Revisiting Documentary : Deimantas Narkevicius, Otolith Group, Clemens von Wedemeyer et Maya Schweizer projections à la Cinémathèque, le 27/01 à 14h30, à l’occasion de la sortie du livre de Pascale Cassagnau, « Future Amnesia, Enquêtes sur un troisième cinéma » (Isthme Editions), Salle Georges Franju, 6 €.
« Future Amnesia », un livre à entrées multiples qui revisite l’histoire du cinéma. © DR
< 27'01'08 >
Pascale Cassagnau : « L’art de l’entre-deux, un troisième cinéma »

Pascale Cassagnau a de la chance, elle passe son temps à rencontrer des artistes et à découvrir leurs projets. Critique d’art et spécialiste au sein du ministère de la Culture des nouveaux médias, elle est également l’auteure de « Future Amesia, enquêtes sur un troisième cinéma » (2007). Un livre truffé d’exemples de cette voie médiane, entre art vidéo et cinéma expérimental, qui fait se rencontrer des artistes, des cinéastes, des inclassables. Elle propose ce dimanche à la Cinémathèque une programmation qui témoigne de cette troisième voie, consacrée aux formes documentaires « revisitées » : « Revisiting Solaris », du lithuanien Deimantas Narkevicius (2007, 18’), des films essais de The Otolith Group ( Anjalika Sagar, Eshun Kodwo, Otolith I and II, 2003, 22’) et enfin « Metropolis /Report on China » (2006, 42’), de Clemens Von Wedemeyer et Maya Schweizer. L’occasion était trop belle de s’asseoir autour d’une table avant la projection, pour se faire raconter cette nouvelle histoire du cinéma...


Plutôt que vous demander directement de définir ce « troisième cinéma », dites-nous ce que n’est pas ce livre ?
Comme le disait Deleuze à propos de Carmelo Bene, je dirais que c’est un livre de moins sur l’art vidéo. Je voulais faire un essai libre sur la forme cinématographique qui donnerait à lire des documents de première main. Les artistes dont je parle, j’ai connu la genèse de leurs œuvres à travers un compagnonnage régulier. Mon ambition était aussi de replacer le sujet dans un contexte théorique. Même si je viens de l’histoire de l’art, je considère que c’est une discipline bâtarde. Ce n’est pas non plus une histoire de l’art vidéo, déjà écrite, ni une histoire du cinéma expérimental, forte de beaucoup d’ouvrages. Il s’agit plutôt d’un essai sur un ensemble d’œuvres apparues depuis une vingtaine d’années et qui concerne les images en mouvement. Une troisième voie qui rassemble de nouvelles formes de récit et de temporalité, de nouvelles pratiques documentaires, des formes et des ambitions cinématographiques émanant d’artistes, de cinéastes, apparues dans les récentes Biennales de Venise, Documenta et Manifesta par exemple.

Comment s’est effectuée la réunion de tous ces artistes ?
Toutes ces œuvres ont encore une difficulté à exister du point de vue institutionnel, précisément parce qu’elles ne sont ni ceci (art vidéo), ni cela (cinéma expérimental). Ces projets répondent à une économie très spécifique et des modes d’écriture très différents : Chantal Akerman, Pierre Huyghe ou Charles de Meaux par exemple ont des projets qui ne se présentent pas forcément sous la forme d’un scénario, ce rend leur éligibilité au CNC (le Centre national du cinéma, ndlr) difficile. Dans le champ des arts plastiques, on dit que ce sont des cinéastes et inversement dans le champ du cinéma, on dit qu’ils n’entrent pas dans les critères pour accéder aux financements.

N’est-ce pas la définition d’une certaine transdisciplinarité ?
A partir du moment où le créateur déplace son axe vers un autre domaine, ça induit le trouble. C’est encore pire en France où tout le monde est mis dans des cases institutionnelles ou esthétiques. Il faut sans cesse répéter les choses, et pourtant la question du dialogue des arts est une caractéristique de l’art contemporain et même de tout l’art moderne. A l’origine du 20ème siècle, les artistes qui ont commencé à travailler avec le son par exemple ont posé la question de la forme produite : de la musique ? Du mouvement dada en passant par Kurt Schwitters et le futurisme, les artistes ont fait dialoguer le son, le texte et les images. C’est toute l’aventure du XXe siècle.

D’où le titre du livre, « Future Amnesia » ?
C’est le titre d’une œuvre de Pierre Huyghe, qui est fondée sur une bande son à l’envers. Une manière de casser toujours et encore la grammaire et la chronologie. J’aimais aussi ce non-sens au sens britannique (j’aime beaucoup les noms des galeries à New York à la Lewis Caroll, « After the Rain », « Metro Picture »...), d’une histoire racontable et possible. Je prépare un autre essai sur les relations entre les images et l’histoire des médias, faite de suites et de retours en arrière. Un essai sur l’art contemporain et la télé, ou plutôt, sur la création contemporaine dans l’architecture des médias en replaçant cette histoire-là dans une autre histoire, qui va de Lucio Fontana en 1952 à Stan Douglas dont vient de s’achever à Stuttgart une rétrospective. Dans « Future Amnesia », ce qui m’intéressait aussi, c’était de faire la synthèse entre l’art contemporain et le cinéma : le troisième cinéma désigne d’abord et avant tout des formes cinématographiques.

Alors quelle est sa singularité ?
C’est d’abord un champ parallèle au cinéma expérimental. Celui-ci se définit par une économie (le refus du cinéma commercial) et une esthétique (les enjeux du travail sur un support spécifique). Il s’affirme d’abord entre ou contre le cinéma, avec Debord en 1952 et l’écran noir jusqu’à Pip Chodorov aujourd’hui. C’est ensuite une histoire parallèle à l’art vidéo, ce continent né de la télévision, qui se préoccupe du rapport au tableau et à la peinture. Le troisième cinéma a une autre origine, à trouver plutôt du côté d’Andy Warhol, de la Nouvelle vague, de Marguerite Duras ou Chris Marker.

Plutôt qu’une grande théorie, le livre est construit par petites touches, et par une variété de formes (des entretiens, des présentations d’œuvres…), pourquoi ?
Je ne voulais pas inscrire ce livre dans des causalités obligées, je souhaitais maintenir à vif les courts-circuits et les significations inédites, cette manière de raisonner rhizomatique qu’ont les artistes. Et il ne s’agit pas non plus de ce que d’autres ont appelé « Future cinéma » (le Zkm en 2004, ndlr), qui développe d’autres problématiques, qui concernent la projection, l’écran. Le fait de laisser la parole à des artistes construit un paysage, via des exemples emblématiques qui rendent compte et analysent les projets, reviennent sur des corpus comme celui de Pierre Alféri ou prennent le temps de remonter dans l’œuvre de certains pour multiplier les perspectives et faire le point. Les différents entretiens permettent d’éclairer le sujet et de varier la forme.


Vous appliquez à ces objets « tiers » de nouvelles définitions, comme les espaces pliés pour parler des artistes tournant autour (ou détournant) des jeux vidéo…
De même qu’on parle d’espaces persistants, il me semblait que l’espace est toujours présenté par sa caractéristique topographique et topologique, un peu froissé, c’est un espace qui n’est pas toujours réel mais pas non plus virtuel. Deleuze faisait cette métaphore de l’espace plié et froissé mais ne parlait pas de jeux vidéo. Je pensais que ces jeux nous entraînent dans des expériences devant lesquelles nous sommes toujours en porte-à-faux, pas totalement adaptés, en cours de constitution.

« Future Amnesia » est un livre sur un monde d’images tierces, mais qui fait une part congrue aux images, toutes en annexe, réduites à la taille d’une vignette. En même temps, vous mettez à disposition du lecteur un DVD d’un film inédit, « l’Accompagnement » (1966), de Jean-André Fieschi. Pourquoi ?
Je m’étais dit que je ne mettrai pas du tout d’images. Finalement détachées du texte, elles sont là pour rappel, et sans couleur pour maintenir une sorte de démocratie. Toutes sont des photogrammes, ces arrêts sur image ont été choisis par les artistes, à titre de rappel.
Comme il était question de cinéma, c’était drôle de joindre un film qui ne relève pas du champ strict des arts plastiques mais soit représentatif de cet ensemble d’œuvres dont je parle. Parce que le troisième cinéma, c’est de l’histoire ancienne. Ce film est un inédit jamais commercialisé, restauré et en bêta numérique. Qui se passe dans l’atelier de Robert Malaval, qu’on ne voit pas, mais le film réunit des artistes qui travaillaient en une communauté invisible, Jean-André Fieschi, Maurice Roche, Claude Ollier, Bontemps et André Téchiné. C’est une fiction (le montage est de Jean Eustache), qui raconte l’histoire d’un musicien raté : il y a là une sorte d’interdisciplinarité totale. Le réalisateur qui fait le film ne sait pas de quoi il parle. A la manière de Franju, le montage est impur et baroque, primesautier, emblématique du sujet ; chaque personnage joue le rôle d’un autre. Le film met en scène des pieds nickelés.

Pour finir, quel artiste serait selon emblématique de ce troisième cinéma ?
Plutôt qu’une liste des artistes qui sont dans le livre, je préfèrerais citer un projet qui n’y est pas, du cinéaste Gilles Blanchard, qui a réalisé « Tête d’or », un film sorti en novembre dans de trop rares salles et que je recommande fortement. « Tête d’or » est le premier texte écrit par Claudel à 20 ans, qu’il n’a jamais mis en scène, expliquant après-guerre que le seul endroit d’où l’on pourrait la jouer était un Stalag. Blanchard a décidé que le seul endroit, c’était une prison, celle de Plouermel, en Bretagne. Il a réuni une troupe parmi les prisonniers, à qui il a fait lire le texte. Il leur a demandé quelle actrice pourrait jouer la princesse, ils ont choisi Béatrice Dalle, qui a accepté. On y assiste à la rencontre, entre elle, l’actrice et lui, le prisonnier qui joue Tête d’or. Aujourd’hui, Béatrice Dalle est mariée avec lui. Ce film est un objet non identifié, mi-film mi-performance. A certains moments, les prisonniers bégaient, certains sont carrément à côté de la plaque avec leurs peignoirs avec revers en fourrure et lunettes noires ou jouent très mal. Au regard du cinéma conventionnel et commercial, c’est impossible. « Tête d’or » est d’abord une expérience. Le cinéma suit ça comme une hyperréalité : un premier film en prison. Mais c’est plutôt ici l’intrusion du cinéma en prison, le va-et-vient entre l’acteur et le prisonnier qui fascinent.
Le deuxième exemple que je voudrais citer est « Fernand Deligny, à propos d’un film à faire », l’histoire d’un film quasi-inédit filmé par Renaud Victor, jeune réalisateur, dans lequel Deligny décrit le film qu’il aimerait faire, où sont insérés des plans qu’il a déjà tournés. C’est un film déconstruit, une archive et aussi un film jamais réalisé. Deligny dit : « Au fond les autistes n’ont pas le langage parce qu’ils n’ont pas confiance dans les images. » Nous aussi devons nous en méfier. Deligny est en tout cas un des premiers à comprendre que le cinéma et les images, ce n’est pas la même chose. Ce film n’est ni un documentaire, ni du cinéma, c’est autre chose qui questionne, comme Godard : « Qu’est-ce qu’une image ? » Enfin je voudrais citer, en hommage à Gébé et Jacques Doillon, « l’An 01 », réalisé en 1972. Nous sommes aujourd’hui aussi en l’An 01, l’an 01 de la lutte ou de l’aliénation, l’Histoire le dira !

annick rivoire 

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< 1 > commentaire
écrit le < 27'01'08 > par < info Grp remixarts.com >

Ceci n’est pas une future amnesia gratuite.

http://www.dailymotion.com/video/x3ccfb_vmr