François Roche est l’un des rares architectes français à ne jamais mâcher ses mots. La preuve avec ce texte polémique post-inauguration officielle du nouveau centre Pompidou à Metz, que Poptronics se fait un plaisir de publier.
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< 20'05'10 >
La carpe et le lapin, par François Roche R&Sie(n)

Ils ont failli voler la vedette à Cannes : la semaine d’inauguration du nouveau centre Pompidou à Metz a accueilli, outre le président de la République le 11 mai, 100 000 personnes, venues découvrir le bâtiment signé Shigeru Ban et Jean de Gastines. Cette semaine faste a donné lieu à bien des superlatifs et des reportages enthousiastes. Le billet signé François Roche, l’architecte français que les étrangers nous envient, a d’autant plus de poids qu’il ne va pas dans le sens du vent. Caustique et référentiel, il donne à réfléchir sur la façon dont l’architecture est légitimée en France. Poptronics ne pouvait que le publier pour faire bouger les lignes…

La carpe et le lapin, par François Roche

Inauguration du satellite du centre Pompidou, Metz, ce 11 mai 2010.

Bras dessus bras dessous, Guilheux-Migayrou et Guignol-Rambert se tiennent par la main et défilent sous la canopée. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette journée. Mais précisément c’est quand même cela qui nous intrigue ; que ces po(s)tiches si apparemment dissemblables s’exhibent ensemble à la lumière des sunlights ; n’oublions pas que l’un vit claquemuré dans sa raffinerie, de peur de se confronter à un monde qu’il ne regarde que par les filtres de ses combats passés et qui lui ont permis d’acquérir le sceptre pompidolien, et que l’autre… on se demande encore à quoi il peut bien servir, au-delà de sa servilité annoncée et revendiquée… la couardise avouée n’est-elle pas un acte performatif dans notre société contemporaine ?

Mais le plus étonnant, c’est encore le premier, passant du rôle de défricheur (c’est déjà lointain) à celui de « conservateur » (c’est actuel), en assumant pleinement et policièrement sa fonction comme le ferait un physionomiste de boîte de nuit.

En position d’écrire l’histoire [1], il en abuse et participe à sa gélification, à sa pétrification / Illusion et fantasme de classification… entre l’entomologiste créationniste… et le come-back malicieux d’Alphonse Bertillon… en embuscade…

Figer le devenir des choses, c’est les contraindre à ne jamais émerger… que cela soit fait avec sophistication et application, enrubanné d’un savoir encyclopédique… d’autant plus si la démonstration de puissance, vaine et factice, est dépliée avec la virtuosité d’un prétendu philosophe, amer de ne pouvoir s’extraire du fauteuil régalien qui l’a lentement et malignement étouffé… cela n’est pas anodin…

Donc, nous sommes dans la ville de garnison entre la carpe et le lapin qui déambulent, bras dessus bras dessous, fiers de leur jeune amitié… avec un plaisir non dissimulé, voire une obscénité revendiquée.

Comment ont-ils fait pour se pacser, ces deux-là ? Un beau coup quand même : entre celui qui se légitime via l’émergence de la collection du Frac Orléans en s’appuyant sur… et en vampirisant une génération d’auteurs, pour les euthanasier volontairement dans son opus suicidaire « Non Standard » et celui, petit porteur d’eau des milieux professionnels (de « D’A » à la Cité du patrimoine), dont on n’a rien à dire si ce n’est ses qualités d’homme merveilleusement affable, parangon d’Iznogoud, par nature et par vocation… rien, non rien ne semblait les réunir… excepté pour ceux qui les connaissaient personnellement. Ils étaient bien au contraire faits pour s’entrelacer… de cupidité…

Et quid de leur coït non interrompu ? De leur nuit de noces me direz-vous… Ce fut le baiser de mort dans la cité éponyme : la cérémonie de mise en bière en grandes pompes de Claude Parent [2] par celui-même qui a participé à son élimination il y a 20 ans, Jean Nouvel.

Il fallait le penser ce coup-là pour rafler la mise. Les deux compères l’ont non seulement scénarisé avec panache mais ils l’assument comme la dote de leur étreinte.

C’est ouvert toute la semaine, profitez-en. On s’en pourlèche les babines… du spectacle (en abîme) associant le « petit porteur » au « pseudo philosophe » utilisant l’architecture radicale pour réhabiliter la génération des baby-boomers, sur le dos de ceux sur lesquels ils ont craché et de ceux qu’ils empêchent d’émettre pour conserver leur soif de pouvoir « créatif postmoderne », version Séguéla.

C’est cela la stratégie de la carpe et du lapin : puissance, gloire, trahison et médiocrité sous les dorures de la République…

Nul n’est besoin d’en rajouter, sur l’exposition de Metz, nenni….. La salle de l’architecture est à leur image, mortifère… cadavre pas exquis et… succession de pierres tombales, grises, à l’image de ce qu’ils sont… gris, morts, désespérément… des maquettes refaites pour l’occasion ! Des galeries de portraits d’un châtelain « Alzheimerisé » !… faux culs et faux nez…

L’architecture n’a rien à voir avec ce qu’ils en font, mais le pacs, lui, est scellé et consommé. L’architecture est, aujourd’hui, dans leurs « mains sales ».

Cet après-midi de mai 2010, Guilheux-Migayrou & Guignol-Rambert dansaient en farandole chez Shigeru Ban…

Sur la canopée planent les spectres de Frei Otto et Cecil Balmond, ouvrant leur cape comme celle de Méphisto dans l’opus de Murnau, si ce n’est que ce qu’elle recouvrait et masquait, cette cape, était tortueux, labyrinthique, hétérotopique, inquiétant et magique, de la main de Hans Poelzig… mais sur cela nous reviendrons…

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Lexique

Alain Guilheux est le précédent directeur de l’architecture du centre Pompidou ;

Frédéric Migayrou est l’actuel directeur de l’architecture du centre Pompidou ;

Francis Rambert est l’actuel directeur de la Cité de l’architecture-Paris ;

Guignol est une marionnette créée en 1808 par Laurent Mourguet ;

Alphonse Bertillon est un criminologue-physionomiste du XIXème ;

« Non Standard », expo fin de soirée par Frédéric Migayrou, Centre Pompidou, 2005 ;

« Les mains sales », pièce de Jean-Paul Sartre, 1948 ;

Alzheimer est une maladie neurodégénérative ;

« Iznogoud » est une série de bande dessinée de René Goscinny et Jean Tabary, vers les années soixante ;

Jean Nouvel est un architecte baby-boomer dit « international » ;

Claude Parent est un architecte radical ;

Pseudo : du grec pseudês ψευδἡς : « faux » ;

Frei Otto, Cecil Balmond, architecte et ingénieur structurels ;

« Faust » de Friedrich Wilhelm Murnau, 1926 ;

Hans Poelzig, architecte, 1869-1936 ;

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[1] Pour celui (FM) qui se rêvait d’être un Michel Ragon, un Reyner Banham… et qui aurait pu le devenir… la chute n’est pas si douloureuse, elle est monnayable... dans notre comté.

[2] Peut-être que Claude Parent rêvait de ça, à la fois de son pommeau d’académicien, et à la fois d’être ressuscité par Iago. Orson Welles plane. JN… il a la stature du traître –et ce n’est pas le moindre des compliments. Nous savons lui reconnaître ce talent.

« Carp and Rabbit », by François Roche, english version :

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