« Minor pieces », Guido van der Werve, à l’Institut néerlandais, Paris 7e, jusqu’au 1er novembre.

« Esthétique des pôles. Le Testament des glaces », 49 nord 6 est – Frac Lorraine, jusqu’au 7 février 2010.

Image extraite de « nummer acht – Everything is going to be alright » (2007), film en 16 mm de l’artiste néerlandais Guido van der Werve. © DR
< 28'10'09 >
Guido van der Werve, attention à la marche

Un homme marche. Seul. Une marche zigzagante, sans fin, d’un pas d’une belle obstination. Une marche paradoxale, tant elle semble n’être qu’un surplace. L’homme marche sur la banquise. Enfermé dans sa marche. Derrière lui, à quelques mètres, un brise-glace fend la surface glacée, dans un bruit sourd, omniprésent, inexorablement. L’homme et la machine sont comme indifférents l’un à l’autre, « pièces humaines » rapportées dans ce paysage polaire. Chacun dans sa marche, dans son avancée imperceptible ou mécanique, dont « nummer acht – Everything is going to be alright », film en 16 mm de l’artiste néerlandais Guido van der Werve, ignore le but possible. L’homme ne semble redouter aucun danger. Le bateau accomplit sa tâche, sorte de navire fantôme dans une immensité intolérablement blanche et sans horizon, à moins de penser que nous, spectateurs, soyons cet horizon. Deux forces mouvantes et figées, tout à la fois, posées, là, dans un temps en boucle. Surgissent alors idées et sensations, et une fascination visuelle et sonore certaine.

Epopée solitaire

Que fait là cet homme ? Cet homme qui est l’artiste lui-même, Guido van der Werve, né en 1977 à Papendrecht, près de Rotterdam, reconnu dans le monde anglo-saxon, vu à la dernière Manifesta 7 en 2008 et à Art Basel cette année, et enfin montré en France grâce à l’exposition « Minor pieces » à l’Institut néerlandais de Paris. Que fait-il ? Une performance, dans la lignée des artistes performeurs des années 70 ? Pas tout à fait. On pourrait également évoquer les cinéastes acteurs (Jacques Tati ou Nanni Moretti) ou une geste romantique perdue depuis Caspar David Friedrich (la référence au peintre allemand est constante dans les premières critiques consacrées au travail de Guido van der Werve).

Que tente-t-il ? Se confronter à la machine en une provocation – absurde, voire totalement loufoque – au monde rationnel ? Nargue-t-il les deux en un effort proche de l’inutile ? Il ne semble n’y avoir ni quête, ni lutte – ni d’ordre divin, ni métaphysique, ni même terrestre. Nous sommes dans le temps d’une énigme et d’une solitude, et d’une séparation. Guido van der Werve se met en scène dans un acte gratuit, mais à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du monde. Sa performance ne se construit que sur ce dévoilement : un rapport solitaire au monde. Un rapport mélancolique. Un rapport grotesque, aussi.

En contrariété

Numéroté, comme toutes les œuvres de l’artiste, à la façon de compositions musicales, ce film, tourné dans le golfe de Bothnia, en Finlande, est visible à l’Institut néerlandais pour quelques jours encore, mais aussi au Frac Lorraine jusqu’au 7 février dans le cadre de l’exposition « Esthétique des pôles. Le Testament des glaces ». Les autres films et vidéos (tournés entre 2001 et 2007) que l’exposition organisée à Paris permet de découvrir, rejouent la même « épopée » solitaire, sur le même tempo. Comme « nummer negen – The day I didn’t turn with the world », où l’artiste, arrivé au pôle Nord géographique et planté sur l’axe du globe terrestre, tourne pendant 24 heures dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. L’homme et le monde, pendant ce temps compté, sont sans cesse désaccordés. Il n’y a pas de lutte chez Guido van der Werwe, juste un désaccord ontologique avec le monde. L’unité ou la possible unité, l’harmonie ou la possible harmonie vient de la composition musicale. L’artiste a une formation de pianiste classique, et ses pièces visuelles tirent leur ligne formelle des tempos d’une partition musicale.

Désaccord avec le monde physique et géographique, désaccord avec le monde humain avec cet autre film, « nummer vier – I don’t want to get involved in this/I don’t want to be part of this/Talk me out of it » (2005). Guido van der Werwe joue sur une sorte de radeau de bois flottant sur l’eau plate d’un étang un « Nocturne » de Chopin, avant d’être effacé par une péniche transportant un chœur envahissant, celui du « Requiem » de Mozart… Le pianiste effacé par le chœur, l’homme solitaire effacé par le groupe, le collectif. Ainsi, si la mélancolie pourrait être la note dominante de ces œuvres, avec un contrepoint d’ironie, Guido van der Werve se dessine comme un « héros » contemporain, seul, enfermé dans l’acte séduisant et vain, non pas hors du monde, mais en contrariété avec lui. Peut-être réinvente-t-il avec ses mises en scène le héros romantique du XIXe siècle, mais dans un univers où les quêtes sont devenues sinon problématiques, du moins n’être plus que de pures constructions de l’esprit. Guido van der Werve est-il avant tout un artiste conceptuel ?

marjorie micucci-zaguedoun 

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