“Electro Chaâbi”, de Hind Meddeb (Egypte-France, 2013), première française de ce documentaire sur la nouvelle scène du Caire, en présence de la réalisatrice, dans le cadre du cycle MusiquePointDoc (programmé par Benoît Hické), le 15/01 2014 à 19h30, Gaîté lyrique, 3-5€, réservations par ici, infos par là.
L’électro chaâbi, né dans les quartiers populaires du Caire, déplace les foules. Le film de Hind Meddeb, en première ce 15/1 à la Gaîté, accompagne l’explosion de ce courant subersif et joyeux. © DR
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Electro the Casbah ! La révolution égyptienne vue côté scène électro chaâbi

Ça faisait bien longtemps qu’on n’avait reçu d’aussi bonnes nouvelles de la planète musique, au point qu’on en était venus à douter de la capacité subversive des artistes électro, noise, techno & co. Avec l’électro chaâbi, la révolution passe par le flow. Une hypothèse à vérifier ce mercredi 15 janvier à la Gaîté lyrique dans le cadre du cycle Musiquepointdoc, pour la première française d’un documentaire impeccable, intitulé “Electro Chaâbi”, du nom de ce mouvement musical qui remixe le classique algérien chaâbi (qui veut dire populaire, lui-même déjà mélange de ryhtmes arabo-andalous), avec les sound systems électro, le flow du rap, le scratch de vieux synthés égyptiens. Le tout produisant un mélange sulfureux de musiques du monde et d’électro qui accompagne la révolution arabe dans ce pays et soutient l’aspiration de la jeunesse du Caire à la liberté.

“Electro Chaâbi”, réal. Hind Meddeb, 2013, bande-annonce :

Ça se passe depuis trois ans dans la capitale égyptienne, et plus précisément dans les quartiers les plus populaires, vétustes, non autorisés du Caire. Ce n’est pas qu’une bonne nouvelle musicale, c’est aussi le signe que la révolution arabe, même malmenée, déformée, voire confisquée par les tenants de l’ancien régime, l’armée ou/et les Frères musulmans, a planté des graines dans la population cairote, et plus largement égyptienne.

“Electro Chaâbi” est un documentaire tourné en Egypte à partir de 2011 par une journaliste franco-tunisienne, qui suit depuis leurs quartiers, leurs repaires (pigeonnier, cave, chambre chez les parents et grands-parents) les artisans du Mahragan, le “nouveau son des quartiers populaires du Caire”, mouvance musicale autant que politique. Hind Meddeb montre l’immense popularité de ces enfants croisés de la révolution, du hip hop du raï et de l’électro, le tout grâce à l’Internet, aux copies pirates qui circulent et au vent de liberté qui a suivi la révolution du 25 janvier en Egypte.

Ils s’appellent Sadat, Alaa Fifty, Oka & Ortega, Islam Chipsy, Weza, Amr Haha, Figo et conduisent le spectateur dans les méandres des quartiers périphériques du Caire (entendez les coins les plus pourris de la capitale égyptienne). Ils ont moins de trente ans, chantent leur quotidien : leur quartier (“Je vous parle de chaque coin de rue / Je fais tomber les barrières / Voilà ce que demande la rue / Ecoute ce qui s’y passe / Partout des lions se dressent / Ils font fuir les lâches / Telle est notre adresse / Bienvenue à Salam City”), la révolution (“Nous sommes les enfants du 25 janvier”), les beuveries, le hash, le désir (“A son corps je me suis frotté, mais son vieux est arrivé”) les lendemains qui déchantent (“Où est l’Egypte du bon vieux temps ?”).

Ils chantent et slamment, usent et abusent du vocoder et de gimmicks de la musique orientale, mais leur énergie est communicative. Ils font se trémousser les invités des mariages populaires (garçons d’un côté, filles de l’autre), passent à la télé, libèrent la parole : “Si je parle de la situation du pays à travers les histoires de la jeunesse, explique Sadat, c’est politique. Cette musique est libre, c’est pour ça que les gens nous écoutent.” Le film choral suit leur ascension, depuis la rue en passant par les rêves de succès, la notoriété qui s’en mêle, la télévision et la reconnaissance populaire, médiatique, qui ôte une partie de sa fraîcheur au mouvement.

Sans commentaire et tout en finesse, Hind Meddeb, qui avait commencé l’enquête pour le magazine “Tracks” d’Arte en 2011, dresse le portrait d’une génération aspirant à la liberté, politisée sans pour autant s’illusionner, qui aime son quartier, sa famille, ses racines, la musique et la danse.

Du haut du toit du pigeonnier où il vient répéter à Imbaba (parce qu’“ici, les seuls qui peuvent nous entendre c’est Dieu et les pigeons”), Islam Chipsy rappelle que “le peuple a appris à dire non, avec la musique comme dans notre travail ; c’est ça la liberté, comme en Europe”. Plus tard, un autre dira : “Impossible que les Frères musulmans (qui ont depuis été écartés du pouvoir par l’armée, ndlr) interdisent le Mahragan, maintenant que les gens sont accros”.

Tunisia Clash, reportage pour « Tracks » (Arte) de Hind Meddeb, 2011 :

Musicalement, les puristes diront qu’il ne se passe rien sous le soleil. Nombre de DJs-musiciens proposent une soupe dance indigeste à la sauce arabe (sans les sous-titres, on se lasse vite). OK OK… n’empêche que cette jeunesse-là fait danser les foules tout en prenant le pouvoir au moins symboliquement dans la société égyptienne.

Quand la musique se fait politique, elle est émancipatrice, suggère la réalisatrice. Cette même subversion musicale, on la retrouve en Tunisie. Depuis “Electro Chaâbi”, Hind Meddeb s’est d’ailleurs distinguée par son soutien au rappeur tunisien Weld El 15, ce qui lui a valu d’être arrêtée à Tunis pour “troubles à l’ordre public et outrage à agents”. Elle avait publiquement défendu le rappeur condamné à deux ans de prison pour une chanson qui dénonçait la police tunisienne.

L’électro chaâbi ne va pas régler tous les problèmes auxquels sont confrontés les Egyptiens. Situation économique bloquée, politique incertaine, jeunesse en roue libre, religion instrumentalisée, rapports hommes-femmes des plus extrêmes… Le film n’élude pas, n’enjolive pas non plus. Il témoigne ainsi de la tension sexuelle à son comble (“les filles et les garçons ne doivent pas se mélanger, les garçons chez nous sont un peu dingues, ils pourraient les harceler”), les filles pourtant ont aussi leur exutoire (“les filles elles sortent avec un sac plein pour se changer loin de leur quartier”). Et juste au moment où l’on se prend à penser que décidément, il n’y en a que pour les hommes à l’écran, arrive une séquence de danse dans la rue, entre filles, qui bougent lascivement sur des paroles plus que suggestives (“j’ai envie de lui, il a envie de moi”). On attend d’ailleurs le docu qui s’intéressera à la façon de danser l’électro chaâbi, mélange de mime, de danse orientale et de charleston revisité totalement charmante.

C’est donc sans aucun remords quant à un éventuel soupçon de copinage qu’on vous recommande plus que chaudement de réserver votre place mercredi pour “Electro Chaâbi”, à voir en présence de la journaliste Hind Meddeb (Benoît Hické, responsable de la programmation du cycle Musiquepointdoc à la Gaîté, est un proche de Poptronics, mais cette séance est la 32e qu’il organise et jamais Poptronics n’en avait parlé...).

Dernière salve de louanges enthousiastes pour vous signaler que le même jour dans l’après-midi, les détenus de Fresnes assisteront à la projection du film, eux aussi en présence de la réalisatrice. Sans verser dans les bons sentiments dégoulinants, on peut être certain que l’effet de cette jeunesse qui s’éveille à la fête et à la liberté fera bel écho parmi la population carcérale.

annick rivoire 

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