mais le rock n’est pas le seul à attaquer Thatcher. Côté électronique, sur un titre méconnu (mais pas oublié au vu des commentaires qui s’y accumulent cet après-midi), Klaus Nomi annonce la couleur dès 1982 : « Ding Dong The Witch Is Dead ». En pleines années rave, comme un hommage ecstasié à Crass, V.I.M. mixe la voix de Thatcher sur « Maggie’s Last Party » où le Premier ministre britannique invite ses auditeurs à une acid party !

Costello prémonitoire
Enfin, difficile de parler de chansons anti-Thatcher sans mentionner « Tramp the Dirt down » (1989) où Elvis Costello se met en scène piétinant la tombe de la future baronne (anoblie en 1992), titre qu’on entend beaucoup aujourd’hui sur les webradios britanniques.

Et bien sûr Morrissey, qui aura droit à une enquête de police après avoir sorti sur « Viva Hate », son premier album solo, ce splendide « Margaret on the Guillotine », où il parle du rêve de la voir perdre la tête sur le billot : « When will you die ? When will you die ? When will you die ? »

Morrissey - « Margaret On The Guillotine » (1988) :

C’est fait, elle est morte dans son lit. Mais comme le chantait Pete Wylie en 2010 encore, « il n’y aura pas de larmes ». Alors, avec Hefner, « we will laugh the day that Thatcher dies, even though it’s not right ».

Hefner - « The Day That Thatcher died » (2000) :

matthieu recarte 

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< 2 > commentaires
écrit le < 08'04'13 > par < cahuzac aCB ubs.ch >

Roooh, on s’est pas foulé chez Poptro pour cet article : http://www.buzzfeed.com/angelameiquan/21-incredibly-angry-songs-about-margaret-thatcher

http://louderthanwar.com/top-13-anti-margaret-thatcher-songs/

(premiers résultats dans google pour "thatcher song"

écrit le < 09'04'13 > par < matthieu.recarte 2tU poptronics.fr >

Jérôme, quel plaisir d’avoir de vos nouvelles !

Je me doute bien qu’on retrouve ces titres dans un tas de listes : comme le dit l’article, la chanson anti-Thatcher est un marquant des années 80 en Grande-Bretagne. J’ai sélectionné ici les plus emblématiques, celles qui ont marqué leur époque… et qu’on trouve sur YouTube et consorts. Mais je vous rassure, je me suis un peu foulé quand même en fouillant dans ma discothèque et en relisant quelques livres (« Rip it up… » de Simon Reynolds ou « England Dreaming » de John Savage)… !

J’avais juste envie de fêter la disparition de cette vieille bique en musique, comme The Guardian, Libé, Le Monde ou Les Inrocks le font aussi d’ailleurs, avec des listes… similaires :

http://www.guardian.co.uk/music/musicblog/2013/apr/08/five-songs-about-margaret-thatcher http://www.liberation.fr/culture/2013/04/08/rock-around-the-thatcher_894712 http://www.lemonde.fr/europe/video/2013/04/08/margaret-thatcher-prise-pour-cible-par-les-chanteurs-des-annees-1980_3156236_3214.html http://www.lesinrocks.com/2013/04/08/musique/margaret-est-morte-10-chansons-anti-thatcher-11382768/

Allez pas de procès d’intention : si vous nous lisez régulièrement, vous savez qu’ici on n’a pas découvert Crass ou Chumbawamba hier après-midi ! Pas sûr que ce soit toujours le cas ailleurs…

Bien à vous, Matthieu