Il faut qu’on parle #3 le 18/04, soirée littéraire et stand-up textuel, en partenariat avec Poptronics sur le thème du « Péché originel ». Lectures performances par Nils C. Ahl, Wendy Delorme, Abd El Haq, Félix Jousserand, Céline Lescure, Louise De Ville, Corinne Maier, Malek Chebel, Coralie Trinh Thi… Puis en deuxième partie de soirée, lectures à micro ouvert (inscriptions par mail ilfautquonparlenow@gmail.com).

Pour cette 3ème édition, Poptronics vous propose, outre un retour sonore sur IFKP#2, deux textes de Wendy Delorme et Cécile Lescure en avant-première.

Le 18 avril, de 19h à 22h à La Cantine, 151 rue Montmartre, passage des Panoramas, 75002 Paris, entrée libre.

Félix Jousserand en pleine session d’"Il faut qu’on parle", en janvier dernier. Le slameur est invité à la 3ème édition du salon littéraire 2.0, ce jeudi à la Cantine. © poptronics
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Il faut qu’on parle… pauvres pécheurs !

Les filles d’« Il faut qu’on parle » (IFKP), soirées littéraires d’un autre genre dont Poptronics est partenaire, remettent les pieds dans les mots. Après la « chasse à l’homme », les voilà qui choisissent pour thématique de cette troisième édition le « péché originel », ce jeudi à la Cantine. « Bienvenue orgueil, luxure, gourmandise, paresse » annonce le programme…

A l’attention de tous ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents, « Il faut qu’on parle » propose un medley de textes inédits et créations littéraires, lus par leurs auteurs, hommes et femmes sans discrimination, textes plus ou moins littéraires, politiques, philosophiques, poétiques. Une sorte de salon littéraire XIXème version réseaux sociaux. Après la première partie où les auteurs sont choisis par les filles à l’origine d’IFKP, les deux écrivains Isabelle Sorente et Wendy Delorme, avec la complicité de Nirina Thibault pour La Cantine, le micro est ouvert, sur le principe de « 5 minutes, à cru ou en musique ».

Pour cette 3ème édition donc, sont réunis slameurs, poètes, essayistes et sans étiquette. On retrouve avec plaisir les membres du Spoke Orchestra Félix Jousserand et Abd El Haq, des « habitués ». On est curieux d’entendre Malek Chebel, anthropologue et philosophe algérien auteur de « Changer l’islam » (Albin Michel, 2013) ou encore Arthur Scheuer, directeur du magazine Ragemag. On imagine la rencontre avec l’actrice porno la plus connue hors de son milieu, Coralie Trinh Thi, coréalisatrice du film « Baise-moi », et avec Louise de Ville, la comédienne américaine « pour qui le porte-jarretelles devient une arme féministe ». Et vous en deuxième partie ?

Poptronics assurant la mise en bouche, voici un extrait sonore de la précédente édition d’IFKP, où le poète slameur Abd El Haq digresse avec verve sur le thème de la chasse à l’homme :

Et puisqu’un bonheur ne vient jamais seul, deux textes en avant-première, à lire ci-dessous ou à télécharger en PDF.

La Pomme, par Wendy Delorme

Texte extrait du livre « Insurrections ! en territoire sexuel », de Wendy Delorme, Editions Au Diable Vauvert, 2009
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Bon, c’est pas moi qui ai tué Adam, ok ? Je ne dis pas qu’il ne le méritait pas, ni que je ne l’aurais jamais fait, ou que je n’y ai jamais songé, c’est juste que je ne l’ai pas fait, voilà tout.

Que ce soit clair, je n’écris pas ce communiqué pour me déculpabiliser, quoique. Le fait est que je n’en ai rien à foutre de la disparition d’Adam. Ce que je voudrais vraiment, c’est demander pardon à l’humanité pour toutes les conneries qu’il a faites. J’aurais pu l’en empêcher. J’ai été trop confiante, voilà tout. Ça a été ma seule faute, mais je sais qu’elle est grande.

Je ne sais pas trop comment il est mort Adam, d’ailleurs, et je m’en tape un peu. Un matin, il n’était plus là, c’est tout.

Tout a commencé quand je me suis réveillée sous cet arbre, une pomme m’était tombée sur la tête. Ça fait mal, une pomme qui tombe de deux mètres de haut, en plein sur l’arcade sourcilière.

Je me suis réveillée de mauvais poil, forcément. J’étais en plein dans mon rêve préféré, celui dans lequel je suis meneuse de revue au Moulin Rouge, face à une salle qui se lève pour m’applaudir à la fin du spectacle. A l’époque, mon souci principal dans la vie, à part Adam, était que le Moulin Rouge n’existait pas encore et ce surtout à cause de cet imbécile d’Adam qui avait décidé qu’on devait rester là-haut dans ce jardin minable à se glorifier d’entendre le chant des anges en guise de réveil matin ; un conservateur, voilà ce qu’il était Adam.

C’est pas plus mal pour l’évolution de l’humanité qu’il ait disparu voyez-vous, car avec lui on n’avait le droit de rien faire. Il fallait toujours demander la permission, sous prétexte que j’étais venue après lui et que je n’étais qu’une extension de sa côte. Je t’en aurais foutu moi, de la côte, je lui en grillais chaque jour au déjeuner pour me venger, de la côte de porc, il en avait marre mais Adam ne sait pas cuisiner vous imaginez bien, alors c’était la côte ou rien. En tout cas je suis mieux réussie que lui et ça il ne l’a jamais digéré. Bref.

La pomme. Elle m’est tombée dessus juste au moment des applaudissements, le moment préféré de mon rêve préféré, lorsque le rideau rouge frémit du souffle de la foule, moi tendue et offerte comme une grappe, les seins en avant, nimbée de la lumière chaude du projecteur, auréolée de gloire, suant le stupre, dégoulinante de luxure, des centaines de paires d’yeux rivés à la gloire de l’exhibitionnisme triomphant de la nature dans son plus simple appareil. Oui, dans mon rêve il y aurait des habits. Tout le monde serait habillé mais pas moi. Je suis Eve. Et là, la pomme m’est tombée dessus. Cette satanée pomme.

Au réveil j’étais bien à poil, mais sans personne autour de moi. Juste l’herbe, le ciel et le pommier. Et cet idiot d’Adam que j’entendais ululer au loin qu’il avait faim, qu’il attendait son dîner. Quel ennui.

C’est là que j’ai eu une idée. J’allais créer l’histoire du monde. Je n’avais pas besoin d’Adam pour ça. Pas la peine de lui demander la permission. J’en avais marre. Finalement il ne servait à rien. Puisque j’avais créé ce jardin sous ses directives, y compris ce pommier dont il avait décidé qu’on ne mangerait pas les fruits, je pouvais bien le créer, le Moulin Rouge, la foule de gens, le rideau rouge, et tout le reste aussi. Sans directives. Juste pour mon bon plaisir. Il me suffisait de tout écrire.

J’étais si contente d’avoir eu cette idée que j’ai failli croquer la pomme en guise de petit dej. Je sais bien qu’on n’a pas le droit de les bouffer, les pommes. C’est une de ces lois ineptes du paradis d’Adam. Je n’ai jamais su pourquoi d’ailleurs. Il paraît que c’est le fruit de la connaissance, comme si en mangeant une pomme on pouvait par magie apprendre l’Histoire (qui n’existait pas encore, et on se demande à cause de qui, hein) la géographie, la littérature (idem que pour l’histoire), les maths (pareil, on n’avait pas encore inventé les maths), bref on se demande bien ce qu’on aurait pu apprendre et quel programme scolaire pourrait bien contenir ce fruit défendu. Non mais, en plus d’être un parfait idiot, Adam est un parfait mythomane. Mais si ! C’est lui qui a inventé aussi cette histoire de Dieu et des anges, moi je sais bien que ce qu’on entend le matin au réveil c’est ce vieux coq sauvage insomniaque et déplumé, qui ne supporte pas de voir ses poules dormir plus longtemps que lui.

Pour avoir la paix avec Adam de toute façon mieux vaut le laisser parler et faire comme si on le croyait, c’est la plus simple façon de vivre avec un minimum de stress auprès de quelqu’un atteint de ce type de pathologie mentale, puisque de toute façon il n’entendra jamais raison ; il n’en a pas.

Je ne pouvais pas la manger, la pomme, alors je me la suis mise dans la chatte, ha ! Eh oui. Ben si la tête d’un bébé peut sortir par là, une pomme peut bien y rentrer, c’est ce que je me suis dit. Parce que ce jour là, j’ai décidé que ce seraient les femmes qui mettraient les enfants au monde, car les hommes, s’ils étaient tous comme Adam, on ne pouvait vraiment pas leur faire confiance pour mener quoi que ce soit à terme, surtout pas un bébé.

La semaine suivante j’ai créé New York, le musée Guggenheim, Paris et le Palais de Tokyo, et je leur ai proposé une performance, « Eve et la pomme ». Ça a bien marché. J’avais décidé de commencer le monde aux années 80 directement, parce que tout le reste qui était prévu au programme m’ennuyait un peu, je me suis dit qu’il suffirait de le faire consigner dans les livres d’histoire par Adam, mais évidemment il a tout écrit de travers. La colonisation par exemple, ça n’aurait jamais dû avoir lieu. La religion, les guerres saintes, l’inquisition non plus. Les massacres, les déportations, les camps, sans parler de la bombe atomique, de la faim dans le monde et des virus. J’avais l’air maligne moi dans les années 80 avec les débuts du sida et tous ces gens qui mouraient comme des mouches. Le capitalisme aussi, c’est une erreur, comme les cartels de labos pharmaceutiques, la droite au pouvoir et les lois contre l’immigration. Ce n’est pas ma faute, Adam a tout écrit de travers.

Vous voyez bien que j’avais de très bonnes raisons de l’éliminer. D’accord on peut comprendre que sa volonté de nuire soit née dans la frustration de ne rien pouvoir créer par lui même. Scribe de la Déesse mère, c’était un job ennuyeux, hein, pas très valorisant. Alors il nous a inventé un Dieu barbu, un Saint Esprit et un fils crucifié sauveur de l’humanité par dessus le marché. Il nous a mis une vierge, une sainte, une mère et une prostituée comme modèles féminins, et a inventé plein de héros masculins, évidemment. Je me suis aperçue de tout ça bien trop tard, quand j’en suis arrivée à la phase de finalisation des années 80. Il avait pris toutes ses notes d’un air absorbé. Bon élève. J’aurais dû me méfier. D’abord, que je puisse créer un monde sans lui ça l’avait rendu dingue. Il fallait que je demande la permission pour tout, alors quand j’ai décidé de faire avancer le schmilblick sans solliciter son avis il s’est senti diminué.
C’est que j’avais deviné depuis longtemps sa supercherie. Dieu n’existe pas. Je n’avais pas prévu de Dieu moi, dans l’histoire de l’humanité. Une force créatrice du nom d’Eve servirait éventuellement de divinité aux âmes faibles et perdues qui auraient besoin de vouer un culte à quelque chose ; alors autant que ce quelque chose soit moi, leur créatrice. Mais Adam n’en a fait qu’à sa tête, comme toujours.

J’aurais dû relire son brouillon au fur et à mesure, je ne sais pas ce qui m’a pris de lui faire confiance. On aurait pu former une bonne équipe, pourtant. Vous voyez, toutes ces misères, c’est sa faute, pas étonnant qu’il ait disparu sans laisser de traces, ça va prendre au moins trois fois le temps de l’histoire de l’humanité pour réparer ses conneries.
Qu’on me trouve le coupable de son meurtre et je lui prépare une compote en remerciement.


Bernadette et Dario, par Céline Lescure

Ce texte, extrait du « Jeu de l’oie », est signé Céline Lescure, qui se définit comme une « ratiboiseuse de petites histoires qui ne lui arrivent jamais ».
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La journée de Bernadette tirait lentement à sa fin. Elle enchaîna les gestes mécaniques de l’employée de bureau à la perfection, l’esprit vagabondant vers d’autres cieux. Personne ne semblait lui prêter plus d’attention qu’à l’ordinaire, tous restaient fidèles à leur indifférence notoire, ce qui avait pour conséquence de calmer ses inquiétudes paranoïaques. Elevée dans une famille de six enfants avec le lourd titre et statut d’aînée, Bernadette avait appris au cours de son existence à faire abstraction d’elle-même, de ses envies, de sa voix, vivant en retrait, secondant sa mère dans ses tâches ménagères. Jouer, rire étaient des exercices rares et peu familiers. Adulte précoce et gamine un peu triste, elle s’était peu à peu construite un monde vide, égocentrique et socialement carencé. Le contact des autres, ou de l’autre lui faisait horreur à moins d’occuper la place la plus distante, c’est-à-dire celle du témoin. Longtemps adepte des films érotiques puis des lectures pornographiques, elle avait sans le savoir découvert les plaisirs solitaires sans chercher pour autant à connaître une histoire faite de chair et de sang, sans se risquer à la défloraison vaginale ni même goûter à l’effleurement d’une bouche. La vie sexuelle de Bernadette était intérieure, et perchée très haut dans le fond de son imagination. Sa vie sociale se résumait à celle de son bureau, à quelques banalités échangées autour de la machine à café, préoccupée à maintenir ses conversations dans une langueur peu engageante. Elle travaillait vite et bien sans ambition, sans défaut. Ne représentant aucun obstacle notoire pour les employés plus téméraires, elle ne se faisait pas d’ennemis, sans pour autant gagner en amitié. Son esprit apparemment fade se reflétait jusque dans le choix de sa garde-robe et sa bouche ne s’étirait jamais au-delà de trois centimètres. Polie irréprochable et barbante.

A dix-huit heures, son ordinateur éteint, ses sourires discrets répartis équitablement à chacun de ses collègues, Bernadette s’échappa à petits pas feutrés sur la moquette rase et appela l’ascenseur. Il progressa lentement jusqu’au treizième étage, et s’ouvrit. Un homme de dos se tenait droit dans l’angle du fond. Bernadette hésita puis entra et appuya sur le bouton du rez-de-chaussée. Les portes se refermèrent et l’ascenseur se mit lentement à s’élever. Perdue dans ses pensées Bernadette n’aurait rien réalisé si la sonnerie de son téléphone ne l’avait avertie d’un nouveau message. Ne bougez pas.

Bernadette se raidit instantanément. L’état de mollesse générale engrangée dans la journée se dissipa rapidement écrasé par une montée sourde d’adrénaline venant percuter ses organes sensibles comme un flipper. A chaque sonnerie Bernadette reprenait conscience de son sexe éteint qui semblait s’étirer d’un long sommeil léthargique avec une vigueur nouvelle de Belle aux Bois ne dormant plus. Le cœur battant jusqu’au fond de ses entrailles, elle regarda droit devant elle les parois froides de la porte métallique, et ne respira plus quelques secondes. Le bruit du cuir d’une chaussure vernie craqua. La chaussure pivota et l’homme se retourna. Bernadette ne broncha pas, les deux mains exsangues accrochées à son petit sac à main en imitation croco. Le craquement luxueux se renouvela, l’homme maintenant derrière elle, fit sentir son souffle puissant et doux dans le cou de Bernadette. Une petite chair de poule se forma à la racine de ses cheveux relevés. Il huma longuement sa proie dans un geste ancestral emprunté aux tyrannosaures vérifiant la fraîcheur de leur déjeuner avant d’y planter leurs rangées de dents finement aiguisées. Bernadette déglutit bruyamment. L’homme tyrannosaure continua son inspection dessinant de son dioxyde de carbone le contour de l’imperméable gris de Bernadette. Il suivit son encolure, la chute de ses épaules, prolongea le bras, sauta sur la hanche, contourna les fesses. Il renifla profondément les coutures de son imper derrière les genoux et posa une truffe humide sur l’arrière de sa cuisse. Un regard fendu remonta entre ses jambes pour y découvrir une petite fourrure entretenue que Bernadette prenait grand soin d’élaguer régulièrement le samedi matin.

L’homme prit son temps et son regard insistant fit bientôt son effet sur l’ourlet rose du sexe de Bernadette qui se couvrit d’une petite givre blanche. Une perle de suc glissa le long de sa cuisse et fut doucement réceptionnée par une langue chaude. Bernadette ferma les yeux se laissant porter par une vague d’émotion vaginale et abreuva l’homme tyrannosaure d’une source généreuse. L’ascenseur ralentit son ascension. L’homme retira sa langue et se redressa, parcourant une dernière fois son souffle dans la nuque de Bernadette pour marquer son territoire. Il l’huma profondément et recula dans le fond de l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent, laissant entrer un petit groupe homogène vêtu de beige. Le petit camaïeux écru vint s’entasser dans un brouhaha pénible d’apprentis sopranos et barytons célébrant à leur manière la fin de la journée et la perspective heureuse d’une soirée passée en compagnie du tumultueux Derrick. Lundi soir. Même la Six ne faisait pas de scores très élevés.

La progression vers le rez-de-chaussée s’effectua sans encombre. Bernadette refluant tant bien que mal ses gouttes crémeuses entre les cuisses, rassembla discrètement ses petits talons l’un contre l’autre.

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L’air rentrait dans ses poumons soulevant au passage quelques alvéoles gelées de ses bronches. Dario regarda s’échapper de ses poumons la vapeur d’eau qui se dissipa rapidement dans l’air. Il courait depuis une heure dans les bois, en short et t-shirt, faisant claquer ses muscles dans la température froide de l’hiver. Allongeant ses foulées, il regardait défiler autour de lui les ombres vertes des arbres, s’imprégnait du parfum terreux du sol, et sentait en lui monter la sève des chênes, tournant son hémoglobine en fines globules de chlorophylle. Ses baskets marquaient son passage d’une trace modelée régulière, il écrasait les feuilles faisaient craquer les bois morts contre sa semelle de caoutchouc. Il accéléra. Son pouls suivit et son téléphone vibra. Sans ralentir sa course il lut le message : courez deux cents mètres. Il compta ses pas et aperçut une petite carte blanche sur un tronc d’arbre : la chasse est ouverte.

Son pouls accéléra anormalement, Dario dut ralentir quelques instants et reprit un rythme plus rassurant. Il continua de percer la forêt de son pas léger. Un bruit de feuille attira soudain son attention et il perçut un regard sur sa gauche. Une bête. Dario développa sa foulée. Il regarda autour de lui et sentit soudain le nid. Le nid de regards. Les louves. Planquées dans les sous-bois elles regardaient immobiles les cuisses fermes de Dario et se tenaient prêt. Leurs présences lui glacèrent le dos, des gouttes de sueur froide tranchaient finement sa peau, laissant une petite pellicule de toxine dure le long de sa colonne vertébrale. Le coton trempé de son t-shirt lui paraissait maintenant une armure rigide et encombrante. D’un bref coup d’œil Dario balaya les horizons. Deux, quatre, six, huit au moins une dizaine de paire d’yeux lumineux et pervers avançait à son rythme et semblait dévorer ses pas. Parfois Dario percevait un bras, une cuisse, mais les corps disparaissaient dans les feuillages le temps d’un battement de cils. La chasse est ouverte avait dit la carte. Tout était possible, serait-il une proie, ou saurait-il se défendre.

Des grognements mielleux et doux sifflaient entre les feuilles sombres. Dario accéléra inconsciemment. Une douce pluie de neige commença à poudrer le sentier de terre battue. L’air moucheté et brumeux plongea la forêt dans une atmosphère silencieuse hors du temps. Dario se sentit encore plus isolé et uni à cette odeur de décomposition qui s’infiltrait dans le tapis de feuilles blanchies. La forêt couverte bientôt de neige imprimait ses poumons d’une feuille molle et plane, les pieds sales des champignons suintaient leur sueur diurne et se mêlaient sans vergogne aux creux moisis des arbres fébriles. Tout pénétrait dans les organes de Dario, se joignait à son sang et partait à toute allure distribuer ses empreintes olfactives au reste du corps. Il sentit monter en lui une nouvelle source qu’il puisait directement dans l’air, la neige, le musc boisé. Son t-shirt s’accrocha aux branches, il avait soudainement coupé à travers bois, sentant les bêtes s’exciter d’avantage. Le torse et le dos nus exposés plus que jamais aux griffes et aux flocons offraient leur danse de muscles à chaque foulée. Dario ne courait plus, il bondissait. Dario ne fuyait plus, il menait. C’était lui dorénavant qui montrait le chemin, qui m’aime me suive et toutes suivaient, l’écume rassemblée entre les gencives relevées. Ses baskets s’étaient ouvertes brutalement libérant le pied ferme sur la fine pellicule de neige brune, le short aussi avait refusé d’aller plus loin. Il traversait nu les bois, se déchirait la peau sous les ronces, les écorces, les doigts crochus des feuillus et rien ne semblait l’arrêter. Il cherchait il cherchait où coucher ses bêtes ses louves, il cherchait le sol moelleux et couvert d’une petite mousse blanche, un abri de roche taillé par le temps. Il cherchait les sens en alerte et s’arrêta brutalement. Les louves toujours cachées, les crocs relevées s’arrêtèrent simultanément.

Il avait trouvé.

Il se tourna brutalement et attendit. Rien ne bougea. Les regards étaient fixes, la sueur s’évaporait par tous les pores, l’air sifflait entre les dents. Pas un geste pas un mouvement. La neige recouvrait maintenant le sol. L’air se chargeait de tâches blanches uniformes éclairant les bois d’une lumière clignotante. Il attendit, les muscles tendus prêts à se défendre, se battre, sauver son honneur. La neige fondait sur son corps en vapeur et le transformait en statue oubliée de Versailles. Les grognements d’abord sourds s’affirmèrent, puis peu à peu ils se transformèrent en hurlement. Les chiennes s’agitaient, retenant leurs pulsions, guettant l’ordre, le signal de leur chef.

Celle-ci hurla à la mort et bondit soudain sur le corps de Dario. Immédiatement un poids souple et dense s’abattit sur lui. Peau claire et musclée recouverte d’une chevelure brune, un regard vert, une bouche ouverte, des griffes sorties. Une quinzaine de corps imberbes et sveltes s’élancèrent sur leur proie à sa suite. Les femmes loups se jetèrent sur le mâle, ne lui laissant aucune chance de lutter.

Son corps fut saisi comme une viande rouge sur le feu. Léché, mordu, bouffé, sucé, happé, frappé, bandé, pressé, caressé, martelé, saccadé, mouillé, excité, vivant, durci, il passa entre les mains de toutes, entres les culs de toutes, entre les lèvres de toutes. Il fut vidé de toute sa nouvelle sève, blanchi de la jouissance suave et violente des femelles lâchées. Abandonné sur le sol fin d’un humus à peine éclos, le sexe évidé, un filet de bave coulant de sa bouche chaude, Dario gisait de tout son corps maintenant apaisé. La neige rebondissait mollement sur son épiderme et fondait à son contact amoureux et brutal.

Une des règles fondamentales du jeu consistait à reprendre le cours de sa vie normale une fois que le gage était passé. Mais Dario restait allongé regardant tomber la neige depuis la canopée vertigineuse des arbres. Eliminé.

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