Jour 1 du récit d’expédition polaire d’Agnès de Cayeux et Maëlla Mickaëlle, journal de bord du projet d’installation en VR « 360 notes prises au Nord », réalisé cet été au Groenland pendant 5 semaines.
Maëlla Mickaëlle, figure féminine du projet, coiffée à la groenlandaise et photographiée à la Game Boy. © Copyleft
< 26'06'23 >
J’écris depuis le bateau qui nous mène à Ilulissat

C’est une expédition polaire d’un nouveau genre à laquelle invite Agnès de Cayeux. Et Poptronics n’a pas résisté à l’envie d’en être. L’artiste arpenteuse des mondes numériques est partie dans le « vrai » grand Nord, au-delà du cercle polaire arctique, au Groenland, en compagnie de Maëlla Mickaëlle. Sur les traces des imaginaires polaires, elles y réalisent « 360 notes prises au Nord », 28 tableaux filmés en caméra 360 à expérimenter équipé d’un casque VR, avec Dark Euphoria et Bionic Bird.

Par ici et sous forme de carnet de voyage low-tech, Agnès de Cayeux nous offre son journal d’expédition au quotidien, composé de fragments de la bande-son des séquences filmées en 360 au Groenland, illustrées d’un reportage à la Game Boy – la console de jeux 8-bits de Nintendo a été transformée en appareil photo « non énergivore », explique-t-elle : « Je vais épuiser seulement 2 piles AA en 5 semaines ;) ».

Jour 1. « Mary » ou l’imaginaire polaire du récit

En 1818, Mary Shelley situe son « Frankenstein ou le Prométhée moderne » dans le froid polaire. Dans la lignée « monstrueuse » de la jeune écrivaine, un rêve inédit du philosophe et psychanalyste Félix Guattari sur sa sœur, tiré des archives de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec) pour le projet « 360 notes prises au Nord ».

La photo est celle de Maëlla Mickaëlle, la figure féminine du projet, qui s’est rendue chez un coiffeur à Nuuk, la capitale, pour demander une coiffe groenlandaise avant de prendre le bateau qui remonte la côte Ouest de Nuuk à Ilulissat. « Un peu comme si une Groenlandaise arrivait en France et voulait absolument se faire un grand truc breton sur le crâne, genre Bigoudine. Evidemment, personne n’est coiffé comme cela ici, et d’ailleurs, il s’agit plus de la coiffe des Groenlandaises de l’Est, dixit la coiffeuse de Nuuk », raconte Agnès.

(liminaires)

noteA000

Je regarde ce film. Celui du livre. « Frankenstein ou le Prométhée moderne ». Un film de près de 3 heures. J’avais oublié Victor devenu vieil homme, épuisé, apeuré. Lui, dirigeant son traîneau de chiens blancs, traquant, se précipitant dans une course effrénée sur les plaques de glace de l’arctique. J’avais oublié les lettres de l’homme à sa sœur éloignée, j’avais oublié la créature dévalant la glace immuable, le monstre poursuivi par son inventeur de génie.

noteC000

J’avais oublié la créature dévalant la glace immuable, le monstre poursuivi par son inventeur de génie. Un film de près de 3 heures. Lui, dirigeant son traîneau de chiens blancs. « Frankenstein ou le Prométhée moderne ». Traquant, se précipitant dans une course effrénée sur les plaques de glace de l’arctique. Je regarde ce film. J’avais oublié Victor devenu vieil homme, épuisé, apeuré. Celui du livre. J’avais oublié les lettres de l’homme à sa sœur éloignée.

(rêveries)

note001a

C’est un trou d’un mètre de large, deux mètres de long et environ un mètre cinquante de profondeur. Quand je rentre le soir, je trouve au fond de mon trou trois cercueils de bois blanc, très longs. J’apprends qu’une femme et l’un de ses voisins manchots sont morts empoisonnés alors qu’ils déjeunaient dehors, sur une table ronde recouverte par une nappe blanche. C’est ma sœur qui les a empoisonnés. Ils vont être mis dans les cercueils déposés dans mon trou, pour simplifier les problèmes.

Par la suite, ma mère parle de tout cela à des voisins en leur disant que cette manière d’enterrer est vraiment bonne. Le fils de nos voisins meurt dans des circonstances analogues et il est décidé de l’enterrer de la même manière. Il se trouve alors dans le troisième cercueil de mon trou.

note002a

À présent, il y a cinq cercueils dans mon trou qui a un peu grandi. Deux restent encore vides. Mais bientôt je sens qu’il y a de nouveaux cadavres. Je demande à ma sœur quelles sont les personnes qui sont dans les cercueils restant. Elle me répond : "C’est fou ce que les enfants meurent." Je comprends qu’elle n’a pas d’enfant.

note003a

Je vais faire une grande promenade sur la lande. Je décide de reboucher mon trou. Personne ne sait que tous ces gens sont morts plus ou moins assassinés par ma sœur. Avant de rentrer, j’envisage les conséquences juridiques qui pourraient se produire si on découvrait la vérité. J’ai peur. Je suis décidé à reboucher ce trou. Pour le faire, je me dis que je vais avoir à me battre contre ma sœur, ce soir, vers minuit. Ce sera une lutte contre un vampire.

note004a

Quand je rentre dans le jardin, je vois qu’à côté de mon trou, toujours ouvert, ma sœur a creusé un gigantesque trou, toute seule. Au fond, il n’y a pas de cercueil mais un tapis. Je dis à ma sœur que l’on va tout reboucher. Elle me dit qu’elle est d’accord. J’aimerais, pour que l’on ne voit rien, reboucher mon trou avec de la terre du trou de ma sœur et qu’elle fasse de même. Une sorte de mélange. Elle est d’accord, mais avant, je voudrais savoir ce qu’il y a sous le tapis au fond de son trou de trois mètres de profondeur. Elle refuse de me le dire obstinément. Je sais qu’il y a encore des cadavres dessous. Ma sœur est monstrueuse.

agnès de cayeux 

votre email :

email du destinataire :

message :