Retour sur l’exposition « From Here On », présentée aux Rencontres photographiques d’Arles, sur la photo partagée (du 4/07 au 18/09/11), par Nicolas Frespech, artiste et pop’chroniqueur qu’on ne présente plus.

Pour l’occasion, Nicolas s’est même fendu d’un hack d’Arles en réalité augmentée à voir ici-même.

Thomas Mailaender se met en scène dans l’exposition qu’Arles consacrait (enfin !) à la création visuelle partagée à l’ère des réseaux. Pour lui, le fond d’écran volcanique figure le "tourisme extrême". © DR
< 30'09'11 >
Les glan(d)eurs numériques de l’image

(Arles, envoyé spécial)

« From here on »..… A partir de maintenant... était l’exposition qu’Arles consacrait cet été à la création à l’ère du Web 2.0. Les cinq commissaires, Clément Cheroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim Schmid, outre leur choix d’artistes présentés pendant les Rencontres photographiques, ont pondu un manifeste... un brin en retard sur les pratiques des artistes sur l’Internet. OK, le manifeste nous apprend qu’aujourd’hui nous téléchargeons et remixons les images et qu’avec tout ça on peut faire de l’art et qu’à partir de maintenant (« from here on », le titre de l’exposition…), tout va changer, mais tout a déjà changé, non ?

Le Manifeste en question :

Maintenant, nous sommes une espèce d’éditeurs. Tous, nous recyclons, nous faisons des copier-coller, nous téléchargeons et remixons. Nous pouvons tout faire faire aux images. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un œil, un cerveau, un appareil photo, un téléphone, un ordinateur, un scanner, un point de vue. Et, lorsque nous n’éditons pas, nous créons. Nous créons plus que jamais, parce que nos ressources sont illimitées et les possibilités infinies. L’Internet est plein d’inspirations, du profond, du beau, du dérangeant, du ridicule, du trivial, du vernaculaire et de l’intime. Nos petits appareils de rien du tout, capturent la lumière la plus vive comme l’obscurité la plus opaque. Ce potentiel technologique a des répercussions esthétiques. Il change l’idée que nous nous faisons de la création, il en résulte des travaux qui ressemblent à des jeux, qui transforment l’ancien en nouveau, réévaluent le banal. Des travaux qui ont une histoire, mais s’inscrivent pleinement dans le présent. Nous voulons donner à ces travaux un nouveau statut. Car les choses seront différentes, à partir de maintenant...

Le manifeste fait l’impasse sur les questions de droit d’auteur (très particulier en France) et les licences libres... pour ne garder qu’une posture artistique. Bien bien. Un manifeste, des curators célèbres, c’est toujours bon pour les artistes présentés, se dit-on. Ceux-là quittent en tout cas leurs écrans pour jouer au vrai jeu de tirages photographiques présentés sur des cimaises toutes blanches dans un univers squatt très air du temps. Des grillages évitent même au spectateur de resquiller son entrée. Dans le monde du copier-coller, la notion de propriété privée est encore bien ancrée…

Oublions donc ce manifeste dépassé et anecdotique pour nous concentrer sur l’exposition, stimulante, elle, et sur ces artistes en pleine forme ! Après le Tous photographes , l’exposition phénomène du Musée de l’Elysée sur les pratiques amateures de la photographie, place donc à la photo partagée, soit une nouvelle manière d’exploiter les ressources disponibles sur le Net.

De Google Images à Flickr, nous avons tous déjà cherché des images sur le Net, ne serait-ce que pour illustrer un exposé de biologie ! On le sait maintenant, une poignée d’acteurs se partagent le marché des bases de données photo. Des milliards d’images sont stockées et archivées dans des milliers de serveurs en surchauffe, reste le problème de leur accessibilité. Analyse des couleurs, des visages, des formes, ajout de mots-clés (folksonomie)... c’est le chemin qui mène à la photo qui devient un geste d’art en référence au Ready Made d’un certain Marcel Duchamp. Place au tous collectionneurs !

Penelope Umbrico collectionne les couchers de soleils, Viktoria Binschtok des globes… pour nous parler de globalisation. Andreas Schmidt organise quant à lui des copies d’écrans de vignettes hétéroclites classées par couleur (série RGB). Herman Zschiegner présente la même reproduction du portrait d’Allie Mae Burroughs (l’une des images les plus emblématiques de la dépression post-1929 aux Etats-Unis par Walker Evans) en différents formats... Ambiance Basse définition !

Franck Schallmaier récupère sur le Net des photos de bites disposées à côté d’un objet qui fait office de mesure subjective (un clavier d’ordinateur, une canette de Red Bull, un tube de dentifrice...) et organise ces images sur un grand mur. Plus loin, il présente une autre série où des hommes nus se prennent en photo face à leur un miroir, le flash de l’appareil photo efface leur visage, créant une étrange ambiance. La physionomie disparaît au profit du corps, ce qu’a bien saisi Ewoudt Boonstra qui pioche sur le Net des images familiales dont les visages sont volontairement tronqués.

Thomas Mailaender offre des œuvres bourrées d’humour et de second degré : il se met en scène sur des fonds d’images récupérés sur le Net, surfe ou cuisine des pizzas sur des volcans, fait de la poterie cheap et construit un musée pour des poules…

Ou encore il se fait peindre par Pricasso, un artiste ringard qui réalise son portrait avec son « pinceau » !

Prendre de la hauteur !

Du côté du paysage, aussi, les propositions sont intéressantes, qui toujours relèvent d’un certain esprit d’appropriation des images des autres (publiques, privées, scientifiques...).

Les photos de lieux touristiques de Corinne Vionnet par exemple, même si elles sont plus classiques, juxtapositions d’images d’un même monument, sont le pur produit de la surproduction visuelle due à la généralisation d’outils de prises de vues grand public et numériques.

Jenny Odell se sert de photos satellitaires pour en extraire des éléments particuliers comme des piscines et construire des œuvres très plasticiennes. Elle capte, détourne et ne garde de ces vues que certains motifs. Mishka Henner pioche dans les images satellites pour nous montrer des paysages dont certaines zones sont floutées pour cause de sécurité intérieure (usine, dépôt de carburant...).

Doug Rickard et Jon Rafman montrent d’étranges scènes volées via Google Street View… A propos d’images volées, Jens Sundheim capture des images de webcams sur lesquelles il met en scène son ami Bernhard Reuss. Plus simple, Kurt Caviezel récupère des images de caméras, perturbées par différents éléments parasites comme une queue d’oiseau ou un insecte passé sur l’objectif.

Mocksim détourne la base de données des contraventions de stationnement de la ville de Brighton pour présenter des photos de voiture à même une table d’exposition. Quant à David Crawford et ses voyageurs du métro japonais en stop-motion, ils font penser aux autres voyageurs métropolitains, des femmes à Paris, photographiées par Chris Marker, à qui Arles consacrait une riche rétrospective.

Hacking ou récup’ créative, la question se pose-t-elle encore ? Ainsi des rockeurs anglais The Get Out Clause dont le clip n’utilise que des images de vidéosurveillance (on le sait, l’Angleterre aime les caméras et les groupes de rock).

Hans Aarsman incarne parfaitement cette contradiction entre le désir d’aller piocher sur le Net façon consommateur lambda, le questionnement en images autour de la profusion d’objets de consommation et notre propension à en vouloir toujours plus... jusqu’à épuisement !

Des images sous contrôle

Plus angoissant et plus politique, les photos du dictateur nord-coréen Kim Jong-il. Kim au bord du ridicule qui pose devant un radis géant, du maïs… Des images de propagande détournées dans un pays où faire des photos et les partager est quasiment interdit.

On pourrait penser que la Corée du Nord, c’est loin... C’est un des manques de cette exposition : la censure n’a jamais été autant dans l’air du temps qu’avec le numérique. Trop rares sont les internautes qui se posent des questions sur cette question. Flickr est ainsi un des premiers censeurs du Net : essayez de chercher sur le site de partage de photos le terme « sex » et vous pourrez constater aisément que la recherche d’images sur le Net est loin d’être exhaustive et en phase avec la réalité des internautes et des artistes… Par exemple, la vidéo de Pricasso en train de peindre avec son sexe a été rejetée par Dailymotion !

En attendant, Martin Parr, l’un des commissaires de « From here on », exposait à Paris des images 3D réalisées avec une Nintendo 3DS, visibles du 1er au 17/09, uniquement sur la console de jeu japonaise, sans doute en panne de ventes ou en quête d’une nouvelle promo... From here on... !

nicolas frespech 

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