« Isidore Isou, introduction à un nouveau poète et un nouveau musicien », CipM, 2, rue de la Vieille Charité, Marseille, 2e, du 26 octobre au 19 janvier.
« Autoportrait métagraphique », par Isidore Isou, date inconnue © DR
< 29'10'07 >
Isidore Isou est mort… le lettrisme bouge encore

Enfin un hommage avec un grand H au regretté Isidore Isou, mort cet été ! C’est depuis ce week-end, au CipM, le Centre international de poésie de Marseille, qui, sous la houlette d’un de ses amis et compositeur proche, Frédéric Acquaviva, consacre une exposition à ce « nouveau poète et nouveau musicien ».

Quand le furieux poète Isidore Isou disparaît cet été à 82 ans, le 28 juillet à Paris, c’est dans un quasi-anonymat les médias se faisant à peine l’écho de sa mort. À croire que ses excès ont lassé, que le lettrisme qu’il a inventé serait resté lettre morte. Il n’en a pas toujours été ainsi, comme en témoigne la précieuse et inénarrable Radioscopie que Jacques Chancel lui consacre en janvier 1976. Ceux qui ne l’aimaient pas seront confortés… Oui, Isou était irascible, mégalo, grotesque parfois. Ce à quoi il répondait : « Je crois que de moi on a déjà dit tout le mal qu’on puisse dire. Ce qui me semble original et rare reste le bien qu’on puisse découvrir dans mes actions. »

Isou, né en Roumanie Jean Isidore Goldstein en 1925, se révèle un enfant surdoué, très tôt passionné par les grandes œuvres de la littérature et leurs auteurs. Il a lu Dostoïevski à 13 ans, Karl Marx à 14, Proust à 16. Au cours de ces lectures de jeunesse, il a en 1942 l’intuition de la poésie lettriste en lisant cette phrase d’Hermann Keyserling : « Le poète dilate les vocables ». Le jeune Isou lit : « Le poète dilate les voyelles » (en roumain « vocable » peut se confondre avec « voyelle »). Aussitôt, il rédige le Manifeste de la poésie lettriste. « La lettrie est l’art qui accepte la matière des lettres réduites et devenues simplement elles-mêmes, et qui les dépasse pour mouler dans leur bloc des œuvres cohérentes. » Ni langage, ni poésie, ni musique, le lettrisme se propose de faire une synthèse de tout ça en en dépassant les formes, conventions et contraintes.

Au sortir de la guerre, Isou installé à Paris claironne sans vergogne l’avant-garde… L’avant-garde, parce que l’ancienne, ça veut dire la Shoah, Hiroshima et plein d’autres horreurs majuscules dont le poète entend nous libérer. La pièce sonore « La Guerre  », composée en 1947, dérange encore. Elle n’a peut-être d’équivalence iconoclaste que l’illustre pièce radiophonique interdite la même année, « Pour en finir avec le jugement de Dieu » d’Antonin Artaud, qu’il salue ici dans ce poème visuel.


Génial trublion, Isou est un empêcheur de tourner en rond qui sera un jalon fort entre avant-gardes du début du siècle (Dada en tête, et l’an Un de la poésie sonore) et d’autres arts connexes comme le cinéma. Avec le Traité de bave et d’éternité, scandaleusement présenté au festival de Cannes en 1951, Isou invente le « montage discrépant » qui a pour principe la disjonction du son et de l’image. Il y déclare, non sans avoir fait un dithyrambe de Méliès, Griffith, Chaplin, Clair, Eisenstein, Von Stroheim et Bunuel : « Je crois que le cinéma est trop riche, il est obèse. Sous le coup d’une congestion, ce porc rempli de graisse se déchirera en 1000 morceaux. J’annonce la destruction du cinéma, le premier signe apocalyptique d’une disjonction de cet organisme ventru qui s’appelle film ».

L’édiction de ces principes pour un nouveau paradigme cinématographique, qu’on qualifiera par simple commodité d’abstrait, on la retrouvera dans le cinéma expérimental américain de Stan Brackage et Harry Smith une décennie plus tard. En France, quand bien même le sujet fait polémique, on peut dire que le situationnisme doit beaucoup au lettrisme. Guy Debord, fondateur situ, prend la première fois la caméra pour « Hurlements en faveur de Sade ». Indépassable de radicalité, le film montre pour toute et unique situation, un écran blanc, alors que voix, propos et éructations d’Isou et Debord se bousculent dans le hors-champ de la sempiternelle toile immaculée.


Isou fut, il s’en défendrait, une rock star du verbe et pour le moins un fieffé punk. « Je veux un paradis ou un enfer pour moi tout seul », disait-il. Il a été entendu. Son héritage, lui, est pour tous les autres.

jean-philippe renoult 

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