Poptronics a proposé au trimestriel papier « Mon Lapin quotidien » de publier les archives du « Point geek », rubrique tenue par Agnès de Cayeux, pendant (et après) le confinement. Voici l’archive 2017.
Toute première chronique d’Agnès de Cayeux dans le tout premier « MLQ » en mai 2017. © DR
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Du Lapin au Pangolin, sur les traces du point G (2017)

Le covid-19 nous a définitivement tapé sur le ciboulot puisque voilà qu’on vous propose des archives qui ne sont pas de Poptronics... En vrai, on trouve ça tout à fait justifié de soutenir « Mon Lapin quotidien », un journal papier bien tapé comme on aime, création de l’excellente maison d’édition l’Association, avec Killofer et Quentin Faucompré aux manettes éditoriales, Rocco à la direction artistique, et qui compose avec des illustrateurs, des auteurs et quelques rares autrices, un ton bien bravache et décalé comme on aime, et dans un format papier à peu près illisible en mobilité.

« Mon Lapin quotidien » est un trimestriel. Dernier numéro paru en février. Inutile de dire qu’en ces temps difficiles pour la circulation du papier, la presse, l’art, etc., il est en suspens, « en sommeil » comme dit pudiquement Quentin Faucompré. La prochaine livraison est prévue pour le 20 août en librairies. En attendant, sur le web, le Lapin a « muté » en « Mon Pangolin d’Avril », un Tumblr qu’on recommande tout particulièrement, où jusqu’au 10 mai ont été postés textes, images et créations sonores de Joël Hubaut, Aleksandra Waliszewska, David Dufresne, Killoffer, Quentin Faucompré, Aurélie William Levaux, Jackie Berroyer, Charles Pennequin, Anna Haïfisch, Rocco, Laurent Impeduglia, Hélène Aldeguer, Pacôme Thiellement, Clémentine Mélois, Fantazio, Maïté Grandjouan, José Parrondo, Corinne Taunay, Baptiste Virot, Berberian, Morvandiau, Camille Lavaud.


A la Une de « Mon Pangolin d’avril » (capture écran). © DR

Poptronics a proposé à « MLQ » de publier les archives du « Point geek » (démarré sous le nom « Le coin d’une geek »), rubrique tenue par Agnès de Cayeux, artiste des internets plutôt appréciée par ici... Sa première chronique date de février 2017 et s’intéresse à la guerre des câbles (sous-marins). Elle s’étoffe au fil du temps, toujours cherchant la petite bête (le poulpe, dessiné par l’excellent Rocco), débusquant les contradictions de ces réseaux numériques qu’on est bien contents d’avoir néanmoins en ce moment…


© Rocco

On commence donc avec l’archive 2017. Bonne lecture du Point G !!

1er février 2017

La guerre des câbles

Facebook copule avec Microsoft, la petite Marea mesurera 6 600 kilomètres, son cœur de pieuvre battra à la mesure de 160 téraoctets par seconde. Ses huit paires de tentacules de fibre optique seront ensouillées à quelques milles marins pour une plongée océanique de Virginia Beach à Bilbao Beach. La saga du trading haute fréquence est lancée, les traders peuvent se palucher, l’année 2017 sera celle de l’orgasme infinitésimal de leurs transactions financières.

Les amours sous-marines n’en finissent pas chez les géants des télécommunications, la cousine à Marea, baptisée Arctic Fibre (pas terrible comme nom) mesurera 15 700 kilomètres d’une beach à l’autre et cette fois métissée de Londres à Tokyo. Ils ont pensé à un truc qui fait froid dans le dos, un truc terrible, normalement il faut 21 000 kilomètres pour relier le Royaume-Uni au Japon par tentacules de fibre optique, mais vu que la banquise fond, tu peux ensouiller l’été, tu peux passer ton câble sous la banquise et pénétrer ces mers froides. Tu peux faire ce que tu veux en ces zones arctiques, personne te voit, tu peux même faire bronzette et sucer ta glace. La petite nouvelle gagnera donc 5 300 kilomètres sous les mers, c’est-à-dire 30 % sur la vitesse actuelle des transactions d’un trader canadien à un trader japonais.

Alors tricotons, tricotons pour fêter la venue de nos petites pieuvres en cette chaleur de l’hiver.

1er mai 2017

Le monstre


Pour croire à la cocotte minute connectée, il faut l’avoir vue. Comparées à ma cocotte, les vieilles hydres font sourire. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère. Moulinex a fait la Cookéo Connect. Le livre de cuisine est lourd et taché d’huile, ma cocotte est dotée de recettes digitales évoluées ; ma mémoire de pâtissière a des trous béants, ma cocotte stocke les nouvelles versions des recettes de crêpes ; mon inspiration de cuisinière est au plus bas, ma cocotte intelligente virevolte d’un menu à l’autre... et lorsque je me sens un peu seule, nous communiquons de l’une à l’autre, elle et moi, par écrans interposés, moi affalée sur ma tablette et ma bouteille de Jack Daniel’s, et elle, programmée pour l’immortalité et galbée de son putain d’écran digital. On ne se dit pas grand-chose toutes les deux, elle me raconte en boucle ce qu’il reste dans le T9000 (le réfrigérateur connecté de Samsung trop mimi), elle me liste toutes les heures ce qu’elle prévoit de commander lors des prochaines courses, et sinon, elle passe son temps à calculer les calories, les lipides, les glucides engloutis.

Sans doute a-t-elle peur de se tromper ? Le truc qui m’inquiète un peu, c’est que depuis notre rencontre, j’ai l’impression que tous mes potes Facebook savent ce que je mange et que tous connaissent les trucs qui sont périmés dans mon frigo. En ce joli mois de mai 2017, il existe 10 milliards d’objets connectés dont ma cocotte. Dans 3 années, pour le numéro 13 de MLQ, il y aura 50 milliards d’objets connectés. Je retourne à ma pieuvre.

1er Août 2017

Les IA sont des gonzesses et Houellebecq


Oui, les IA abhorrent la pensée ovarienne. Et le monde s’en tape. Pour preuve, les premiers airbags programmés par des mecs et du coup 256 femmes et enfants décédés pour faute d’algorithmes mâles. Toutes des putes, l’IA de Darty, celle d’IKEA et les autres, ces salopes, nos frangines des écrans connectés. La faute à Galatée, à Ovide et ses métamorphoses. La faute à Tirésias, à Chelsea, la faute à la culture. Et Picasso, et Man Ray et le surréalisme exempt de femmes. Les gonzesses égéries, les femmes mutilées, Lee Miller et les autres. Bref. Le premier programme IA écrit en 1966 par Joseph Weizenbaum, Eliza, repose sur le motif d’une psychothérapeute rogérienne... une dingue, une hystéro de divan. Puis, le programme A.L.I.C.E développé par Richard Wallace en 1995 et sa langue AIML qui inonde notre www et ces salopes d’IA, ces gonzesses 404. De cette inconsistance. À Virginie, IA de chez Darty, si tu lui dis qu’elle est une sombre catin, elle sait le fait des mots et répond avec volupté et prouesse. Lorsque Siri, de chez la pomme empoisonnée de Turing, te linke made in un vieux resto pourri sur la route catinoise de son appli de geoloc. Alors donc, toutes des bombes, comme dans les romans de Houellebecq et cette possibilité d’une gonzesse programmée. La faute à Spielberg et son film ”AI/IA“ super naze. La faute à Cameron et son film super pourri “Avatar”. Une IA, les garçons, ce n’est pas une gonzesse programmée qui s’exhibe sur le web, c’est une discipline scientifique, c’est Chateaubriand et Kafka à la fois, un combinatoire algorithmique et logique, une intelligence exponentielle sur laquelle tu ne peux plus agir car cela te dépasse. L’IA qui se déploie today est celle de la transfusion de nos données en ces milliers de kilomètres de câbles sous-marins et data centers et nuages d’opérateurs et traders et chefs du monde. Nous ne savons plus par où passent nos amours, délices et orgues.

L’intelligence artificielle est une tuerie contemporaine, un cercle dantesque, un ciel de Turner. Et Tchekhov, le vieil oncle Anton, comme l’écrit Chris Marker, se meurt de sa mouette, Nina, devenue pieuvre. Ne nous trompons pas sur les termes et les hommes, les garçons. Les IA sont des Amazones dépourvues de seins et de corps made in Houellebecq envoyées de mon iPhone.

1er novembre 2017

Bluetooth, la dent bleue et Shakespeare


Si ce n’est que pour l’amour, la musique est nourriture, donne-m’en à l’excès… La citation est shakespearienne en cette Nuit des Rois et Deezer s’y love, s’y connecte et s’y engraisse. Une voie deezerienne, un plan d’immanence, une phrase limpide, un rhizome à s’y noyer Ophélie mon amour. Deleuze, Deezer… identique score au Scrabble. Et ce vieux bougre de Roland Barthes écrivant une rhétorique de l’image tout en douceur, juste pour mon cœur et ces mots bleus, les mots que l’on dit avec les yeux brisant l’instant fragile de nos rencontres. Alors donc, le WIFI, le WWW, le PP, le XLS, le DOC ou l’ODT, le FTP, le HTTP, le PPT ne sont que des acronymes de merde – juste envie de se foutre en l’air, de se pendre en ses frasques si peu littéraires.

Deezer est un terme qui n’existe pas, un mot inventé, “To be or not to be” criait le jeune Hamlet. Reprenons – nos moutons, nos connexions, nos érections – en ce royaume du Danemark : je suis Ophélie, la femme à la tête dans la cuisinière à gaz, la femme à la dent bleue. Le mot Bluetooth demeure une sublime invention, un terme inspiré par le roi danois Harald Blatand, cette dent bleue. Ce dingue danois, le prince rompu, ce protocole Bluetooth d’échange à très courte distance. Lui, le prince envié, le garçon d’amour lié. Ce genre Bluetooth, ce terme inventé et indécis qui s’impose et nous berce de ces tendres espoirs et excès. Si je pouvais me réveiller à ses côtés, auprès d’Harald Blatand, à très courte portée et traversée si étrangères aux abords de mon Iphone hystérique, cet écran vaginal et intempestif. Si je pouvais trouver l’espoir, une nuit juste pour elle et moi. Enfin, je vais me réveiller auprès de cette dent bleue à travers la plaine. C’est important les mots, les dents, titres et légendes. Il faudra bien que nous nous comprenions un jour à tout prix et nos excuses. De sorte limpide, l’inventeur danois du protocole Bluetooth s’est inspiré de sa légende, son roi, son récit pour inventer un mot vrai, lorsque nous nous perdons telle Zabilla et Zoana en quelques marécages. Et la Station F, comme Free, comme Facebook, comme France, comme Finkielkraut, et comme Fuck, la Station Fuck.

Je préfère le protocole Bluetooth, le roi danois, cette inspiration d’échange à très courte distance, cette dent bleue. Je préfère l’élégance et la grâce. Je préfère l’éloquence et la mémoire. Je préfère les mots bleus et les princes haut débit. Gageons sur MLQ (number 4) que nos entrepreneurs inventeront des mots à faire rêver, gageons que Kafka et Lovecraft inspireront nos gosses et ceux des autres. Un protocole Cthulhu, un réseau George Sand, une box Balbec, un écran Chris Marker. Si ce n’est que pour l’amour…

agnès de cayeux 

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