Après-coup de la sixième Nuit blanche, à Paris du samedi 6 au dimanche 7 octobre. On peut retrouver encore plus de photos de la Nuit blanche sur le blog du magazine 20 minutes.
Pierre Giner et son installation I-Dance pour danser jusqu’au bout de la Nuit. © DR
< 08'10'07 >
Rétrospective Nuit blanche

Marée humaine avide d’art contemporain nocturne samedi à Paris. Même si les propos fanfarons de Christophe Girard, l’adjoint à la Culture du maire de Paris, qui, dès 1 heure du matin, annonçait à l’AFP que « plus de 1,5 million de personnes participaient à la Nuit blanche 2007 avec davantage d’étrangers que les années précédentes », sont invérifiales, inutile de tergiverser, le chiffre n’est qu’une pâle indication d’une vraie réalité : la Nuit blanche motive les Parisiens, les banlieusards et les étrangers, même en cas de match français de Coupe du monde de rugby.

Une Nuit blanche en bleu blanc rouge

Le mélange des foules (celles venues fêter la victoire de la France, celles venues humer de la création contemporaine gratuite) illustrait d’ailleurs à merveille l’allliance spécifique à cette manifestation d’une certaine exigence (à laquelle pousse l’art en général) et d’un certain zapping consumériste. A l’heure où siffle la fin de match, en plein cœur du jardin des Tuileries, il fait nuit-flamme et les milliers de visiteurs se passent le mot, depuis que la rumeur de la victoire a enflé (on entend les hourras en provenance du parvis de l’Hôtel de ville, où les écrans géants ont réuni les amateurs). Spontanément, les passants en pleine « Nuit ardente », réalisation éphémère de la compagnie Carabosse, un brasero éclaté de 2000 flammèches, le feu sur les bassins des Tuileries sur fond de grande roue foraine, se mettent à applaudir, chanter, crier, téléphoner pour commenter l’événement qu’ils ont pourtant choisi de ne pas regarder… Puis déferlent klaxons et foule bleu-blanc-rouge, qui vient mixer sa joie toute simple de supporter aux propositions des quelque 400 artistes conviés sur le parcours de la ligne 14. Contraste, contraste…

Ce soir c’est soirée disco rue Royale

Les queues se forment et vont durer toute la nuit devant chaque installation Nuit blanche, à la Madeleine, tout au long de la rue des Francs-Bourgeois, au 9, rue Royale où plus de 10 000 personnes vont lever la tête, esbaudies par les danseurs virtuels kawaï et branchouilles de Pierre Giner. Estomaquées, surprises, enchantées, séduites par les déhanchements presque contre-nature des ballerines sur un titre des Liars (« Let’s Not Wrestle Mt. Heart Attack ») ou de la grâce soudaine d’une de ces figurines 3D (relookée par des stylistes et créateurs de mode), comme arrêtée par le « Suis-je normale ? » de Nini Raviolette. « C’est extra », commente une dame d’un certain âge, tandis qu’une blonde toute en jambes se demande si elle pourrait utiliser ce programme pour enseigner la danse (le logiciel brut, coréen, est destiné à l’apprentissage de la danse, précisément…).

Rigolant des facéties de Spiderman, les badauds hésitent à danser, seuls quelques enfants s’y risquent, littéralement, copiant les gestes fluides des personnages 3D. Plus tard, bien plus tard, les visiteurs de Nuit blanche ne sont plus les mêmes, poussettes, familles et personnes âgées ont cédé la place aux jeunes et aux étrangers (une jeune fille, sac au dos, plan de Nuit blanche en main : « où che trouve s’il vous plaît le creudito mounicipal ? »). Sous la boule à facettes d’I-Dance, les gens peuvent enfin oublier de lever la tête et bouger sans complexe.

Second Life grandeur nature

Même face à face entre réel et 3D à l’Hôtel d’Albret où se joue une compétition très feutrée, quasi invisible même, entre le monde physique et le monde virtuel de Second Life. Second Night, donc, ce sont des écrans, des artistes épuisés de répondre aux questions du tout venant (« j’ai passé quatre heures à expliquer ce qu’était l’Internet », témoigne l’un d’eux), ou qui ont choisi de déserter la scène « réelle » pour laisser leur(s) avatars agir pour eux.

Super Mario dort vraiment sur le sol de l’espace 3D aménagé dans Second Life pour l’occasion (et plutôt raté avec son architecture d’étages qui mime le réel, ses flèches ascendantes et descendantes, ses tableaux au mur…). C’est Miltos Manetas qui l’a activé (12 heures de sommeil, une solution pour ne pas trop donner de sa personne pendant la Nuit blanche ?). Claude Closky a choisi de n’être qu’en ligne, via ses avatars 2D (très low-tech), forcément ironiques par rapport à l’esthétique développée dans Second Life. Agnès de Cayeux, qui propose de chercher Lily Drake (une escort girl de Second Life dont les lecteurs attentifs de poptronics ont déjà entendu parler), est entourée de visiteurs réels (qui veulent comprendre comment ça marche) et d’avatars qui discutent pendant des heures du mystère Lily Drake. Valéry Grancher est au-delà du sérieux : à 4 heures du matin, il est toujours cravaté (en vrai) derrière son bureau des délations sur fond de drapeau rouge (dans Second Life, les « slifers » sont enjoints à signaler tout dysfonctionnement). Et David Guez et Christophe Bruno papillonnent pour faire venir dans leur Second France les meilleurs candidats à l’immigration… Pourtant, l’effet écran attire autant qu’il éloigne les visiteurs : en ligne, sur le serveur de Second Life, le gestionnaire de la communauté a comptabilisé environ 400 connexions à l’adresse de Second Night…. Beaucoup moins que les visites « en vrai », malgré le battage médiatique, en somme.

Lumières magiques et vrais flops

Au centre de Paris, devant le Conseil d’Etat, l’installation lumineuse et sonore du collectif britannique United Visual Artists (UVA), à découvrir d’urgence, est absolument magique. Trois caissons lumineux diffusent en fonction des mouvements et des déplacements (plus ou moins près des écrans, plus ou moins amples, etc), des sons parfois diffus, allant jusqu’à la basse tremblée, et des effets de lumière qui impressionnent physiquement les rétines et le spect-acteur (douze personnes à la fois peuvent aller jouer sur le tapis interactif). A la fois ultra-ludique et interactif, tout en imposant sa marque. A deux pas, devant la Comédie française, la rencontre des slammeurs et des sociétaires fait bien pâle figure.

Car il n’y a pas que du bon dans la Nuit blanche, où l’on a souvent l’occasion de tomber d’accord avec les commentaires méprisants (les mêmes qui disent « moi aussi, à ce compte, je suis un artiste » en voyant une toile de Picasso). Souvent spectaculaires dans leur effet, et creux dans le fond : on pense ici à la « Lumière luminescente » au cloître des Billettes, sclupture informe réfléchissant la lumière noire avec projections sans intérêt, ou, dans un registre plus branché, à la proposition ratée du collectif de designers lyonnais Trafik au Crédit municipal, une projection face à face de deux animations en étoiles, lesdites étoiles s’agglutinant jusqu’à former des mots du vocabulaire de l’institution… Joli, spectaculaire avec la musique qui va bien, mais au fond, qu’est-ce que ça nous dit ? Et bien, pas grand chose, en effet.

Heureusement, il y a tant de propositions qu’on peut vite zapper, sauf si on n’a aucun moyen de locomotion, la Nuit blanche se révélant alors un espèce de cauchemar de marche à pied forcée : les Vélibs sont tous pris d’assaut ou en rade, les taxis ont déserté le centre de Paris et hors la ligne 14, ouverte toute la nuit, la RATP n’a pas beaucoup amélioré son service…

Une soupe et une danse pour finir au chaud

Alors, un dernier arrêt sur l’ancienne friche SNCF à Cardinet (17e), qui aurait dû devenir le village olympique de Paris 2012. Loin des rumeurs de la ville (et des hordes rugbystiques), le dispositif de la compagnie Off, un bouquet de paraboles géantes, sur lesquelles était projeté le visage d’une soprano, prend les gens à la gorge, dans la nuit glacée. Tout près, le Train de Nuit des Radi Designers, immense hangar reconverti en lieu de repos chic et lunaire (et surtout de dégustation de soupe au potiron à 3 heures du matin). Les perfs audiovisuelles de D-Fuse et E-Flat étant terminées depuis belle lurette, on se rabat sur les projos Onedotzero (trois écrans, son impec) de Wave-Length, l’un des programmes-phare du collectif londonien : la vision de petites grappes de gens dansant dans la pénombre sur les clips de Beck ou Justice tiendra chaud pour la semaine.

annick rivoire 

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