Focus sur la stratégie diplomatique du manga déployée par le Japon, à l’occasion de la 10e édition de la Japan Expo, du 2 au 5/07 à Villepinte (93).
Des cosplayers (fans de manga déguisés) dans les allées du plus grand rassemblement européen dédié à la pop culture japonaise : la Japan Expo. © Mathias Cena
< 10'07'09 >
Japan Expo, l’arme fatale de la pop culture nippone

Les Français aiment la culture japonaise, et le prouvent chaque année à la Japan Expo. Le Japon, lui, aime… la Japan Expo ; le gouvernement nippon, qui veut faire de sa pop culture une arme diplomatique, l’a montré cette année plus que jamais. Explications.

La Japan Expo est une gigantesque foire dans le nord de Paris dédiée à la culture japonaise, tendance populaire : mangas, dessins animés (anime), mode, jeux vidéo, cuisine, arts martiaux, etc. Rien de très nouveau sous le Soleil levant –les dessins animés japonais ont fait leur apparition sur nos télés à la fin des années 1970– mais les Français en redemandent : l’événement, qui attirait un noyau de 3.200 fans en l’an 2000, a grossi chaque année pour dépasser les 160.000 visiteurs pour son dixième anniversaire, le week-end dernier au Parc des expositions de Villepinte.

Des « japoniaiseries » à la stratégie export
Le public s’est donc forcément diversifié : dans les allées bondées et surchauffées du salon, on retrouvait les otakus (fans de pop culture japonaise) de la première heure, mais mélangés à d’autres geeks (la Japan Expo accueille en son sein le Comic Con’, qui rassemble les fondus de science-fiction et de super-héros), à de simples curieux, voire à Monsieur Tout-le-monde. Car ce que certains qualifiaient en d’autres temps de « japoniaiseries » a su sortir du placard depuis quelques années pour devenir une passion avouable. Il est d’ailleurs devenu courant pour des milliers de jeunes gens de se présenter à la Japan Expo déguisés en héros de mangas.

Toute cette agitation autour de sa pop culture est vue comme une aubaine par le gouvernement japonais, qui, après s’être aperçu tardivement qu’il était assis sur une mine d’or, s’emploie depuis quelques années à en ériger l’exportation en stratégie diplomatique. Outre la création d’un prix international du manga et l’annonce controversée de la construction d’un musée de la pop culture à Tokyo, trois jeunes filles ont récemment été nommées ambassadrices du kawaii (« mignon » en japonais) pour faire connaître la mode vestimentaire nipponne dans le monde.

Le Japon s’implique dans la Japan Expo
L’Archipel voit dans cette approche du « soft power », l’influence exercée par un pays sur les autres par des moyens non coercitifs comme la culture, un remède à beaucoup de ses maux. Le « nain diplomatique » qu’est le Japon se verrait bien exercer plus d’influence grâce à sa diplomatie du manga, dont le premier représentant est le Premier ministre Taro Aso lui-même, qui se décrit comme un otaku. Le pays, durement éprouvé par la crise mondiale, n’a pas non plus oublié que c’est dans les années 1990, quand il subissait l’effondrement de sa bulle économique, que sa pop culture s’est révélée être un succès planétaire.

Autant de bonnes raisons de s’introduire peu à peu dans la Japan Expo. D’abord à pas feutrés : « En 2003 ou 2004, se souvient Thomas Sirdey, vice-président de SEFA Event, qui organise l’événement, nous avons rencontré le directeur culturel de l’ambassade du Japon qui nous a dit : “Il faut faire quelque chose ensemble.” Ils ont ensuite procédé prudemment, à la japonaise, en envoyant des gens se renseigner sur l’organisation, et en 2007, nous avons rencontré l’ambassadeur. » Six ans plus tard, le gouvernement nippon joue à présent un rôle important dans l’organisation de la Japan Expo en aidant notamment certains artistes et entreprises à s’y rendre, et surtout par l’intermédiaire du CoFesta, le festival international de l’industrie de contenu japonaise, une structure-ombrelle destinée à promouvoir le divertissement japonais dans le monde.

Manga : un premier pas vers la culture japonaise
La diplomatie du manga donne-t-elle à l’étranger une image fidèle du Japon ? « Certainement pas, s’amuse Shigeo Sugimoto, qui prépare une thèse à l’Université libre de Bruxelles sur l’influence de la culture japonaise dans le monde et les valeurs qu’elle véhicule. Et ce n’est d’ailleurs pas le but. Mais c’est, à mon sens, un bon moyen d’entrer dans la culture, beaucoup moins cliché que le sumo et les jardins zen. » Une bonne partie des cosplayers (contraction de « costume » et « playing », ceux qui se déguisent, donc) croisés dans les travées du salon ont découvert l’anime (prononcé « animé », l’abréviation de la prononciation japonaise d’« animation ») au « Club Dorothée » dans les années 1980 et 1990, ou sur les chaînes spécialisées pour les plus jeunes, avant de se tourner vers le manga papier. Pas dupes, ils semblent prendre le manga et l’anime pour ce qu’ils sont. « C’est une vision un peu réductrice de la culture japonaise, analyse Laure, une jeune femme de 27 ans habillée de pied en cap en gothic lolita, une mode vestimentaire japonaise à base de jupes bouffantes et de dentelles. Mais les mangas contiennent des références à la culture que j’ai voulu essayer de comprendre. Je pense qu’on a un peu une image faussée du pays ; il faudrait peut-être vivre là-bas pour se rendre compte de la réalité. »

mathias cena 

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