Mondial du Gaming, Hall 5 du Parc des Expositions de la Porte de Versailles à Paris. Du 5 au 8 juillet, de 10h à 21h (le dimanche 8 jusqu’à 19h). Entrée : 10 euros jeudi et vendredi, 15 euros samedi et dimanche. Toutes les infos sur mondialdugaming.com.
Mathilde Abgrall, fraggeuse bretonne. © DR
< 22'08'09 >
Arwen, un dernier shoot pour la coupe

(Pop’archive). A première vue, rien n’indique la gameuse derrière la blonde Mathilde Abgrall, alias Arwen. Yeux bleus et large sourire, elle est pourtant l’une des joueuses en ligne les plus médiatiques du moment et surtout l’une des fraggeuses (faire un frag : tuer un adversaire pour marquer un point) les plus redoutées de France. Son équipe, Orbital.Elles, est en compétition avec vingt-trois autres, dont les championnes en titre, les Françaises de BTB, pour la phase finale de la 5e Coupe du monde du Gaming, catégorie Counter-Strike Women, à partir de jeudi à Paris.

Lors des qualifications nationales pour la Coupe du monde, son équipe s’est classée deuxième, derrière les championnes en titre, les BTB (ou Be the Best). Leur discipline ? Counter-Strike, le plus-que-célèbre First person shooter (FPS, jeu de tir à la première personne), qui connaît un succès phénoménal sur Internet depuis sa sortie en 2000. Dans l’univers essentiellement masculin du jeu vidéo, Counter-Strike, à base de Berreta, de mitrailleuses lourdes et autres Kalachnikov, fleure la testostérone plus que n’importe quel autre. Et pourtant, beaucoup de joueuses l’apprécient. Elles ont d’ailleurs droit depuis quelques années à leur tournoi dédié, Counter-Strike Women.

L’histoire commence souvent de la même façon : initiées par un frère ou un petit copain, les demoiselles finissent par se prendre au jeu et devenir imbattables. « Je ne connais pas de fille qui soit venue d’elle-même aux jeux vidéo », confirme Mathilde Abgrall. Cette Bretonne a découvert Mario et Zelda à l’âge de six ans, mais c’est à l’adolescence, dans les salles de jeux en réseau où elle allait consulter ses mails, que le FPS lui est tombé dessus. D’observatrice, elle devient vite actrice et accro et commence à jouer sérieusement quand Internet débarque au domicile familial. « A l’époque, je pensais que peu de filles jouaient en ligne ; j’étais loin du compte. » Elle contacte les To Hell sur IRC (en gros l’ancêtre de MSN) et, après quelques tests, rejoint leurs rangs pour quatre ans.

Mais Arwen ne veut pas se limiter à Counter-Strike ; aussi, quand le développeur Ubisoft lance fin 2005 un casting pour recruter des joueuses, elle flaire une opportunité de pratiquer d’autres jeux à haut niveau et de financer ses études de communication. Mathilde et quatre autres expertes du pad et de la souris sont sélectionnées parmi 200 candidates. Censées être aussi à l’aise sur Counter-Strike que sur PES (Pro Evolution Soccer), Far Cry ou Soul Calibur, elles seront chargées de vanter les produits de la marque et de promouvoir le jeu vidéo, en particulier auprès des femmes : les Fragdolls à la sauce grenouille sont nées. La franchise existait déjà aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, exploitée par le même Ubi qui, en bon Français, se devait de la transposer dans l’hexagone.

Les réactions des joueurs et de la presse spécialisée sont un mélange de méfiance, d’ironie et de mépris envers ces poupées tueuses pas virtuelles pour un sou. Sur les forums, fleurissent des commentaires qui vont du grivois au franchement lourdingue. Mais les Fragdolls tricolores connaissent leur sujet et défient en ligne les mâles un peu trop sûrs d’eux : « Certains croient encore qu’on n’y connaît rien aux jeux vidéo ; mais une fois qu’on leur a foutu une branlée, ça se passe mieux. » La voilà donc élevée au rang d’ambassadrice, avec l’exposition publique et médiatique que cela implique ; on la reconnaît parfois dans la rue, surtout chez elle, à Brest, « où tout se sait ». Mais elle semble vivre la chose avec philosophie : « Il faut assumer de toute façon. »

Depuis deux ans, Mathilde-Arwen dit avoir vu une évolution du regard des gens. Et des journalistes. « Au début, ils avaient une vision super négative des gameurs. Il fallait que je me batte deux ou trois heures… » Elle hésite, désigne son corps des deux mains : « …Pour leur montrer que j’étais humaine ! » Mais les clichés ont la vie dure : « Quand ma grand-mère m’appelle après avoir vu sur TF1 un reportage sur un elfe de la nuit qui joue à WOW (le MMORPG Worlds of Warcraft) trente heures par semaine, un mec en rupture sociale qui mange des raviolis froids devant son PC, je lui dis que ce n’est pas un exemple représentatif. » Et d’évoquer ses potes timides ou renfermés qui se sont socialisés grâce aux jeux online. Et les rencontres, facilitées via l’écran qui affranchit de la barrière physique. « Deux des filles de mon équipe ont même rencontré leurs copains sur WOW. » CQFD.

Les chances des Orbital au Mondial ? « On vise un Top 4. On sait que certaines filles, plus jeunes donc plus disponibles, se sont beaucoup entraînées. » De manière générale, « on a de très bon skills, mais on n’est pas très brainées ». En clair ? « Nos mouvements et nos tirs sont très précis, mais l’équipe manque d’expérience, de concentration et de cette capacité à voir le jeu dans sa globalité, comme aux échecs. » Les adversaires dont il faut se méfier sont connues : les Allemandes, les Américaines, et les Françaises de BTB. Les Brésiliennes sont aussi réputées dangereuses. Quant aux Chinoises, « elles ont un entraînement beaucoup plus intensif mais un moins bon mental. C’est comme si elles avaient peur de gagner : à un moment, leur moral s’effondre. »

Comme dans les autres sports, toutes ces équipes ont des sponsors avec qui elles négocient des contrats. Et les organisateurs offrent des récompenses juteuses : l’équipe qui emportera la coupe touchera ainsi 11000 euros (15000 dollars). C’est plus que pour les autres jeux du tournoi (les vainqueurs à Quake 4, Wacraft III, Trackmania Nations ou PES 6 empocheront 10000 dollars, ou 7300 euros), mais nettement moins que les 40000 dollars (29400 euros) promis aux champions de Counter-Strike masculin. « Le jeu remplit les lan (parties en réseau local), génère plus d’audience que les autres et les mecs pratiquent beaucoup plus ; c’est normal qu’ils soient mieux récompensés. » Des équipes mixtes, il y en a eu, mais Arwen a l’impression que maintenant, les demoiselles préfèrent se défouler entre elles. « C’est plus rigolo, l’atmosphère est différente. On ne joue pas autant non plus : c’est connu, les mecs ont moins de choses à faire… ils économisent sur les tâches ménagères par exemple. Et puis les filles sont plus raisonnables. »

On a beau être raisonnable, le FPS à haut niveau reste un sport de compétition. D’ailleurs, le Mondial du Gaming s’appelle en anglais Electronic Sports World Cup, la Coupe du monde des e-sports. La discipline exige donc des sacrifices. Après sa journée de chargée du marketing et de la communication dans un studio de développement de jeux vidéo parisien, Kylotonn, Mathilde Abgrall a juste le temps de manger avant qu’Arwen ne se connecte pour une séance rituelle d’entraînement avec son équipe, de 21h à 23h30, quatre à cinq jours par semaine. « On ne s’entraîne que contre des mecs, pour ne pas dévoiler nos stratégies et aussi parce que leur haut niveau nous fait progresser. » Ensuite, Mathilde reste en ligne pour jouer avec son copain, « à d’autres jeux ». Mais cette quadruple vie commence à lui peser. A 25 ans, la gameuse fait figure de doyenne dans un univers qui rajeunit sans cesse : « On finit par être dépassé par les petits gamins qui commencent beaucoup plus jeunes. Ça allait quand j’avais que ça à foutre. Là, je sens que c’est la fin. » C’est décidé : après cette Coupe du monde, Arwen raccroche les Kalach’.

Cet article a été initialement publié le 3 juillet 2007.

mathias cena 

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