5 ans, 50 portraits.
Aujourd’hui : Babycastles, collectif new-yorkais de jeux vidéo indés, vivent et travaillent à New York.
Auteur (texte et photos) : Cherise Fong, correspondante de Poptronics à New York.
Ouverture de la galerie Babycastles, 137 West 14th Street à New York, fin mai 2014.
“Le déjeuner des canotiers Babycastles”, autoportrait numérique pour Poptronics du collectif de jeux indés Babycastles. © Hillary Reeves
< 24'04'14 >
Les Babycastles font leurs jeux à Manhattan

(New-York, de notre correspondante)
(pop’50) Enfin ! Après cinq ans d’opérations dans des lieux underground de Brooklyn et du Queens, d’espaces temporaires de centres d’art en musées à New York comme à l’international, Babycastles a emménagé dans son petit chez soi, à l’étage d’un vieil immeuble de charme sur la 14ème rue –downtown Manhattan, bien évidemment. A quelques pas du populaire Union Square à l’est et pas très loin des galeries de Chelsea à l’ouest, le collectif new-yorkais promoteur de jeux indépendants a trouvé sa place permanente au cœur de la ville.

“Notre but, c’est d’inspirer et d’encourager à créer des jeux tous ceux qui ne s’en estimaient pas capables”, dit Syed Salahuddin, cofondateur de Babycastles avec Kunal Gupta, pour résumer leur mission première.

Depuis 2009 en effet, Babycastles monte des expos, anime des ateliers et organise soirées, conférences et autres événements spécialisés en jeux vidéos indépendants, toujours en partenariat avec un lieu de culture, de pédagogie, d’expérimentation artistique ou tout simplement un espace pop-up.

Désormais, les amateurs de jeux indés ont leur propre espace. La galerie Babycastles avait annoncé sa présence mi-avril avec une petite expo de jeux vidéo sur le thème du New York underground et hip hop, “Sometimes We Explode”, en partenariat avec les rapeurs de Ratking. Qui non seulement sortent un nouvel album mais ont décoré les nouvelles arcades… et par extension tout l’espace intérieur de la galerie, sur deux étages, avec leur bande de taggeurs.


Kunal Gupta, co-fondateur de Babycastles (assis), dans l’exposition “Sometimes We Explode”, avril 2014, New-York.

Des six jeux exposés, les plus intéressants étaient également les plus inattendus : “Third Rail”, un jeu multi-joueurs qui permet de ré-architecturer le métro new-yorkais ; “Shivah”, l’aventure d’un rabbin qui explore la moralité et la corruption dans les institutions religieuses ; et la grande star de la soirée du vernissage, “Hey Baby”, un FPS au féminin qui décrit un New York où une femme répond aux sifflements des hommes par un tir fatal (ou par une pluie de cœurs).

A l’occasion de l’ouverture officielle de la galerie Babycastles, fin mai 2014, pour le vernissage d’une exposition de jeux indés islamiques ( !!), Poptronics tire le portrait de ces joyeux trublions du jeu (et enrichit ainsi notre pop’50), façon jeux de mots (clés). Eux-mêmes ont répondu à notre demande d’autoportrait numérique par une interprétation toute personnelle signée Hillary Reeves, intitulée “Le déjeuner des canotiers Babycastles” (de gauche à droite et de haut en bas, Jared Hiller, Kunal Gupta, Syed Salahuddin, Hillary Reeves, Colin Snyder, Ida Benedetto, Lauren Gardner et Joe Salina).

De 7 à 77 ans
Un des principes fondateurs du collectif est que tous les événements sont accessibles à tout âge. Cet esprit d’ouverture s’oppose à toute forme de discrimination et d’oppression, parce que “ça commence avec l’âgisme”, selon Syed. On est effectivement loin des stéréotypes violents de jeux vidéos qui glorifient les mâles blancs hétéros brandissant des armes à feu…

Arcade
Quand Babycastles expose de façon informelle des jeux sous forme d’arcade sociale et ludique, le collectif s’inspire des Canadiens Kokoromi (qui signifie essai ou expérience en japonais). Kokoromi organisait une méga-soirée annuelle ? Babycastles réplique régulièrement l’expérience dans différents contextes, afin de diffuser les jeux indés le plus largement possible.

Tout commence avec les “cabinets”, des bornes d’arcade en bois fabriqués à la main et décorés par des artistes locaux. La deuxième étape consiste à recycler de vieux PC, des claviers, des contrôleurs et même des peluches pour bricoler des consoles de jeux à la fois insolites et séduisantes. Cette nouvelle génération d’arcade indé a donné naissance à une culture avant-gardiste de jeux artisanaux dans une ambiance rétro-ludique –un espace ouvert pour un public divers.


Un “cabinet” façon Babycastles, soit une borne d’arcade indé.

DIY
Si l’esprit et la pratique DIY (do it yourself) puisent leur inspiration du bricolage, le mode de présentation DIY de Babycastles relève d’une forme affirmée d’autonomie anti-establishment. Ils citent en référence le collectif d’artistes activistes ABC No Rio qui réclament “The Culture of Opposition Since 1980” dans le Lower East Side de Manhattan. Contre l’industrie, contre le consumérisme, ils sont avant tout pour le partage pur et simple le plus populaire qui soit. Babycastles cherche à proposer des espaces de création et de pratique du jeu en toute sécurité et avec beaucoup de soutien, surtout pour tous ceux (et toutes celles) qui ne trouvent pas de place ailleurs. De sorte qu’ils détournent aussi le problème de la distribution des jeux par des médiateurs commerciaux (iTunes, Xbox, Steam, etc.).


Console cyborg tortue, dans la série des “cyborg arcade cabinets” de Babycastles.

Galerie
La galerie Babycastles inaugure une nouvelle étape de curation de la part du collectif jusqu’ici plutôt amateur, dans la mesure où ils fonctionnaient encore en marge du mainstream. Avec cet espace dédié permanent, ils entendent poursuivre leur mission de diffusion de la création de jeux vidéo auprès du grand public, mais ils joueront également le rôle de galeristes face à d’éventuels collectionneurs. C’est une démarche qu’ils viennent d’entamer à l’occasion de l’Armory Show début mars, à développer en phase avec l’ouverture du marché (et des musées) à la culture du jeu vidéo.


Vue de la galerie permanente Babycastles, qui ouvre fin mai à New-York.

Game Jam
La Game Jam est plutôt répandue dans la communauté des jeux, mais cet atelier pratique et public de création de jeux correspond parfaitement à l’esprit Babycastles, à la fois dans le concept et dans l’ambiance. De petites équipes d’amateurs et d’étudiants travaillent ensemble à créer un jeu complet suivant un thème donné en temps limité. Comme tout le matériel se trouve déjà sur place, il est surtout question d’idées, de réalisation et… d’efficacité.

Indie Tech Talks
Les deux fondateurs de Babycastles étant deux anciens étudiants de la Interactive Telecommunications Program de l’Université de New-York (NYU), ils sont particulièrement sensibles à l’aspect pédagogique de la conception de jeux. Plusieurs fois par an, Babycastles organise donc, en partenariat avec le Game Innovation Lab de L’école polytechnique d’ingénieurs de la NYU une Indie Tech Talk, c’est à dire une conférence-dialogue avec un(e) créateur de jeux indépendants, modérée par le professeur d’informatique Andy Nealen.

Parmi les intervenants, on retrouve Zach Gage, créateur de jeux qui l’ont rendu célèbre via l’AppStore comme “Bit Pilot”, ou encore Dona Bailey, légendaire auteure du grand classique de l’arcade des années 1980 “Centipede”.

Musée
A peine cinq ans, mais déjà un musée ? Le Babycastles Museum témoigne de la richesse infinie de ses ressources et accessoires en bricolage artistique et iconique. Parmi les “pièces de résistance” de la collection d’artefacts se trouvent les soutiens-gorge convertis en contrôleurs par Anna Anthropy pour son “Duck Duck Poison”. Mais on aime toujours les mignons “cyborg arcade cabinets”, des bornes de jeux encaissées dans de grosses peluches (nounours, chauve-souris, tortue, panda…). Les premiers exemplaires ont été fabriqués au cours d’un workshop co-animé avec Thu Tran à Rotterdam, et rappellent que le jeu, ce n’est pas seulement la technologie, mais aussi l’émotion réelle, tactile et interactive qui l’entoure.

Aperçu du workshop “Cyborg Arcade” au Worm de Rotterdam, 2012 :

Musique
Babycastles a ouvert sa première expo officielle pour coïncider avec le festival de chiptunes Blip en décembre 2009. Depuis, ce crossover musical est devenu une collaboration continue, avec des concerts underground de musiciens indépendants en tous genres, à commencer par le lieu d’origine, Silent Barn.

Babycastles applique aux jeux indés le modèle économique de la musique DIY : chaque visiteur verse une petite contribution à l’entrée pour soutenir les bricoleurs des jeux exposés. Environ la moitié de ces contributions est directement reversée aux artistes, le reste étant dévolu à l’administration de l’espace. Pas de publicité, que du bouche à oreille et les réseaux sociaux.

Partenariat
Ils sont co-organisateurs plutôt que sponsors : des centres culturels, des musées et des lieux d’art indépendants ouvrent leur espace et leurs ressources pour offrir au grand public une expérience extraordinaire dans un lieu familier. C’était le cas à Paris, avec le corner enfants Meowton à la Gaîté Lyrique, à New-York avec le jeu collaboratif Space Cruiser, qui impliquait tout le planétarium du musée américain d’histoire naturelle, ou encore avec le sommet Babycastles au musée d’art et de design (trois jours de conférences, d’ateliers, de musique 8-bit et de jeux immersifs spectaculaires). Bien sûr, les Babycastles collaborent toujours aussi régulièrement avec des espaces indépendants et locaux.

“Space Cruiser”, Ivan Safrin et Babycastles, musée américain d’histoire naturelle, 2012 :

Real-space gameplay
Tout pour sortir le jeu de l’écran. Qu’il s’agisse de peluches, de projections ou de planches à roulettes, le “gameplay en espace réel” prolonge la notion de salle d’arcade en univers immersif. Les “play-scapes” multimédias et labyrinthiques du Babycastles Summit, architecturés en collaboration avec Keita Takahashi (auteur de l’incontournable “Katamari Damacy”) illustrent parfaitement cet environnement ludique : “3D Pac-Man”, “Sidescroller” éparpillé sur 20 écrans qui traverse une cave en corridor, “Jungle Room”, “Duck Hunt” sur un lit de ballons gonflables, “Mario Ball” et “Throw Ball” aux interfaces à taille humaine… Babycastles a depuis réinstallé des décors interactifs ailleurs. Un de leur plus grand hits, c’est le classique incontournable “Ms. Pac-Man” que tout le monde redécouvre en version XXL, projeté des murs au plafond.

BabyCastles Summit, Musée d’art et de design, New York, 2012 :

Volontaires
La grande force de Babycastles, c’est la force de son équipe bénévole. En plus de l’équipe d’une dizaine de membres, chaque événement fait appel à tout un tas d’autres bénévoles, pour la plupart de jeunes artistes, graphistes, technologues et autres fans et créateurs de jeux indés désirant participer au mouvement. Grâce à cet esprit de communauté et de partage, en plus de leur stratégie de recyclage et de collaboration, Babycastles parvient à organiser, commissionner, construire et maintenir nombre d’expositions et d’événements à faible budget et généralement accessibles à tous.


“3D Pac-Man”, la version XXL du classique de l’arcade signé Keita Takahashi et Babycastles.

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Aller plus loin

“Babycastles en plein rêve alternatif”, conférence lors de la dernière IndieCade East, 15 février 2014 :

Archives des activités de Babycastles depuis 2010 : http://babycastles.com/website/archives

cherise fong 

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