Incarnée, politique, géographique… La frontière, hors de l’actualité sanglante des naufrages au large de Lampedusa, est au cœur de plusieurs expositions, colloques et manifestations culturelles. A Aix, Quimper, Clichy et Paris.

"Anti Atlas des frontières" à Aix et Marseille, symposium (30/09-2/10, résumé des interventions, deux expositions, l’une au Musée des tapisseries d’Aix-en-Provence, le 2e volet à la Compagnie, du 13/12/13 au 1/03/14, à Marseille (1er), 19 rue Francis de Pressensé, du jeudi au samedi de 15h à 19h.

"Borderscape", exposition vidéo, Le Quartier, Centre d’art contemporain de Quimper, du 4/10/13 au 1/12/13.

"Au delà de cette frontière votre ticket n’est plus valable", Pavillon Vendôme, Centre d’art Contemporain, 7 rue du Landy, Clichy (92), du mardi au samedi de 11h à 19h, dimanche de 14h à 18h, nocturne jeudi jusqu’à 21h.
Programme des rencontres :
Le 14/11/13 à 19h, conférence de Susan Ossman, ethnologue américaine (University of California Riverside) autour de son ouvrage “Moving matters Paths of a serial migration” sur la migration sérielle.
Le 16/11 de 16h30 à 18h30, performances issues du workshop dirigé par Susan Ossman.
Le 23/11, à 15h, rencontre avec trois artistes de l’exposition.
Le 28/11 à 19h, soirée vidéo avec Magali Daniaux et Cédric Pigot sur les enjeux des collaborations transfrontalières Norvège/Russie qui se dessinent en Arctique et autres développements géopolitiques planétaires liés au climat, à la gestion des ressources fossiles et des OGM. 
Le 12/12 à 19h, soirée vidéo “Globodrome” avec Gwenola Wagon.
Le 4/01/13 à 15h, rencontre avec trois artistes de l’exposition.

"Frontiers the game" (2012), du collectif autrichien Gold Extra, est un jeu vidéo où on incarne un aspirant à l’immigration aux frontières européennes ou un policier des mêmes frontières. Présenté dans la 1ère exposition de l’Anti-Atlas des frontières, à Aix. © Gold Extra
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La frontière en ligne de mire

Anti Atlas des frontières” à Aix et Marseille, “Au delà de cette frontière votre ticket n’est plus valable"” à Clichy, “Borderscape” à Quimper... Nombreuses sont les propositions artistiques, colloques et débats autour de la question des frontières : cruciale, paradoxale, mortelle... et dérisoire, au regard d’une circulation de l’information et de flux monétaires qui se jouent à la vitesse de la lumière, d’un réchauffement climatique ou d’un taux de radioactivité dont dépend la survie de toute la planète.

Au fur et à mesure que la mondialisation s’accélère et que les flux se libèrent, le dispositif de contrôle des êtres humains se renforce et les drames s’intensifient sur les lignes de démarcation qui séparent des Etats, qui ne sont pourtant pas toujours en guerre : le 3 octobre dernier, quand “l’Anti Atlas des frontières” ouvre sa première exposition au Musée des Tapisseries d’Aix-En-Provence, une actualité cinglante stigmatise le sujet : 300 migrants africains fuyant l’Érythrée et la Somalie affrontent la mort aux portes de l’espace Schengen sur un bateau de passeur en provenance de Libye. Face aux navettes de la Frontex, l’agence qui contrôle les frontières de l’Union européenne, seuls 150 survivent au naufrage, le plus meurtrier du genre depuis 1945, à quelques mètres des plages de Lampedusa au sud de la Sicile. Les ONG luttant pour la défense des droits de l’homme demandent aux autorités européennes de revoir leur politique aux frontières, l’escalade sécuritaire se poursuit. Et nous nous émouvons, retranchés dans nos contradictions. Que faire ? Quoi décider, quand au collectif s’oppose la subjectivité du sujet ? C’est pourtant notre humanité qui se positionne là et maintenant.


"Xray / AiX", Claude Chuzel (2006). © Claude Chuzel

Anti-Atlas, les frontières dans la peau (virtuelle)
Derrière “Anti-Atlas des frontières”, un groupe de scientifiques, des artistes, des anthropologues et des associations de terrain planchent depuis deux ans sur l’élaboration d’un symposium et d’expositions qui se jouent à Aix et Marseille. Ils n’ont pas pour velléité de trouver de réponse, mais de rendre compte de toute une contre-culture et de postures qui se sont développées autour des frontières, par la restitution d’une trentaine d’œuvres et de dispositifs sélectionnés, de témoignages en ligne et d’une documentation mise à la disposition du public. Les frontières y sont non seulement abordées en tant que ligne ou limite physique d’un territoire géopolitique, mais dans leur virtualisation et les bouleversements des comportements que leur renforcement hi-tech induit.


Image extraite de la performance vidéo “Barbed Hula” de Sigalit Landau au bord d’une frontière maritime, 2000. © Sigalit Landau

“Il est même ici question de biographisation, voire d’incorporation de la frontière”, précise Isabelle Arvers, commissaire de l’exposition. “Comme avec "Samira", un dyptique issu de la rencontre entre l’anthropologue Nicola Mai et un migrant algérien qui a dû modifier son identité sexuelle pour fuir puis retourner dans son pays.” Outre la question évidente du danger et des prises de risques quant au franchissement des lignes (voir “The Transborder Immigrant Tool” de The Electronic Disturbance Theater 2.0, un guide électronique d’aide à la traversée, ou “BorderXing”, les parcours documentés de Heath Bunting, ou bien le jeu de Gold Extra, “Frontiers the game” qui vous met dans la peau d’un garde ou d’un réfugié), il s’agit aussi de pouvoir produire un discours –si possible de victime– à l’arrivée. Plus insidieuse et paradoxale encore qu’un mur ou la ligne imaginaire séparant ou joignant deux territoires (cf la ligne verte entre Israël et Palestine tracée à la peinture dans une vidéo-performance de Francis Alÿs), la frontière est ancrée dans nos chairs (cf. la vidéo de Sigalit Landau), et questionne les fondements même de notre identité... quand tous, nous sommes le fruit de migrations successives.

Décryptage du 1er volet de l’exposition “Anti-Atlas des frontières” au musée des Tapisseries à Aix, avec sa commissaire, Isabelle Arvers :

La deuxième partie jouera du 13 décembre au 1er mars à la Compagnie, lieu de création, à Marseille.

“The Borderscape Room” : chicano art et stratégies d’empire
“Nous n’avons pas traversé la frontière, la frontière nous a traversés.” Tel était le slogan porté par un migrant lors d’une marche sur Dallas (le 4/9/06) qui illustre le positionnement des films d’artistes proposés par Le peuple qui manque au Quartier, centre d’art contemporain de Quimper (jusqu’au 1er décembre) : “The borderscape Room” est la sélection d’une vingtaine de films d’auteurs dont une dizaine réalisés à Berlin en Super 8 dans les années 1980, quand d’autres font référence aux migrants et activistes mexicains ou encore à la pression exercée par les autorités chinoises sur les ressortissants de pays asiatiques plus faibles.

Depuis son premier symposium en 2010 “Que faire ? film art politique”, Le peuple qui manque, dirigé par Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros, offre un état des lieux régulier d’une création vidéo contemporaine entre art et politique, où les questions de territoires et d’identité sont au cœur du débat. Du 6 novembre au 18 décembre, Le peuple qui manque ouvre un nouveau symposium au centre Pompidou, “Mille ans d’histoire non linéaire !”


Mariage à la frontière sur la plage de Tijuana, "Border Wedding, Border State Park / Playas de Tijuana" (1988), Guillermo Gomez Pena & Emily Hicks.© Guillermo Gomez Pena-Emily Hicks


“Au-delà de cette frontière votre ticket n’est plus valable”
Alors que le titre résonne avec la littérature de Romain Gary, il annonce bel et bien une autre façon d’aborder la question du territoire, fil conducteur d’une série d’expositions et de rencontres qui s’ouvrent au pavillon Vendôme, le nouveau centre d’art de la ville de Clichy.


“Eldorado Wallpaper”, 2013, Brigitte Zieger, vidéo murale. © Galerie Odile Ouizeman-Paris

Le commissaire Guillaume Lasserre y a réuni pièces à conviction et imaginaires d’une vingtaine d’artistes et invite à en débattre (lire ci-contre le programme détaillé). Aux côtés des photographies graves de Laura Henno (“Untitled, série Calais”, 2012), de Bruno Serralongue prises près de Sangatte, ou des traces de réfugiés shootées comme des reliques ou des ex-votos par Nikolaj BS Larsen (“Jeff - Memorial series”, 2012), l’artiste Nadine de Kœnigswarter met en regard le passeport apatride d’un de ses aïeuls (daté du 26 septembre 1954) avec une citation de Walter Benjamin –“parce qu’il voit partout des chemins, il se trouve toujours au carrefour”– et nous rappelle ainsi que le philosophe allemand, déchu de sa nationalité en 1939 par les nazis, mit fin à ses jours à la frontière espagnole le 25 septembre 1940, apprenant que le gouvernement de Franco avait donné l’ordre d’en refouler les réfugiés...

D’autres travaux plus énigmatiques, tel le parfum “Seed” du duo d’artistes Magali Daniaux et Cédric Pigot, prennent à contrepied l’idée de mur et de barrière : quoi de plus volatile qu’une odeur ? même si celle-ci incarnait celle du froid et de la conservation, en référence à l’Arctique, lieu géostratégique de tous les enjeux planétaires et de toutes les frontières...


“Devenir graine”, Magali Daniaux et Cédric Pigot, performance devant le Global Seed Valt, le coffre-fort à graines de la planète et de l’agribusiness au nord de la Norvège. Le parfum “seed” fait référence à ce lieu où ils n’ont pas pu entrer. © Magali Daniaux et Cédric Pigot




“Many Dreams”, Martine Feipel et Jean Bechameil, 2010. Dans la cour du pavillon Vendôme, ce bus à échelle 1 est échoué là, à tout jamais pétrifié, comme un véhicule fossilisé aux portes ouvertes, qui invite le visiteur à monter, et donc à se mettre lui-même en scène. ©Martine Feipel & Jean Bechameil

v.godé/orevo 

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