Retour sur les Inopinés, une soirée de déambulations pour repérer les spectacles et installations défricheuses mêlant nouvelles technologies et théâtre ou danse, à Mons, en Belgique, dans le cadre des Rencontres professionnelles du CECN, les 4 et 5 mars derniers.
« Medusalith Amaquelin », de Clorinde Durand, une installation fantomatique produite au Fresnoy, légèrement flippante… © Poptronics
< 09'03'10 >
Inopinés avec vue sur futurs spectacles à Mons

(Mons, envoyé spécial)

Tous au Nord. Début mars débute la traditionnelle transhumance des « pros » des spectacles hybrides, mélangeant nouvelles technologies, installations ou vidéo. D’un côté la face festival, avec le Via, à Maubeuge et Mons du 2 au 14 mars, de l’autre les Rencontres professionnelles à Mons, de l’autre côté de la frontière belge, les 4 et 5 mars, sous l’égide du CECN, le Centre des écritures contemporaines et numériques, qui jouent le rôle de dénicheurs de chorégraphies ou de spectacles alliant scène et technologie. Comme tout ce petit monde s’active énormément dans la perspective de la candidature de Mons au titre de capitale européenne 2015, ces journées sont à la fois l’occasion de faire le point sur la création en devenir et de découvrir quelques spectacles tout juste finis, pas encore rodés, ou encore en chantier… Du pain bénit pour les programmateurs qui viennent un peu de partout en Europe pour faire des rencontres et leur marché. Petit tour d’horizon.

Dans la rubrique « à suivre ». A Mons, la création se déchiffre et permet d’avoir accès aux toutes premières étapes de travail. Le spectacle « &&&&& & &&& » des deux trublions Antoine Defoort et Halory Goerger, qui traite « de la science, de la fiction, et des deux réunis par un tiret », va passer de scène en scène cette année (au Manège de Reims le 25/03, à la Ferme du Buisson le 27/03 et même à Lisbonne en mai prochain). Un extrait par ici.

Dans la rubrique « déambulation ». Pour prendre le pouls de la jeune création, deux soirées de déambulation intitulées « les Inopinés » sur le site des Arbalestriers ont permis de faire émerger quelques figures phares.

Kris Verdonck d’abord, dont poptronics a déjà évoqué le travail, qui revisite dans ses installations les textes de dramaturges connus (dont le célèbre « Lesness » de Samuel Beckett ou Kafka). Au-delà de la simple mise en scène, le spectacle se découpe chez Verdonck en quatre installations : « Actor#1 » (« Mass », « Huminid » et « Dancer#3 »). La première est un bain de vapeur qui n’est pas sans évoquer celui de Pierre Huyghe créé à l’occasion de l’Expédition scintillante à la Kunsthaus de Bregenz en 2002 ; puis c’est un homonculus sur lequel est projeté le corps d’un acteur ; vient une machine-piston qui incarne un danseur et un musicien. Enfin, dernier élément : une vidéo.

Kris Verdonck, Actor#1, première partie :

L’ayant-droit de Beckett lui ayant refusé l’autorisation d’utiliser le texte original, le metteur en scène flamand l’a donc transposé en utilisant des synonymes pour chaque mot du texte. Cette contrainte accentue chez le dramaturge une propension à prendre à rebours le texte comme la scène. Il fait fi de l’interactivité pour ne laisser place qu’à la contemplation, à la lenteur, à la durée car les vagues de fumée comme les sauts bruitistes de son piston invitent à l’analyse, encourageant moins l’introspection que la réflexion sur le texte de Beckett.

Kris Verdonck, Actor#1, deuxième partie :

Kris Verdonck, Actor#1, troisième partie :

Ainsi, Verdonck évoque au travers de la disparition des acteurs sur le plateau ou dans ses installations un potentiel de dialogue, des rapports homme-machine, via la machine anthropomorphe que représente le piston. Il ne s’agit pas d’une dramaturgie autour des machines : l’enjeu est que l’homme puisse se comprendre à travers la machine, qu’il appréhende la part aléatoire de la machine afin non pas de la maîtriser mais de composer avec elle un étrange dialogue cherchant l’envers du « Locus Solus » de Raymond Roussel… L’homme ne veut pas utiliser la machine pour faire renaître une personnalité disparue et fabriquer un étrange ballet ; au contraire, c’est la machine qui fait parler l’homme. Si Beckett avait besoin de signifier le seuil entre humain et inhumain, entre communication et impossibilité à communiquer, en enterrant parfois ses personnages dans un monticule de terre (dans « Oh ! les beaux jours » par exemple), Kris Verdonck a besoin de l’image projetée pour signifier le passage aux mots, pour écrire une nouvelle forme de dramaturgie. Si l’acteur en chair et en os disparaît du plateau, il est présent via l’image et invite le spectateur à réfléchir sur cette autre écriture.

Plus classique et illusionniste, « le Bardo » de la compagnie Haut et Court avec à sa tête le metteur en scène Joris Mathieu. Il détourne le train fantôme (le « bardo » est dans la tradition tibétaine la zone reliant vivants et morts) afin de nous convier à une traversée dans un entre-deux. La force de cette pièce réside surtout dans l’avant-dernière « stase », celle où il convoque des sons et des images empruntés à l’histoire de la Roumanie. Face à une glace, les ruines se découvrent et le fil de l’histoire s’inscrit sous nos yeux sans aucune possibilité d’interagir… Impossible de ne pas penser à la vidéo « Auditions for a Revolution » (2006) d’Irina Botea présentée au Jeu de Paume il y a quelques mois. Les deux focalisent sur le basculement d’un pays, les renversements idéologiques… Malgré le jeu parfois hanté de nombreuses références, Joris Mathieu ouvre les tiroirs du politique afin de mieux l’interroger.

« Le Bardo », compagnie Haut et Court, extrait :

Enfin, un coup de cœur repéré lors du dernier Panorama au Fresnoy, l’androïde « Medusalith Amaquelin » de Clorinde Durand, allongée dans l’eau comme une Ophélie mourante, nappée d’une longue, très longue chevelure angoissante qui évoque autant l’héroïne du comics US éponyme que la Gorgone, elle fixe du regard le spectateur, l’enjoignant à un étrange échange…

cyril thomas 

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< 1 > commentaire
écrit le < 13'03'10 > par < a vo4 bram.org >
Merci pour l’article ! Quelle était la place du spectateur dans le travail de Kris Verdonck ? Assis, en déplacement, frontal ?