La 19e édition du festival Sonic Protest se tient du 14 mars au 2 avril à Paris et dans la petite couronne et ailleurs. Expérimentation sonore tous azimuts au programme.
À ne pas rater, le slide rock dégingandé des Anglais de Nape Neck, dissonant et dansant, le 31 mars, à l’Échangeur (Bagnolet). © DR
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Sonic Protest 2023, du bruit et des fureteurs

C’est vrai, ça fait des lustres qu’on n’a pas parlé musique sur Poptronics. Mais voilà, Sonic Protest nous fait sortir de l’hibernation. On n’a toujours pas d’actions dans l’affaire mais on s’en serait voulu de ne pas défendre cette année encore la proposition panoramique de ce festival dédié à l’expérimentation sonore tendance vacarme, activisme et musiques obliques.

Pendant trois semaines, du 14 mars au 2 avril, le programme roboratif proposé par la bande montreuilloise affiche des concerts quasiment tous les soirs (mais jamais le lundi, principe 2023) explosés dans quatorze lieux de Paris et la petite couronne. Sans oublier une exposition du travail de l’artiste sonore Félix Blume, « Voler le silence » et un ailleurs qui verra certains groupes jouer dans dix villes hors région parisienne. Promenade subjective dans les propositions du festival.

Ouverture ce 14 mars à la Station avec une soirée de musique brute dédié au Papotin, ce journal créé en 1990 à l’hôpital de jour d’Antony et animé par des journalistes non professionnels atteints de trouble du spectre autistique. Au programme, le multicarte Fantazio, accompagné des Turbulents, un collectif de comédiens, musiciens et chanteurs venus de l’ESAT Turbulences, et le « egg funk » des zébulonants Londoniens d’Electric Fire, enfin à Paris deux ans après une première programmation au Sonic Protest annulée pour cause de Covid.

Electric Fire, « Buzzin’ », 2020 :

Changement d’ambiance avec la release party (18 mars, au Générateur) des immarcescibles Sister Iodine, trente ans de noise à la française, qui présenteront leur huitième album (on vous a longuement parlé de ce trio ici). Également à l’affiche, les Berlinois de Cuntroaches, pas en reste quand il s’agit de cisailler les oreilles, et la violoncelliste franco-américaine Leïla Bordreuil qui joue des contraires en mixant classique, harsh noise et free jazz.

À signaler également au rayon noise, une rare performance de Carbus, soit Danny Warner et Neil Young (à ne pas confondre avec le totem canadien), duo échappé des cultes Fat Worm of Error, maillon essentiel de la scène expérimentale américaine. Machines tarabustées, cut-up, larsens, hurlements… tout ce qu’il faut pour passer une belle soirée.

Carbus, « Carbus Goes to the Zoo », 2019 :

L’ex-Sonic Youth Lee Ranaldo viendra poser ses larsens sur les improvisations des Belges du Wild Classical Music Ensemble (22 mars à la Dynamo). Il dit que ça lui rappelle la liberté des débuts de Sonic Youth – ça promet. À la même affiche, la machine à danser El Khat, un nom de psychotrope et quatre musiciens qui dynamitent la musique orientale à coup d’influences tous azimuts – normal, ils viennent d’Irak, de Pologne, du Maroc et d’Israël.

El Khat, « Ya Raiyat », 2019 :

L’underground aussi a ses « supergroupes », comme Angelicus (23 mars, au 104), l’association de quelques vieux de la vieille du boucan : Dirk Dresselhaus (Schneider TM) et d’Ilpo Väisänen (Pan Sonic), dont on connaît le potentiel terroriste avec leur duo drone Die Angel, John Duncan (pilier de la Los Angeles Free Music Society), et Werner Zappi Diermaier (le batteur de Faust). Avec le minimalisme d’Otto le même soir, trois joueurs de tapan, une percussion bulgare, la soirée promet d’être particulièrement sonore.

Otto (2021) :

L’Israélienne Meira Asher n’a jamais fait mystère de son engagement : il est au cœur de sa musique. On l’imagine décuplé par l’arrivée de l’extrême droite la plus radicale au pouvoir à Tel-Aviv. Asher Sax (le 24 mars à Mains d’Œuvres), le duo qu’elle forme de longue date avec l’activiste sonore Eran Sachs, devrait donc en toute logique donner l’un des concerts les plus virulents et politiques du festival : entre bruit, spoken word engagé et slogans, ce sera tout à fait raccord avec l’atmosphère du moment. À noter aussi le même soir, la virtuose habitée des ondes Martenot Nadia Ratsimandresy.

Asher.Zax, « Les Malades et les médecins » (Antonin Artaud), 2014 :

Un griot burkinabé et deux punks bruxellois : Avalanche Kaito (29 mars, Petit Bain) met de la fièvre et du groove dans sa noise, nourrie des textes et de l’instrumentarium traditionnel de Kaito Winse. Leurs prestations incandescentes sont épiques mais le MC ougandais Ecko Bazz et sa trap tellement lourde qu’elle en devient bruit (lui parle de « dark grime ») devraient leur tenir la dragée haute avec ses histoires des bas-fonds de Kampala balancées en luganda. Le hip-hop dans toutes ses expérimentations.

Avalanche Kaito, « Dabalomuni », live à la Cave 12, 2021 :

On n’en finit pas de pleurer les frères Godfrey – Epic Soundtracks et Nikki Sudden. Excusés pour cause de décès prématurés, ils ne seront pas du concert de leur groupe culte Swell Maps (31 mars, l’Échangeur). C’est Jowe Head, bassiste et guitariste, qui sera à la manœuvre, accompagné de membres de TV Personalities (son groupe suivant), Wolfhounds ou encore Addictive TV, pour redonner vie à cette comète dada punk dont l’influence se fait toujours sentir aujourd’hui (on vous voit Fontaines D.C.).

Ceux que ce genre de déformation défrisent seraient bien inspirés de ne pas passer leur chemin : ils louperaient la pop piano décalée/décadente de Krinator et surtout la sensation Nape Neck, un trio mixte d’agités venu de Leeds sous influence no wave (le pan visuel de cette non scène new-yorkaise des années 1980 fait d’ailleurs l’objet d’une exposition au Centre Pompidou en ce moment). Dissonant et dansant, que demander de plus ?

Nape Neck, Live à la Cave 12, 2022 :

Évoquons encore quelques solitaires, nombreux cette année encore, avec notamment Christine Abdelnour improvisant sur saxophone (15 mars, Cirque électrique) ou Olivier Di Placido désossant sa guitare pour mieux la brutaliser (16 mars, la Muse en circuit), sans oublier le légendaire Eugene Chadbourne et son banjo cintré, cinquante ans de musique tordue au compteur (21 mars, théâtre Berthelot).

Eugene Chadbourne – « Paranoid », live à New York (2022) :

On conclura sur la grosse soirée électronique déviante et brutale dévolue aux bidouilleurs, trifouilleurs de circuits imprimés et autres mixeurs épileptiques (1er avril, l’Échangeur). Pas moins de neuf performances au programme, parmi lesquels le Breton Guilhem All et ses électrophones en plastique, l’ultraviolente Petronn Sphene et ses convulsifs mixes bruitistes de ce qu’elle nomme « queer punk cyborg convulsing body music », l’étrange Vénézuélien Ernesto González alias Bear Bones, Lay Low et sa musique rituelle comme venue du fond des âges, ou encore les Écossais de Measure Maniacs, qui proposent une expérience totale avec stroboscopes et lasers pour habiller leurs compositions abstraites et tendues sur des machines de leur cru. Ils promettent les 200 BPM… le coup de grâce.

Measure Maniacs, Live à Attack Release, 2023 :

matthieu recarte 

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