« Esthétique des pôles – Le Testament des glaces », jusqu’au 7/2/10 au Fonds Régional d’Art Contemporain de Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, Metz.
« Arctic-Pull », une performance filmée à l’infrarouge de Darren Almond (2003), où seul le râle de l’artiste est perceptible au premier regard. © DR
< 21'01'10 >
Metz déplace les pôles côté art

(Metz, envoyée spéciale)
Il y a dans l’exposition « Esthétique des pôles – Le Testament des glaces », à Metz jusqu’au 7 février, une salle à la métaphore simple, qui peut se lire – et se voir – à la manière d’un tract politique et écologique. Sur deux des parois obsessionnellement blanches du Frac Lorraine, s’inscrit le wall painting « Reliefs polaires » commandé par le Frac à Dominique Auerbacher, photographe du paysage (jusqu’à celui-ci, textuel et mural). Les mots y sont affichés dans toute la gamme Pantone® des bleus, composés dans des caractères typographiques utilisés en presse (ce qui évacue tout effet de joliesse graphique), de corps différents. Dominique Auerbacher a agencé des phrases, piquées, reprises de ses lectures d’articles scientifiques, de textes littéraires, de récits d’explorateurs sur la « conquête » des pôles, d’infos journalistiques sur la disparition inexorable de la banquise (on le sait maintenant depuis la mascarade et le flop du sommet de Copenhague en décembre dernier).

A une certaine distance, le visiteur a la sensation très picturale d’une vague arctique dans toutes les variantes des bleus froids, mouvement visuel qui fond forme plastique et écriture. Lorsqu’il s’approche, il est confronté à des lectures au registre et au statut informatifs différents. Son œil recompose un récit personnel, pris par ces lignes de phrases, attiré par des blocs de mots placés dans les interstices des phrases superposées. La première sensation relève du choc plastique, une immersion dans un paysage bleu glace fragmentaire et mouvant ; la sensation seconde en appelle à l’information et à l’imaginaire, à la réflexion et à l’énigme poétique, à la pensée et au constat écologique. Quelques exemples : « La banquise pourrait disparaître en Arctique durant l’été d’ici 2030. » « Les baleines échouées sont si polluées qu’elles sont incinérées dans des centres réservés aux déchets dangereux. » « Le blanc entre en mouvement. Comme une plume, l’ours blanc s’approche, dansant sur les pierres et les distances. » « Rose Sélavy et moi esquivons les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis. » « Je vois le continent blanc, lisse. Il monte en toute lenteur vers cet horizon ».

Pas tout à fait au centre de cette même salle, la sculpture iceberg de Marijke van der Warmerdam, « Tip of the iceberg » (2000). Posé sur un socle blanc circulaire, peu imposant, un bloc de glace qui, sous la chaleur ambiante, fond… le temps de l’exposition. Ou plus exactement, fond dans le laps de temps de quarante-huit heures environ, connaissant toutes les formes éphémères de la disparition due à sa fonte programmée. Peut-on être plus explicite dans la « reproduction » à échelle réduite des conséquences immédiates et sur le long terme du réchauffement climatique ? Non. L’exposition se fait vision directe, « in live » et en accéléré d’une fin annoncée.

Mais cette salle « tract » ou « alerte » n’est qu’une des ponctuations dans les relations de fascination ambivalente et obscure de l’homme occidental à ces régions polaires. Elles ont été, elles sont ses territoires d’exploration (scientifique et imaginaire… et aujourd’hui touristique et artistique), ses zones de conquête (politique et poétique), un exotisme qu’il définit comme vierge, sa quête narcissique d’un inconnu que pour lui-même, son expérience solitaire… d’une épreuve de soi. Ce que racontent quatre films et vidéos projetés dans une obscurité qui rappelle au visiteur cette évidence géophysique : la nuit est aussi la réalité de ces terres aux extrémités.

Ainsi l’accès au film tourné à l’infrarouge par Darren Almond – « Arctic-Pull », 2003 – se fait par un étroit couloir aveuglant de noir… Brille soudain une faible lumière qui vient de l’écran, le spectateur n’aura atteint que cela. Ensuite, un homme de dos – l’artiste – se met dans une situation d’effort physique harassant et fragile, le râle de son effort emplit non seulement la zone de projection, mais retentit quasiment dans l’intégralité des espaces du Frac. Lutte contre les éléments naturels, contre soi-même… Guido van der Werve – dont nous avons déjà parlé dans Poptronics pour son exposition à l’Institut néerlandais de Paris à l’automne 2009 – accomplit également une performance qui le met, solitaire, dans l’immensité blanche et sans horizon de la banquise. Le film 16 mm « Nummer acht. Everything is going to be alright » (2007) met en performance une marche quasi immobile et l’étrange poursuite de la silhouette d’un homme, dont le spectateur ne peut distinguer les traits, par un brise-glace. Mais est-ce vraiment cela ? Dans ces deux films performances d’artistes, le doute reste entier. A quoi l’homme occidental cherche-t-il à se confronter… à ses pertes d’horizon, à ses pertes d’orientation que les instruments scientifiques de mesure avaient si bien mis en place depuis la Renaissance. Il y a dans l’espace d’accueil du Frac, presque subrepticement posé au sol, un objet minimal, une boussole sans cadran, sans indication des points cardinaux, imaginée par Jean-Jacques Dumont (« Le nord toutes les soixante secondes », 2007). Impossible de trouver le Nord, impossible de s’orienter, inversion des pôles géographiques et magnétiques, inversion de nous-mêmes. Et ce n’est pas la carte conceptuelle de David Renaud, « Deception Island » (2008), en forme de bloc sculpture qui nous aidera. Nous pouvons l’emporter dans un geste à la Felix Gonzalez-Torres, nous n’aurons entre les mains qu’une illusion d’un bleu ciel…

« Esthétique des pôles. Le Testament des glaces » est une exposition iceberg. Sa face visible s’affiche via la réalité matérielle des pièces et des œuvres, la thématique écologique affichée jusque dans les cartels, ce qui en fait une exposition de notre temps. Sa face immergée (la plus profonde, la plus cachée, la plus confuse, la plus obscure) en fait une métaphore de la crise de la conscience de l’homme occidental dans les fractures de ses repères et de ses dominations, de ses imaginaires – qu’il détruit lui-même par ses actes et par son système économique libéral –, dans les vanités de la fabrique artificielle d’expériences solitaires. Eclatements formels, éclats existentiels et clos, formulation et reformulation des pourquoi, cette exposition nous propulse dans une esthétique de l’expérience dont nous ignorons l’objectif, à moins de rester devant la pièce magnifique de Dove Allouche et Evariste Richer, « La Terrella » (2002), machine à recréer des aurores boréales, dans un instant épiphanique… Un laps de beauté, soudain. Aléatoire et mécanique…

marjorie micucci-zaguedoun 

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