Quel bilan tirer de la première vente aux enchères d’art vidéo qui s’est tenue à Drouot le 29 janvier. Seulement 30% des 159 pièces signées de 110 artistes internationaux ont trouvé preneur.
Salle comble pour la première vente aux enchères d’art vidéo à Drouot, le 29 janvier. © Orevo
< 04'02'14 >
Premières enchères d’art vidéo à Drouot : peut mieux faire…

A 50 ans, l’art vidéo est-il encore trop jeune pour faire flamber les ventes aux enchères ? Ouvrir la voie d’un second marché en parallèle des galeries et des foires d’art contemporain n’est pas un pari gagné d’avance.

Le 29 janvier dernier se jouait à l’hôtel Drouot à Paris la première vente dédiée à l’art vidéo, initiée par la maison Wapler : avec 159 pièces inscrites au catalogue, soit plus de 110 artistes internationaux, des pionniers (Nam June Paik,, Jonas Mékas, Martial Raysse...) aux jeunes signatures et autres figures bien identifiées du marché de l’art contemporain (Tony Oursler, Pipilotti Rist, Sylvie Fleury, Jan Fabre, Mircea Cantor...), tout était a priori réuni en cette date anniversaire de la mort de Nam June Paik (1932-2006) pour créer l’événement...

Une performance peu lucrative
La vente, dont les organisateurs peuvent se féliciter du caractère historique, n’a pourtant pas rencontré la reconnaissance commerciale escomptée : seules 30% des œuvres ont trouvé acquéreur. Si les petites pièces (de 50 à 1500 euros) du type documentation, portraits d’artistes, ou coffrets de groupes, et les pièces uniques ou en séries limitées (toutes certifiées par leurs auteurs) ont fait le bonheur d’amateurs passionnés, la plupart des œuvres estimées entre 3000 et 4000 euros ont souvent frôlé le prix de réserve, sans trouver d’acquéreur.

Certaines pièces de musée ont d’emblée essuyé un RFE (Retiré(e) faute d’enchère). C’est le cas d’une des œuvres majeures du catalogue, “Hole” de Tony Oursler (1998), vanité dans laquelle une projection vidéo réanime la sculpture d’un crâne comme s’il s’agissait d’un dialogue métaphysique de l’être avec sa trace matérielle (mise à prix entre 60000 et 80000 euros). “Mais les grands collectionneurs n’étaient pas au rendez-vous”, explique le commissaire.


"Hole" (1998), installation sculpture vidéo de Tony Oursler, estimée entre 60000 € et 80000€, n’a pas trouvé preneur. © DR

La peinture plus forte que la vidéo !
Ironie du sort, c’est un petit tableau jaune de Nam June Paik surmonté de deux antennes, “Antenne Budda” (1984), qui remporta la plus lourde mise (15 000 euros) : un clin d’œil posthume du fameux artiste coréen qui, dès 1963, s’est distingué, au sein du mouvement Fluxus en Allemagne, par le détournement d’une douzaine de téléviseurs érigés en installation, à l’occasion d’une série de performances (“The Exposition of Electronic Music-Electronic Television”), tandis qu’en France à la même date, le “téléaste” Jean-Christophe Averty présentait ses trucages électroniques en prime time, dans une émission de variétés totalement iconoclaste, “Les raisins verts”.


La meilleure enchère de la vente n’est pas une vidéo… "Antenne Budda" (1984) de Nam June Paik (36 x 28.5 cm) a été adjugée à 15000 €. © DR

Pourquoi la France est-elle toujours en retard sur les marchés de l’art alors qu’elle en nourrit l’histoire ?
En 2013, la jeune plasticienne Camille Henrot remportait un Lion d’argent lors de la 55e Biennale de Venise, pour son film “Grosse fatigue”, brillante odyssée sur la création de l’univers, clippé en 13 minutes. Cette même année, les projections de Pierre Huyghe nous plongeaient dans des écosystèmes humains ou animaliers au centre Pompidou (25/09/13-6/01/14), alors que Philippe Parreno déployait des ralentis de Zidane en action sur près d’une dizaine d’écrans géants au Palais de Tokyo, lors d’une exposition monographique, “Anywhere, Anywhere out of the World” (23/10/13-12/01/14), sur 22000 m2 ! Et déjà se prépare au Grand Palais une grande rétrospective Bill Viola ce printemps (5/03-21/07).

Où donc se situe le bug, quand une place aussi prestigieuse est accordée à l’art vidéo ? Nos collectionneurs n’auraient-ils pas le porte-feuille à la hauteur de nos institutions ? Seraient-ils effrayés par les exigences techniques du matériel de diffusion ? Ne seraient-ils pas encore convaincus de la pérennité du média, de la portabilité des supports ?

Pédagogie
Vincent Wapler admet qu’il savait, en préparant cette vente depuis près d’un an, qu’il prenait un risque : “Nous sommes des acteurs économiques, nous nous sommes positionnés en ouvrant la voie à ce deuxième marché qui est celui de la vente aux enchères : les artistes eux-mêmes et les collectionneurs passionnés ont besoin d’un marché liquide afin de faire circuler les œuvres qui n’ont pas encore de cote réelle et affiner ainsi leurs collections”, dit-il. “Nous espérions atteindre les 50000 euros, nous sommes arrivés à 46180 euros, c’est un peu en dessous de nos estimations”, admet le commissaire, qui ne regrette ni le rôle pédagogique, ni l’effet médiatique de cette première tentative, annoncée lors d’une table ronde le 13 janvier dernier.

Salle comble
Le public composé de galeristes, institutionnels, collectionneurs, et d’artistes, était bel et bien au rendez-vous en ce 29 janvier, dans une salle comble de l’Hôtel Drouot, au téléphone comme sur le Net, rythmée pendant trois heures avec humour et fermeté par le marteau de maître Wapler. Comme il se doit pour toute vente aux enchères, les œuvres pouvaient être visionnées sur place la veille, tandis que des extraits avaient été mis en ligne quelques jours plus tôt sur la plateforme Vimeo et la chaîne de télévision en ligne Souvenirs from Earth.

Glamour en berne
Même si l’expert, Arnaud Brument, fit son possible pour re-contextualiser les œuvres, tout en s’excusant de ne pouvoir nous recevoir dans une salle de projection digne des pièces produites, la vente s’est vite transformée en défilé de jaquettes, K7, DV, VHS ou U-matic. Là culmine toute la problématique de la vidéo, “cet art du fragment, ... du mouvement suspendu”, que décrit justement le critique Michel Nuridsany. Pas facile de jauger “un poème visuel” sur catalogue, de susciter le coup de foudre à la vue d’une clef USB.

Le film de Nicole Tran Ba Vang, “Détail : 1999” (26’) doté d’un concept fort (le départ et le retour quotidien d’un homme à la maison), et d’un protocole très simple (quelques secondes filmées par jour pendant une année), a trouvé acquéreur à 3000 euros.

“Yo MoMa” (2010), une battle verbale (“ta mère”) transposée au milieu de l’art, de Bérangère Henin & Anthony Peskine, une vidéo numérique HD (3’45") éditée à 5 exemplaires, a été vendue 1000 euros. Comme d’autres œuvres de la vente, on la trouve en ligne sur un site de partage.

“Yo MoMa” (2010), Bérangère Henin & Anthony Peskine :


Le fauteuil de Samuel Rousseau, hanté par la gueule rétroprojetée d’un loup ou d’un chien, “Gare à tes miches” (2004), exposé au milieu de la salle des ventes, n’a pas trouvé de fesses assez complaisantes, mais une vidéo du même artiste (“P’tit bonhomme”, 1996) est partie à 5000 euros.


"P’tit bonhomme" (1996), Samuel Rousseau. © DR

Et il s’en est fallu de peu pour que la boucle graphique de Charles Sandinson (“Live”, 2003), change de propriétaire. Cependant l’effet psychologique, la tension dramatique et l’émulation du désir propres aux enchères se sont trouvés en partie annihilés par la dématérialisation des œuvres.

“Et puis les sous-sols de Drouot sont assez peu glamour !” remarque Philippe Riss de la galerie Xpo Gallery. “Quand vous arrivez chez Sotheby’s à Londres, vous avez déjà presque envie de tout acheter face au luxe qui vous entoure.”

La cote d’amour
Le galeriste parisien est néanmoins reparti satisfait : l’animation digitale de Vincent Broquaire (né en 1986), “Locked” (2012), une des deux pièces des artistes qu’il soutient, a séduit un acquéreur pour 1000 euros. “Hisland” (2013), un voyage macroscopique dans le paysage d’une empreinte de Grégory Chatonsky, a bien failli rejoindre la collection du fameux “acheteur K” au téléphone. Récemment présentée au MOCA de Taipeï et au salon Show off pendant la Fiac, elle est montée jusqu’à 2800 euros. “Grégory Chatonsky n’a pas encore de cote établie, et c’est un prix honnête pour le second marché”, estime le galeriste, qui regrette de ne pas avoir pu rencontrer les collectionneurs intéressés. Ça fait partie du jeu !

“Locked” (2012), Vincent Broquaire, extrait :


L’artiste Fred Forest, qui avait créé son buzz en proposant une œuvre à 1€, a vu son “Vase brisé” monter jusqu’à 800 euros pour la copie DVD d’une vidéo de 7’, réalisée lors d’une performance aux Beaux-Arts de Paris (120 exemplaires, 1986). En revanche, les 100000 euros exigés pour sa pièce unique, “Les gestes du coiffeur” (1973), ont coupé court à l’enchère. Avec une certaine forme d’humour et de provocation, l’homme média, présent dans la salle, souhaitait questionner ce qui fait la valeur d’une œuvre.

Des pièces historiques d’artistes bien identifiés, telles “Autofilmage” (DVD, 1987-1993), “Pierrick & Jean-Loup” (DVD, 1995), de Pierrick Sorin, ou encore “Conversation” (VHS, 1995) de Fabrice Hyber, ont été acquises 600 euros chacune par la Bibliothèque nationale. Deux films d’Alain Declercq, “Feed Back” (2003-2005, DVD), qui questionne le 11 Septembre, et “Rendez-vous avec X” (1998-2006, DVD), ont fait des heureux : l’artiste, qui expose des pièces monumentales à Beaubourg, “n’avai(t) encore jamais vendu de vidéo”, dit-il. “Furby” (1999-2000, DVD) de Jeanne Suspuglas, a trouvé acquéreur pour 800 euros.

“Furby” (2000), Jeanne Suspuglas :


L’écosystème de l’art
Comment expliquer l’achat à 750€ euros pièce des deux films “Geisha” (2001-2007) et “Tokyo Lips” (2010) de la jeune artiste Julie Barranger ? Une certaine fraîcheur, le coup de cœur d’un collectionneur ? La vente aux enchères est une alchimie subtile au sein d’un écosystème complexe : “On ne peut pas proposer une œuvre en dessous du tiers de son prix en galerie”, explique le commissaire. “Il arrive que certains artistes se vendent mieux aux enchères, comme Richter, mais c’est très rare.”

Or, si le catalogue propose une fourchette de prix, il existe un seuil en dessous duquel la vente ne peut se faire : le fameux prix de réserve. Cela a troublé bon nombre de participants de la vente du 29 janvier : les annonces du crieur ont parfois démarré en dessous de l’estimation basse inscrite au catalogue, notamment pour le joli film “Etre” (2012-2013) de Valéry Grancher, monté jusqu’à 3800 euros au profit de l’association Ninoo. Malheureusement la barre des 4000€ n’a pas été franchie ! “Dans le cadre d’une vente expérimentale comme celle-ci, les prix de réserve imposés avaient été fixés trop haut, notamment pour les artistes non cotés”, regrette maître Wapler.

“Etre” (2012-2013), Valéry Grancher :


Ainsi, le film de Marcus Kreiss, une partie de football filmée dans la lumière de Bamako en contre plongée telle une chorégraphie, n’a pas atteint son prix de réserve, malgré son originalité, sa poésie et la qualité de sa réalisation. Partie remise, donc, pour “L’ombre de la victoire” (HD, 12’ 45, 2007) ! Ceci dit, il est encore possible de contacter la maison de vente et de réaliser une “after sale” jusqu’à la fin du mois !

Une première à suivre…
Concourir à la mise en place d’un deuxième marché de l’art vidéo n’est pas une opération philanthropique, mais une démarche louable et dynamisante qui nécessite quelques réglages pour remporter la mise ! En attendant, il est utile de rappeler que d’autres acteurs ont œuvré depuis le début des années 80 à la reconnaissance de l’art vidéo, comme les festivals Vidéoformes à Clermont-Ferrand, Les Instants vidéo à Marseille, Bandits-Mages à Bourges, et plus récemment les Rencontres internationales Paris-Berlin-Madrid. Sans oublier les écoles telles le Fresnoy, le travail des éditeurs vidéo Lowave, Heure exquise, ou le catalogue Dis-voir. Sans compter l’impact grand public du festival Hors Pistes au Centre Pompidou, en parallèle de rétrospectives dédiées aux maîtres incontestés du medium (Chris Marker, Jonas Mekas, etc.). Tous sont des acteurs ou des facteurs à prendre en compte, au même titre que l’agenda des collectionneurs ou la couleur de la moquette !


Compléments d’infos :

Le catalogue en ligne sur la chaîne Souvenirs from Earth diffuse quelques extraits des œuvres.

Les prochains rendez-vous de l’art vidéo :
Festival Vidéoformes, du 19/03 au 6/04 à Clermont-Ferrand ;
Bandits-Mages, du 12/11 au 15/11 à l’école supérieure d’art de Bourges ;
Les 27es Instants Vidéo à Marseille, “Pour une libre circulation des corps et des désirs”, novembre 2014.

v.godé/orevo 

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