Le « Printemps de septembre », festival de création contemporaine jusqu’au 19/10 avec des expositions éclatées sur 23 lieux à Toulouse et Castres. Gratuit.
John M Armleder fait dialoguer les toiles des collections toulousaines dans une étrange et réjouissante scénographie. © Jean-François Peiré, 2008/DRAC Midi-Pyrénées
< 08'10'08 >
Printemps noir sur la ville rose

(Toulouse, envoyée spéciale)

Y’a plus de saisons. C’est donc en automne que Toulouse célèbre le printemps, avec dans le rôle du semeur Christian Bernard, fondateur du Mamco à Genève et génial commissaire d’exposition. Chargé de chapeauter l’édition 2008 du Printemps de septembre (qui mêle expos et soirées nomades), il esquive habilement l’écueil thématique en chevillant le festival à cette énigme : « Là où je vais, je suis déjà. » S’il n’y a plus de saisons, rien d’étonnant à ce que nos repères spatio-temporels soient sens dessus dessous…

Aussi ouverte soit-elle, la petite phrase s’annonce à bien des égards comme un memento mori. Une connotation voulue par Christian Bernard comme il s’en explique sur le site de la manifestation : « Quand je pense à ce que j’aimerais faire à Toulouse, me revient souvent à l’esprit, comme un leitmotiv, une obsession, le titre d’un livre d’Henry Miller, “Printemps noir”. » De fait, chez les 48 artistes invités à Toulouse cette année, la floraison est plutôt ténébreuse. Après tout, il n’y a guère que les chrysanthèmes qui s’épanouissent en automne et puis « l’art, rappelle Christian Bernard, n’est pas le dimanche de la vie ».

La part scandaleuse de l’édition 2008 de ce printemps toulousain, ce sont les photos de Maud Fässler, l’exemple le plus spectaculaire de cette tonalité : parce qu’elles dépouillent la mort de toute sacralité, les autopsies exposées au Château d’eau révèlent l’envers de l’acharnement médical à prolonger la vie. Y voir une version contemporaine des vanités.

Dans un registre proche, à la Fondation Espace Ecureuil, Sada Tangara parcourt les rues de Dakar et y photographie des gosses à ce point dépouillés qu’on finit par s’interroger : dorment-ils ? sont-ils morts ? Côté peinture, les toiles de Renaud Regnery à la galerie GHP offrent au visiteur une surface allant du gris au noir, et sur laquelle les inscriptions sont biffées et les motifs arrachés à la tentation de tout recouvrir.

Mais c’est encore Claude Lévêque qui résume le mieux l’esprit de ce sombre printemps. A l’orée de son « Rendez-vous d’automne », l’installation conçue pour Toulouse, un car scolaire diffuse en boucle une chanson de Françoise Hardy interprétée par la chorale d’une maison de retraite, ironique écho aux panneaux de signalisation que l’artiste a placés à l’envers : s’il s’agit d’un voyage dans le temps, c’est à rebours qu’on l’accomplit. On traverse la Maison éclusière comme on ressasse un souvenir, en déambulant sur un tapis de brindilles au gré de pièces quasi vides. Il n’y a pas que le temps qui passe à l’envers : l’espace aussi s’est retourné.

D’où cet autre versant du Printemps toulousain : la tentation de l’in situ. Chez beaucoup d’artistes, l’énigme de Christian Bernard a éveillé l’envie d’ancrer l’œuvre à son lieu. Exemple aux Jacobins, où Janet Cardiff avec « The Forty Part Motet » place le spectateur dans la position d’un choriste grâce à 40 enceintes reproduisant les 40 voix de « Spem In Alium », un motet composé au seizième siècle par Thomas Tallis.

Exemple surtout aux Abattoirs, avec une superbe scénographie des salles latérales signée John Armleder et Christian Bernard. En prolongement du coup d’état permanent orchestré au Mamco (de l’aveu de son directeur, « un musée de crise du musée » ou encore un « patchwork in progress »), les deux hommes ont entièrement recontextualisé les toiles, qu’ils font dialoguer avec d’autres collections toulousaines. Rehaussé par les motifs muraux d’Armleder, fondé sur l’analogie, le calembour ou l’antithèse, le nouvel accrochage fait voler en éclats les conventions muséales. A se demander où on va…

stéphanie lemoine 

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