« Tournant autour de Galilée », de Jean-François Peyret, au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 18/04, avec Jeanne Balibar, Olivier Perrier, Corine Garcia, Jung-ae Kim, aux Ateliers Berthier, angle de la rue André Suarès et du bvd Berthier, Paris 17e. Métro : Porte de Clichy (ligne 13 / sortie av. de Clichy / Bvd Berthier- côté Campanile). Rés. : 01.44.85.40.40.
Jeanne Balibar incarne (entre autres) la fille de Galilée Virginie, pour dé-jouer le texte écrit par Brecht en 1938, puis remanié en 1947 et 1956. © Elisabeth Carecchio
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Le Galilée de Peyret, ben mon cochon...

(Pop’archive). Un acteur qui refuse de jouer son rôle, un cochon qui décide du déroulement de la pièce, une Jeanne Balibar extraordinaire qui passe par tous les états de la composition (chant, danse, poésie pure et râles gutturaux adressés à Bibi la truie, au risque de se faire mordre ou piétiner), des danseuses lucioles et aériennes qui bousculent la narration éclatée. De l’humour et de la science, de la distance et une mise en abîme théâtrale en diable. C’est le bouquet réjouissant signé par le metteur en scène Jean-François Peyret, avec un magistral « Tournant autour de Galilée » au Théâtre de l’Odéon. Abordant toutes les questions métaphysiques et artistiques de notre époque, « Tournant autour de Galilée » chahute les normes, invite le spectateur à repousser ses propres limites, dans un festin culturel jouissif.

Humour et mise à distance

Virtuose de la déconstruction constructive, Jean-François Peyret repousse sans cesse les limites du spectacle vivant, démonte les règles sacro-saintes du théâtre, de la narration et des genres. Au risque de se prendre un méchant coup de critique, à l’instar de la journaliste du « Nouvel Obs », Odile Quirot, passée totalement à côté de l’essence même du théâtre de ce détricoteur en chef. Alain Prochiantz, neurobiologiste complice de ses créations, use d’ailleurs du même humour grinçant qu’on apprécie chez Peyret pour la complimenter : « Je vous félicite pour la critique que vous avez faite du spectacle de Jean-François Peyret. Elle me semble extrêmement juste dans la mesure où en effet, les spectacles de Peyret ne sauraient plaire ni aux puritains ni aux paresseux. »

Sans doute que le spectateur, comme face à une installation d’artiste, peut être déstabilisé par la sollicitation permanente de son intelligence qu’exige le théâtre de Peyret. Mais comme dans le meilleur de l’art contemporain, l’humour et la mise à distance font mouche, rattrapant par la manche le béotien décontenancé par un texte touffu et dense, qui reprend en strates successives des bribes de Brecht, des lettres de la fille cloîtrée de Galilée (que joue Balibar), des références à Müller ou Lucrèce… Pour aboutir au texte dit sur scène, Peyret travaille sur des « partitions » composées et recomposées au fil des répétitions, auxquelles sont conviés des créateurs, des scientifiques (Prochiantz donc, mais aussi Françoise Balibar, physicienne spécialiste de Galilée et d’Einstein et mère de Jeanne), ou des chercheurs (Thierry Coduys aux commandes sonores, Jérôme Tuncer à la vidéo temps réel). S’ensuit un principe de décantation totalement peyretien (oui on s’enflamme, et alors ?) qui produit une forme d’hypertexte théâtral.

Jupiter et ses Claudettes

Déconstruit et éclaté, comme une « Vie de Galilée » de Brecht actualisée. Parce que la figure du Galilée, « martyr fondateur du savoir moderne » (condamné par l’Eglise pour avoir posé que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse), est certes au centre de la pièce (étant donné le titre…), mais sans en être le personnage central. Parce que Peyret, qui, avant Galilée, s’était penché sur les cas d’Alan Turing, le chercheur du test éponyme (« Turing Machine »), de Darwin (« Variations Darwin ») ou encore de la mathématicienne Sophie Kovalevskaya, (« Le Cas Sophie K »), poursuit la quête de Brecht tout en lui donnant un sacré coup de vieux. En convoquant d’autres disciplines, la danse, la vidéo temps réel ou encore l’aléatoire (Bibi la truie, par son parcours sur scène, décide quelles séquences seront jouées), Peyret se moque et instille le doute, réussit à parler physique et philosophie, amour filial et don de soi, étoiles, firmament et obscurantisme sans verser dans l’intellectualisme. Qu’importe si parfois le spectateur s’y perd, voir un Jupiter entouré de danseuses starlettes façon Claudettes ou l’Inquisition incarnée par un cochon, comment dire, ça soulage de toutes les bêtises contemporaines.

Extrait vidéo, tiré des séquences temps réel filmées par Bibi la truie et des captations vidéo du spectacle :
(merci à la compagnie Tf2 de Jean-François Peyret)

Cet article a été publié pour la première fois le 10 avril 2008.

annick rivoire 

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