Rencontre et interview de João Paulo Serafim à propos de son « Musée improbable d’image et art contemporain », jusqu’au 6/06 au Centre culturel Calouste Gulbenkian, 51, avenue d’Iena, Paris 16e.
Le musée improbable de Serafim, entre imaginaire et archives personnelles, entre représentation du réel et maquette (voir le faux manutentionnaire au fond). © João Paulo Serafim
< 21'05'08 >
Joao Paulo Serafim : « Le musée de mes mémoires photos »

Un brouilleur de perceptions. Le photographe João Paulo Serafim entrecroise références littéraires et photographiques dans ses images, où subsiste ce petit grain de sable qui dérègle notre regard. Son « Musée improbable d’image et art contemporain » (MIAC), qu’il expose en ce moment au Centre culturel portugais Calouste Gulbenkian à Paris, devient le support de nombreuses interrogations sur « la ruine du musée », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Douglas Crimp. Né en 1974, Serafim bouscule l’institution muséale, renvoie dos-à-dos le musée imaginaire d’André Malraux et le cabinet d’amateur de Georges Perec. Son musée improbable rappelle Thomas Struth (la série « Audience » sur les musées américains et européens, 1989), l’utilisation de l’effet maquette dans ses images (qui installe le doute) évoque la vague des photographes ayant fait de la maquette leur sujet de prédilection, comme Olivo Barbieri, James Casebere ou Thomas Demand. Les filiations s’arrêtent ici. Lui met en scène sa collection d’images anonymes et personnelles sans hiérarchie ni cartel, ses cimaises s’abstraient, tandis que le regard du spectateur creuse l’image. Poptronics a visité le « Musée Improbable » de Serafim en sa compagnie. Suivez le guide.

João Paulo Serafim :

(4 minutes)

L’exposition débute par une image mettant en scène des spectateurs face à un écran blanc et se clôture par une image quasi similaire. Seraient-elles le symbole d’une construction d’une mémoire personnelle et collective en devenir ?

João Paulo Serafim : C’est comme une page blanche, sur laquelle les spectateurs peuvent imaginer une possible image.

D’où proviennent les portraits que vous mettez en scène ?

João Paulo Serafim : Le plus souvent, mes images représentent des anonymes. Celles des portraits viennent d’un ami américain, qui les a achetées à Amarillo par exemple. Dans cette série, je me suis focalisé sur le dispositif muséal, d’ailleurs, il y a une image qui met en scène explicitement le montage de l’exposition… J’essaie de toujours dissimuler les figures, comme le personnel du musée qui accroche l’image est de dos et dans le flou. Les photographies d’anonymes ont d’abord eu un usage privé, à l’intérieur d’une famille, puis dans le musée improbable, elles sont offertes à tout le monde.

Est-ce une relecture des classiques et des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art ? Le musée improbable serait-il un théâtre des apparences, la mise en scène de la photographie et du caractère parfois artificiel de l’archive ?

Dès que l’on fabrique une image, on a en tête, on utilise, on dialogue avec des références littéraires, cinématographiques et d’autres liées à l’histoire de l’art. Dans certains de mes travaux, on peut déceler un lien avec les cabinets d’amateurs qui mettent sur un même mur des tableaux et des objets de diverses époques et de formats différents. Dans une de mes images, je fais intuitivement référence aux « Ménines » de Diego Vélasquez et à son commentaire par Michel Foucault dans « les Mots et les Choses ». C’est une sorte de ré-interprétation personnelle. Je m’intéresse aux questions du pourquoi et du comment : comment le regard fonctionne à l’intérieur de l’image… Comment se créent des jeux de perception entre les figurés, les spectateurs.

Le musée improbable serait le point de jonction entre un musée classique et un espace plus personnel, aux images plus secrètes ?

Oui. C’est le musée de mes mémoires sur lesquelles je travaille, sur lesquelles j’établis plusieurs relations mais toujours autour et sur la photographie.

Nous sommes devant le mur d’images évoquant le projet « Mnemosyne », d’Aby Warburg (1866-1929). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce mur apparaît comme une archive du passé et du présent, peut-être énigmatique mais certaines références qui sont autant d’indices en facilitent la compréhension. Sur ce mur se côtoient plusieurs images issues de mes travaux antérieurs, celles que j’ai construites à partir de cartes postales, et celles mettant en scène des maisons de poupées. Le tout forme un ensemble cohérent qui pourrait être une source possible du musée improbable. Aux réalisations passées s’ajoutent et se mélangent d’autres photographies, des débuts d’idées, des séries d’images que je travaille encore. Par exemple, il y a quelques images de livres, un projet, une collection… je ne sais pas encore comment le définir, où l’on voit ma main qui montre un livre. Vous voyez aussi la tranche du « Cabinet d’amateur » de Perec, un ouvrage de Susan Sontag, des livres de photographies, d’autres écrivains…

Votre musée n’est pas fait que de photos, mais aussi de deux vidéos, dont une sur la chute, qui débute par un plan large où des spectateurs regardent un film de propagande et s’achève sur un plan serré sur la chute du personnage principal. Comme si le dispositif de la maquette glissait vers le film…

J’ai construit ce projet à partir des restes d’un film de propagande de l’armée américaine faisant l’apologie des bombardements en Allemagne. J’ai exploré la chute, thème très classique du cinéma et très présent dans l’imaginaire contemporain, des scènes de Vertigo à Mort aux Trousses. J’essaie toujours de comprendre comment les spectateurs regardent les films dans un musée… Dans cette œuvre, j’ai créé le film en travaillant le montage. C’est une combinaison de plusieurs photographies, auxquelles j’ai rajouté des mouvements de caméra, des flous.

cyril thomas 

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