« Je veux savoir », festival au Quai des savoirs à Toulouse, du 19 au 31 octobre 2019, créé par Pierre Giner, Poptronics et Trafik, avec la complicité du CNRS et de l’INA. http://jeveuxsavoir.fr/
« Je veux savoir » : des interviews défilent sur les écrans de cette place publique temporaire. © DR
< 29'10'19 >
« Je veux savoir », le libre échange de la parole

Toulouse, envoyée spéciale

« Je veux savoir », un titre en forme de question-exclamation pour nommer l’œuvre-festival imaginée par Pierre Giner avec Poptronics et Trafik, qui se déroule au Quai des Savoirs à Toulouse jusqu’au 31 octobre. Durant deux semaines, des chercheurs du CNRS, des designers, des artistes répondent à quelques-unes des 600 questions posées par les Toulousains et les internautes, au sein d’un environnement qui rebondit sur les mots qu’ils prononcent pour déclencher images, vidéos et mots-clés en cascades sur trois grands écrans.

Les après-midis se déroulent en deux temps. Un grand témoin choisi pour creuser une thématique (aussi diverses que « Humanité, humanités », « Fictions du futur », « L’univers et au-delà »…) réunit ses invités. Chacun devra répondre en environ cinq minutes à l’une des questions (qu’il a choisie au préalable), augmenté du dispositif, ce qui tient plus de la performance que de la conférence ! À la suite, une table ronde, animée en première semaine par Annick Rivoire de Poptronics, permet au public et aux spécialistes de dialoguer, encouragés par l’espace circulaire et la proximité.

« C’est quand la fin du monde ? »

C’est donc à une véritable agora que nous convie « Je veux savoir », un espace d’échanges où se révèlent les préoccupations de tout un chacun sur le monde contemporain, éclairés par les points de vue de différentes disciplines, dynamisé par le flux des images, peut-être moins dans le but de trouver des réponses que pour alimenter le débat et réfléchir ensemble la complexité. Un exercice singulier auquel public et invités se sont prêtés avec enthousiasme.


L’entrée du Quai des savoirs revisitée par Pierre Giner et Trafik. © Pierre Giner

Samedi d’ouverture, dès l’entrée, il y a quelque chose de changé au Quai des savoirs, le centre de diffusion et de partage de la culture scientifique à Toulouse : des cubes modulables équipés de connectiques, une longue table et ses tabourets hauts pour se poser, un affichage à LEDs qui souhaite la bienvenue… un ticket (uniquement pour le comptage, l’accès à « Je veux savoir » est gratuit) et nous voilà dans la grande salle dédiée à l’événement scénographiée par Trafik.

« Peut-on coder le monde ? »

Les dimensions sont atténuées par la pénombre, les écrans délimitent un espace circulaire et diffusent vingt-cinq interviews de chercheurs (réalisées par Damien Bourniquel), artistes, experts réalisées en amont, augmentées, comme pour le live, d’images et de vidéos déclenchées par les mots-clé prononcés. Si la multiplicité des visuels et des sujets a quelque chose de vertigineux, l’atmosphère intimiste (on écoute au casque) permet une proximité avec les intervenants virtuels. Elle se prolonge avec les intervenants IRL grâce à la scène basse et les bancs en demi-cercle.


Patrick Gyger, écrivain, répond à la question « Quand apparaîtront les premières voitures volantes ? » © DR

La première thématique, « Un monde (trop) calculable ? », résonne particulièrement avec le dispositif. Le grand témoin, Sophie Pène, chercheure en sciences de l’information et spécialiste des EdTech, remarque que la fonction d’appel d’images via Google véhicule des stéréotypes (l’intelligence associée aux lunettes par exemple) et que ces outils servent des formes de dominations. Elle en appelle à la constitution de bases de données alternatives pour que chacun construise son propre savoir et ainsi lutte contre la standardisation des comportements et le renforcement des normes.

« La jeunesse est-elle une espèce comme les autres ? »

C’est la force de cette installation basée sur un répertoire de 6000 mots à l’origine, rassemblés par Pierre Giner, qu’il va continuer à enrichir (on en est à 10 000). Pour faire pièce à Google images, Poptronics est allé chercher dans les malles aux trésors de l’INA et du CNRS, partenaires très investis, et a indexé des milliers de leurs contenus, offrant ainsi un contrepoint humain au traitement automatique.


Le public était au rendez-vous, ici sur la table ronde « Réinventer la terre », autour de Cédric Carles, designer (au centre), Anne Gagnant, sociologue (à g.), Laurent Chicoineau, directeur du Quai des savoirs, Jean Dard, designer et maker, et Annick Rivoire (Poptronics). © DR

Ici la machine ne mène pas la danse, elle est l’instrument dont on joue. Imaginée par Pierre Giner et développée par Trafik, alimentée par Poptronics, elle est conçue pour expérimenter et être améliorée, comme l’ensemble de la proposition.

« Est-ce que les poissons ont soif ? »

Dès le deuxième jour, on ajoute des micros sur pied pour mettre public et intervenants à égalité et l’opérateur saisit certains mots-clés en live (pour affiner la reconnaissance vocale parfois hasardeuse). Le mardi 22 octobre, Patrick Gyger, écrivain et directeur du Lieu unique à Nantes, dispose d’un écran pour ses propres images. Le quatrième jour, c’est la présentation qui change, l’apparition des images est moins saccadée, elles prennent plus d’espace et de temps.

Expérimenter, c’est ce qui réunit l’art et les sciences, bien loin de la recherche d’efficacité pour elle-même. Ici, que ce soit sur scène, dans le public ou sur les écrans, on tâtonne, on questionne, on émet des hypothèses, des points de vue contradictoires…

Stéphanie Trouche, chercheure en neurosciences qui intervient sur la thématique « Qu’est-ce que le vivant ? » avec l’éthologue et grand témoin Audrey Dussutour, dit qu’« il est crucial de commettre des erreurs », d’abord pour apprendre et ensuite parce qu’il y a parfois des découvertes surprenantes qui ont été faites par erreur. C’est peut-être parce que les scientifiques prennent le risque d’expérimenter qu’ils se sont prêtés d’aussi bonne grâce à l’exercice difficile de répondre en cinq minutes à des questions vastes comme le monde (« C’est pour quand les vacances sur Mars ? », « Est-il trop tard pour le climat ? », « Peut-on s’inspirer de la nature pour soigner les humains ? », « Est-on seul dans l’univers ? »…) sur fond d’images qu’ils ne maîtrisaient pas. La plupart étaient d’ailleurs emballés au point d’avoir envie de systèmes similaires comme supports de cours et/ou de conférences.


Barbara Cassin, philosophe et académicienne, lit « Alchimie du verbe » d’Arthur Rimbaud. Elle dit du dispositif : « C’est un jeu très singulier car en même temps il y a plein de règles et c’est très libre. Arriver à naviguer entre les règles et la liberté, peut-être qu’à partir de là, on peut vraiment se poser la question : “Où se cache le bonheur ?” » (à laquelle elle avait choisi de répondre). © DR

« À l’ère de l’anthropocène, le futur peut-il encore faire rêver ? »

Pierre Giner, Poptronics et Trafik n’en sont pas à leur première collaboration (voir les épisodes précédents). L’alliance de l’art, du média, du développement et du design est ici fondamentale pour construire une situation de rencontre transversale et horizontale, dans laquelle on prend le temps d’entendre et de se faire comprendre, de sortir de sa spécialité, d’oser parler au « grand intellectuel ». Et de faire se souvenir que nous vivons tous dans le même monde, un monde qu’on peut envisager à l’échelle de l’univers comme à celle d’une cellule (ou d’une bactérie), un monde dont l’homme n’est pas le centre. Audrey Dussutour : « L’homme ne représente que 0,01% de la biomasse »… Un monde certes amoché et au bord de l’effondrement, mais qu’on peut saisir un peu plus précisément après cette semaine marathon qui se poursuit jusqu’à jeudi. Une démonstration brillante que le faire ensemble permet non seulement de faire circuler et grandir le savoir mais aussi redonne confiance en l’espèce humaine.

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Une archive vidéo internet est en cours de constitution, Poptronics vous tiendra au courant dès qu’elle sera disponible.

Sarah Taurinya 

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