Toute première chronique sur les « étonnements numériques » de Pierre Antoine Irasque, jeune curateur français en Corée du Sud. On l’avait croisé à l’occasion de l’exposition de Systaime à l’ESPACE29, à Bordeaux, dont il est co-directeur. Parti à Séoul début 2015 en tant que producteur-conférencier du festival Bo:m, le fondateur de VIDEO Like ART nous enverra régulièrement des nouvelles de la Corée du Sud et ses interstices entre deux mondes, réel et virtuel.

Festival Bo:m 2015, 9ème édition du festival dédié au « Dawon Art » (performance, danse, arts visuels, en gros la nouvelle scène artistique coréenne…), du 27 mars au 19 avril à Séoul.

« Sunhi », du cinéaste coréen Hong Sang-Soo, 2014, (capture écran). © DR
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SouthKorea Étonnements numériques

(Séoul, correspondance)

Il y a trois ans, j’ai découvert Nam June Paik, le film « The Isle » de Kim Ki Duk et l’univers du cinéaste Hong Sang Soo. Ce dernier m’a plongé dans une réalité coréenne proche des instants que j’expérimente en ce moment. Deux hommes et une femme, un restaurant bbq, une vague de soju, une nuit d’adultère dans un motel et des tâtonnements sexuels… Voici la recette que le réalisateur coréen utilise et réutilise pour peindre le quotidien d’un peuple englué dans un scénario dont il est l’interprète. Cette détermination au déterminisme hante l’histoire et le cœur des Coréens qui ne peuvent se libérer d’un sentiment de frustration.

L’année dernière, j’avais engagé une réflexion sur cette sensation à travers la programmation vidéo VIDEO Like ART « azianSPLIIIN8捌八 ».

VIDEO Like ART, « azianSPLIIIN8捌八 », bande-annonce :

En France, nous avons notre spleen baudelairien. Moins poétique mais tout aussi contraignante, cette prison personnelle est à la fois le comble et la quintessence d’un peuple qui se donne complètement tout en sachant déjà la fin tragique de l’histoire.

Je suis arrivé en janvier à Séoul avec un visa vacances-travail pour découvrir le « pays du matin calme » : pas très calme, surtout la nuit. La première semaine, j’ai pris une chambre dans une guesthouse à Mullae, nouvelle zone où les artistes et les galeries se regroupent pour profiter des bas loyers (c’est pareil partout).

J’ai pu apprécier l’hospitalité des Coréens, qui pourrait être vue comme de la naïveté mais qui n’en n’est pas. Confucius est passé par là, laissant ses codes et ses rituels qui rythment le quotidien et les gestes d’un peuple entier.

Après quelques nuits agitées, les matins sont calmes et froids, la dernière vague de fraîcheur a balayé le milieu du mois de mars pour annoncer l’arrivée du printemps. Les saisons sont brutes et il ne faudra qu’une semaine à la nature pour passer d’une température négative à très tempérée. Le printemps ne restera pas longtemps, chassé par un été foudroyant.

La nuit, l’alcool, les esprits, les morts

On m’avait dit que les Coréens sont les Latins d’Asie. Passionnés, calmes, bavards ou taciturnes, ils sont cependant loin de l’image que le monde pourrait avoir d’eux. L’alcool aidant, ils court-circuitent leurs liens confucéens pour se reconnecter temporairement à leurs origines chamaniques, monde des esprits et des morts.

Chaque soirée pourrait être interprétée comme un rite ancestral les libérant de leur carcan social ; les shots s’amoncellent, les bouffées de chaleurs commencent, les échanges deviennent plus francs, les langues se délient, les corps s’échauffent, la nuit s’allonge, le soleil se lève et… tout est oublié. Dans le monde des esprits, les Coréens sont libres d’être eux-mêmes mais dans un fatalisme matinal, la simple réalité les rattrape.

La vie et les rêves sont connectés, le monde charnel et le monde spirituel sont flous, la réalité réelle et la réalité virtuelle, également.

Seunghyo Lee, le directeur du Festival Bo:m, m’a proposé de participer à l’édition 2015 en tant que conférencier-producteur. J’ai rejoint un programme académique pour producteurs coréens, dans lequel je suis intervenu pour partager mon expérience de co-directeur et curateur à L’ESPACE29 à Bordeaux. J’ai échangé avec de jeunes producteurs avides de découvrir et d’apprendre.

En parallèle, j’ai échangé avec Seunghyo Lee sur sa volonté de transcender le festival et de l’engager dans une énergie singulière, émancipée des mouvements artistiques contemporains.

La création asiatique se libère et les artistes coréens y contribuent.

2015-2016, années croisées Corée du Sud-France, devraient permettre d’approfondir les relations entre ces deux pays plus proches qu’on ne l’imagine.


Workshop de Martin Chaput et Martial Chazallon à Séoul ce printemps. © Festival Bo:m

On le met en pratique d’ailleurs au festival Bo:m qui se tient du 27 mars au 19 avril et présente notamment deux spectacles du chorégraphe et danseur Boris Charmatz et un workshop par Martin Chaput et Martial Chazallon.

pierre antoine irasque 

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