Interview de Ferdinand Richard, fondateur et directeur artistique du festival Mimi, dont la 24e édition débute ce jeudi 16 et dure jusqu’au 19/07 sur les Îles du Frioul, au large de Marseille (13).
L’hôpital Caroline sur les îles du Frioul, théâtre du festival des musiques innovatrices, ou la partie immergée de l’iceberg Mimi ("une activité structurante à l’année" selon Ferdinand Richard). Un exemple à suivre pour Marseille, Capitale européenne de la culture 2013 ? © DR
< 16'07'09 >
Mimi : « Echapper à la "festivalisation" de la culture »

Ce soir, il déclarera officiellement l’ouverture du 24e Mimi (Mouvement international des musiques innovatrices), festival dont poptronics est partenaire. Ferdinand Richard est un homme pressé et un baroudeur culturel. Le programmateur de cette manifestation dévolue aux formes expérimentales du monde entier est toujours en quête de coopérations et de nouveaux projets internationaux. Encarté chez les Verts dont il préside la commission culture, il milite avec ses émotions de musicien, lui qui a contribué, dans les années 70, au sein des fantastiques Etron Fou Leloublan, à chavirer les esthétiques et faire valser les étiquettes. Pop’interview d’un acteur incontournable de la scène culturelle marseillaise, avec, en ligne de mire, les aléas PACA (l’annulation de Seconde Nature à Aix-en-Provence est encore toute proche, tandis que le projet Marseille 2013 Capitale européenne de la culture échauffe les esprits).

Vous êtes à la tête du Mimi depuis ses débuts, ça ressemblait à quoi à l’époque ?
La première édition, en 1986, s’est déroulée dans les arènes de Saint-Rémy-de-Provence : la programmation était fulgurante (Fred Frith, Ghedalia Tazartes et le dernier concert d’Etron Fou) mais s’est soldée par un échec commercial cuisant. En plus de mon groupe, j’animais alors une émission de radio à Saint-Rémy-de-Provence. Comme le festival de jazz local s’arrêtait, le maire m’avait demandé de reprendre le flambeau. Cette première édition, j’ai perdu 16.000 francs et mon groupe a explosé. Je me suis retrouvé au fond du trou et très endetté. Le formidable maire de Saint-Rémy nous a mis en relation avec la Drac et le conseil général des Bouches-du- Rhône, ce qui nous a permis de recevoir des subventions. Harmonia Mundi, basé à Arles, nous a aidé pour la com’. C’est comme ça qu’est née la deuxième édition, en juillet 1987, avec le premier concert en Europe de l’Ouest d’Iva Bittová, les Japonais After Dinner ou les Têtes Brûlées, dont le concert fut filmé par Claire Denis. 70% du public était étranger, surtout britannique, hollandais et italien.

Le glissement géographique du festival, de Saint-Rémy-de-Provence aux îles du Frioul, au large de Marseille, est-il le signe de la difficulté de tenir des manifestations culturelles en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
A la fin des années 80, l’administration de l’AMI s’est déplacée à Marseille. Il ne suffisait pas de mettre en lumière des musiciens et ensuite les renvoyer dans leur cave de répétition. Il fallait travailler toute l’année sur la structuration d’une scène locale. Et puis, le nouveau maire de Saint-Rémy-de-Provence, FN sans en avoir l’étiquette, nous avait convoqué en mai pour nous dire qu’il ne voulait plus du Mimi sur sa commune, alors que le festival devait se dérouler en juillet ! La com’ était déjà partie. J’étais pris au piège. Le conseil général des Bouches-du-Rhône nous a alors proposé le domaine de l’étang des Aulnes, entre Arles et Salon-de-Provence, qui n’avait ni eau ni électricité. C’était parti pour sept éditions du Mimi. Nous avons commencé à prendre de l’ampleur. Ensuite, nous avons été obligés, pour des raisons politiques, de nous installer pendant cinq ans dans le théâtre antique d’Arles. Au début des années 90, on s’est dit qu’il fallait amener le festival à Marseille, au moment où naissait le projet de la Friche Belle de Mai.

Comment le projet de friche culturelle dans l’ancienne usine de la Seita a-t-il aidé le Mimi ?
A partir de 1992, j’ai été associé à la création puis à la direction du lieu, dont le président était Jean Nouvel. C’est lui qui a sauvé la Friche, au départ un projet d’expérimentations artistiques de deux ans accepté par la Seita pour occuper ses anciennes usines de tabac. Le poids de Jean Nouvel a consolidé l’existence de la Friche et lui a permis de grandir. Le Mimi s’est déplacé sur les îles du Frioul, en perdant son public international mais en gagnant un public local plutôt jeune, en synergie avec notre travail à l’année : beaucoup de musiciens marseillais ont usé leurs fonds de culottes au Mimi, qui est devenu au fil du temps un outil de développement. Sans la Friche, rien n’aurait été possible. Elle nous a permis de contribuer à l’essor d’une scène vivante et autonome, créative, innovante, sur le territoire de Marseille. Dès la construction de la Friche, nous avons parlé d’outils de développement urbain. J’ai dit rapidement que je ne voulais pas organiser de concerts mais plutôt créer des studios de répétitions (gratuits) et tout l’environnement qui permet à un musicien de se structurer. Toutes les esthétiques sont concernées, rap, musiques électroniques, hard rock, etc. Depuis 1992, la plupart des groupes de Marseille sont passés par nos studios, dont IAM, à une époque où on parlait peu du rap. C’est aussi l’époque des premières coopérations internationales et des premiers ateliers. L’AMI s’est mise à grandir, de 4 salariés à 13 aujourd’hui, et j’ai pu m’embaucher en 1994.

Quand on regarde la récente annulation du festival Seconde Nature, on dirait bien que l’histoire se répète ?
Je trouve cette annulation lamentable. La grande région marseillaise compte plus de 150 festivals de musique en juillet et août : on est sous le joug de la « festivalisation » de la culture. Cela m’intéresse donc de soutenir les manifestations qui échappent à ce phénomène. Seconde Nature n’est pas un festival d’été pour les touristes, il est la partie visible d’une activité structurante à l’année. L’annuler, c’est donc beaucoup plus grave que d’annuler un événement de com’. Ce n’est pas digne d’une ville dite culturelle comme Aix. Mais Seconde Nature est une structure forte, elle va résister et l’an prochain, elle organisera un super festival, il n’y a aucun doute.

En quoi cela fragilise-t-il la mise en place de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la Culture ?
Seconde Nature se déroule sur le territoire des 30 communes partenaires de Marseille Provence 2013, cette annulation porte un coup au projet. Marseille Provence 2013 est bien entendu une chance pour la région même si tout le monde sait que rien n’est gagné. La grande faiblesse de 2013 est d’être avant 2014... c’est-à-dire l’année des élections municipales. Tout le monde, et de tout bord, va instrumentaliser cette année culturelle. La candidature de Marseille Provence a été retenue parce qu’elle est structurante mais parviendra-t-elle à rester dans cette perspective ou dérapera-t-elle vers la super com’ et des programmations remplies de superstars ? Avec l’AMI, nous avons soumis deux projets à Marseille Provence 2013. Le premier est une grande plate-forme d’économie de la culture, appelée Dynamo, qui regrouperait une dizaine d’opérateurs, de fondations ou d’associations qui se préoccupent des questions de l’économie et de l’emploi dans le champ culturel. L’AMI serait la cheville ouvrière de ce « cluster » d’entreprises indépendantes qui mutualiseraient leurs moyens. L’autre proposition est artistique : nous souhaitons élargir le festival Mimi aux arts électroniques et environnementaux (land art, installations) sur les îles du Frioul, qui sont le cœur du futur Parc National des Calanques. Ce projet se ferait en coproduction avec l’Ecole d’Arts d’Aix et Seconde Nature, même s’il impliquera des négociations avec le Comité d’Intérêt de Quartier du Frioul.

Votre parcours de musicien vous a-t-il aidé à devenir cet acteur culturel régional ?
Dans les années 70, j’étais à la fois le bassiste, manager et tourneur d’Etron Fou Leloublan, ce qui m’a permis de me forger ma propre expérience de terrain et de m’intéresser aux démarches musicales qui se situent en-dehors du cadre. Etron Fou était un groupe iconoclaste, aux morceaux très écrits, avec une grosse influence dadaïste. Le nom du groupe était un pied de nez aux groupes très sérieux de l’époque, Magma, Gong et consorts. Nous étions tous très fans de Captain Beefheart (donc anti-Zappa), de Henry Cow, Fred Frith, avec qui j’ai collaboré à la fin des années 70. Ma vie de musicien a été magnifique mais aussi très difficile. Nous avons publié 24 albums et fait un millier de concerts, qui nous ont amené au Japon, aux Etats-Unis, en Europe, dans les pays nordiques et dans les pays du bloc soviétique, d’où ma passion pour la chose européenne.

Une question rituelle pour finir : côté souvenirs, en 24 éditions, le pire et le meilleur selon vous ?
Le pire est évidemment le dernier concert d’Etron Fou Leloublan, lors du premier festival. Pour les meilleurs, musicalement, ce sont les concerts fabuleux des Hurleurs de Finlande, d’Ornette Coleman et son New Quartet, de Terry Riley ou de The Ex... J’ai aussi des souvenirs extraordinaires au sein d’Etron Fou, dont un concert à Reykjavik, en 1984, lors d’un festival où jouaient John Zorn et Fred Frith. Un petit groupe amateur assurait notre première partie, devant 200 personnes. Il s’agissait des Sugarcubes ! En programmant Matmos cette année, je fais un clin d’œil à cette soirée passée avec Björk.

benoît hické 

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