Retour sur la 21e édition de la Route du rock, l’incontournable rendez-vous de l’été, un concentré de ce qui se fait de mieux sur la scène des musiques actuelles. L’essentiel est disponible pendant quelques jours encore sur Arte Live Web.
The Kills, définitivement au summum de la Route du rock 2011. © DR
< 09'09'11 >
Demi-tour sur la Route du rock à Saint-Malo

(Saint-Malo, envoyé spécial)
S’il ne fallait garder qu’un des festivals de l’été orienté guitares, ce serait le rendez-vous malouin de l’indie rock. Parce que la Route du rock, ce que sa 21e édition au mitan du mois d’août à Saint-Malo a une fois de plus confirmé (à vérifier pendant quelques jours encore sur Arte Live Web), reste pavée de choix audacieux : malgré son budget serré (300.000 € reviennent aux artistes sur un total d’1,2 million d’euros), la programmation sait s’émanciper du rock stricto sensu pour laisser une place de choix à l’électronique de pointe (Aphex Twin, Battles, Mondkopf…). Malgré une météo estivale très… bretonne (vive les trombes d’eau du samedi soir !), et même si la clôture n’a pas été aussi renversante que les deux premiers jours (Cat’s Eyes, le filandreux projet goth-héroïque du chanteur de The Horrors, la pénible messe Fleet Foxes, des Crocodiles pas vraiment à hauteur de la rumeur…), le site incomparable du fort Vauban de Saint-Père s’est de nouveau transformé en incontournable rendez-vous de l’indie rock (et au-delà).

Alors, avant de (re)plonger dans la (riche) rentrée musicale (dès la semaine prochaine avec le pop’live, l’agenda des concerts de Poptronics), retour sur cette Route du rock 2011 en quelques parti-pris.

La claque
Bientôt dix ans qu’on les suit au plus près et qu’on connaît les sinuosités de chacun de leurs titres dans leurs moindres nuances. Mais voilà, les Kills sont les Kills, soit ce qui se fait de mieux dans le rock de l’époque. Ils ont beau jouer les mêmes morceaux que lors de leur impressionnant passage au Bataclan au printemps, ils donnent là un tout autre concert face à la foule transie de froid les pieds dans la boue. Une prestation sèche et tendue dans un nuage de saturation, qui restera comme le summum de cette Route du rock. Alison Mosshart hurle dans son micro en fumant au kilomètre, la guitare du jeune marié Jamie Hince hoquète son blues tout en riffs suicidiens : la formule en rien éventée se fait sous le cataclysme climatique d’un à-propos sidérant. L’incunable « Fried My Little Brains », le conquérant « Sour Cherry » ou encore le reggae dynamité de « Satellite » emportent un public saisi par leur personnalité, leur cran, leur talent. Une petite heure de grande grande classe qui fait même cesser la pluie !

The Kills « Future starts slow » (2011) :


La confirmation
Ils avaient fort à faire les Canadiens Suuns (dont Poptronics ne cesse de vous parler depuis la sortie de leur premier album, « Zeroes QC », à la fin 2010), programmés juste avant Aphex Twin après une soirée sans faute (Anika, Sebadoh, Electrelane et Mogwai) ! Pas bégueules, ils installent eux-mêmes leurs instruments et font figure de lilliputiens du son après l’artillerie Mogwai et ses murs d’amplis. Mais quand le concert commence, le doute n’est pas de mise : toujours plus impressionnants à chacune de leurs sorties, les quatre Canadiens tracent leur ligne solitaire, picorant dans trente ans de rock mélodique, d’expérimentations sonores et d’électronique dépravée pour créer un monde bien à eux. Des sirènes entêtantes scandent des orgasmes de guitare, des riffs protopunks s’entrechoquent sur des murmures inquiétants, le minimalisme prend des atours chamaniques. Et l’on vit alors ce qui fait trop rarement la magie des festivals : le public, qui dans son immense majorité n’a jamais entendu parler du groupe avant ce soir, chavire en cadence. Grosse sensation du week-end.

Suuns - « Up Past The Nursery » (2011) :


La (bonne) surprise
Vingt ans de Route du rock, ça forme les oreilles aux musiques réputées difficiles. L’énorme ovation qui clôt le concert d’Electrelane vendredi soir est là pour le prouver. On ne donnait pourtant pas cher du « post-krautrock » intello à claviers des Anglaises (de Brighton) et de leurs constructions savantes à l’heure où la bière a déjà largement entamé les estomacs et les esprits de festivaliers qui ne demandent qu’à sauter à pieds joints ! A sa grande surprise, le groupe électrise le fort, retour gagnant après une pause de trois ans et demi où les filles ont pris le large dans l’humanitaire, le théâtre, la lecture d’Artaud ou la musique classique ! Outre les moments saillants de leur dense discographie (quatre albums, un EP et une compilation de raretés, entre 2001 et 2007), elles s’autorisent dans une deuxième partie de concert ébouriffante deux incroyables reprises : le « Smalltown Boy » de Bronski Beat rendu méconnaissable, et la merveille « The Partisan » (déjà disponible sur album) dans une version sonique à faire pâlir les papys Sonic Youth.

Electrelane - « Smalltown Boy », live à Manchester (2011) :


Le moment de grâce
Quand ils se pointent sur une scène détrempée, les frères Simone et Amedeo Pace et Kazu Makino ont sans doute en tête le concert qu’ils avaient dû interrompre il y a quelques années ici même à cause d’un déluge plus important encore. Blonde Redhead donne un concert mirifique en guise d’antidote au rideau de pluie. On cède à la beauté de ces compositions raffinées, quasi-exclusivement issues des trois derniers albums, qui ont vu le trio faire sa mue électronique. Ils sont beaux comme des dieux, accordés, la voix de Kazu semble toujours aussi irréelle. Le moment est magique et Blonde Redhead impose son univers torturé et lumineux à la fois, l’immense « 23 » en point d’orgue.

Les ratés
Comme trop souvent, l’excitation née sur le réseau autour de groupes à singles peine à prendre corps sur scène. Le duo américain Cults à qui l’on promet la lune était loin du compte sous la pluie battante. Sa petite demi-heure de rétro-rock sans grande idée ne restera pas dans les mémoires.
De même, le grand Aphex Twin s’est un peu emmêlé les platines. Son set débute pourtant avec une incroyable projection de spams animés sur de gigantesques écrans : les caractères défilent, se colorent, entrent en collision, tout à fait raccords avec une ouverture très clicks’n’cuts. Mais bientôt, les écrans ne seront plus habités que de morphings en direct du public aux effets surannés 1998 et pour tout dire assez ennuyeux sur la longueur. Comme la prestation du géant de Warp, qui semble vouloir concilier tout le monde. Résultat : un mix pour teufeurs cannibalisé par des plans drague destiné au public rock qui le méconnaît. On espère le voir plus inspiré fin octobre au Pitchfork Festival parisien.

Le mea culpa
On a écrit pis que pendre du nouvel album de Battles mais il faut bien admettre que le groupe demeure spectaculaire sur scène. Il clôture la deuxième soirée sous les vivas après une heure du prog rock boursouflé et indigeste de « Gloss Drop » – oui, on maintient ! Car malheureusement, le quatuor de Warp devenu trio a quasiment abandonné toute référence à sa première vie (un seul titre de « Mirrored », « Atlas », de loin le meilleur du concert), celle où avec Tyondai Braxton, ils essayaient d’inventer une troisième voie électro-rock.

Les nouvelles têtes
Elle a timidement ouvert les hostilités vendredi, premier concert du festival sous un soleil qui convient assez mal à ses sombres reprises krautrock. On vous a déjà dit grand bien ici de la blonde Anika, épaulée par Beak> (le side project de Geoff Barrow de Portishead), et voir le public adhérer instantanément à ce projet délicat a été la première bonne nouvelle de ce festival.

Quelque chose des grands espaces américains s’invite face à l’océan le dimanche après-midi, dans l’auditorium du Palais du Grand Large, où le collectif de multi-instrumentistes folk Other Lives vole la vedette à Josh T. « Jésus » Pearson. Quand, seul en scène, le barbu guitariste tombe vite dans le complaisant, soulignant plus que de raison son mal de vivre dans des morceaux étirés jusqu’à l’ennui, le mini-orchestre Other Lives (formation rock augmentée de trompette, violoncelle, métallophone…) est tout de subtilité. Une musique savamment arrangée, jouée avec charisme, qui sait prendre le temps de construire des atmosphères et multiplie chausse-trapes et surprises.

Mais la vraie découverte de l’édition s’appelle Alex Zhang Hungtai, un Montréalais d’origine taïwanaise qu’on croirait tout droit sorti d’un John Woo millésimé et préfère se faire appeler Dirty Beaches. Il a la tâche impossible d’exister entre Blonde Redhead et les Kills, sur la petite scène aménagée au centre du fort. Sa belle allure (cheveux gominés, costard-cravate, tatouage), sa voix d’outre-tombe, le minimalisme (et souvent la virulence) de ses compositions rockab’ évoquent irrésistiblement Alan Vega ou le Nick Cave du début des années 80. Un vieux rock louvoyant, nerveux, ponctué d’une ballade gracile (« Lord knows best », sur un sample de... Françoise Hardy !), mais surtout de hurlements et de cris, qu’il jouera comme un mort de faim jusqu’à la dernière seconde, coupant le son alors que les Kills sont déjà sur scène. Jeffrey Lee Pierce, sors de ce corps !

Dirty Beaches filme sa tournée européenne de l’été :

matthieu recarte 

votre email :

email du destinataire :

message :