Festival Accès)s( #18, du 12 octobre au 9 décembre, parcours d’exposition, de projections, de performances et de conférences, au Bel Ordinaire à Pau. Focus sur l’exposition « Paysage-fiction », coproduite avec le Tetris dans le cadre de « Un Été au Havre ».
« Tenir la mer » (2015) de Laurent Pernot, dans l’exposition « Paysage-fiction » au Bel Ordinaire. © Sarah Taurinya
< 26'10'18 >
Déambuler dans les paysages fictifs d’Accès)s( #18

Pau, envoyée spéciale

Comment dit-on/lit-on le paysage à l’ère des réseaux ? C’est cette question que pose la 18ème édition du festival Accès)s( de Pau. Accès)s( propose chaque année à un artiste, un collectif ou un curateur la direction artistique de la manifestation. Pour l’édition 2018, qui se tient du 12 octobre au 8 décembre au Bel Ordinaire, la programmation est l’œuvre de Charles Carcopino. Le curateur qui a longtemps officié au festival Exit de Créteil propose ici une nouvelle version de « Paysage-fiction », exposition présentée l’été dernier au Havre.

On assimile souvent paysage et nature. Dans l’histoire de l’art, cependant, le paysage est déjà le cadrage d’un environnement. L’homme y laisse son empreinte. Ce qu’annonce dès l’entrée la vidéo de Yeondoo Jung. L’artiste coréen filme une scène vide d’acteurs sur laquelle des techniciens renouvellent constamment le décor.

« Documentary Nostalgia » (2007), Yeondoo Jung (extrait) :

Cette fabrique en direct du paysage comme un révélateur de sa fiction, on la retrouve dans « Loop Forest » de Gabriel Lester, où des petites branches plantées sur un tapis roulant tournent en boucle devant un projecteur qui restitue une ombre floue de forêt, condensé du cinéma : mouvement, décor et lumière recomposent l’impression de réalité.

« Loop Forest » (2016) du Hollandais Gabriel Lester. © Sarah Taurinya

« Paysage-fiction » fait le focus sur les filtres qui forgent notre regard sur le paysage et véhiculent en eux-mêmes des formes de fiction. Sur le double écran flottant au gré d’un ventilateur, « La Fenêtre » (2010) de Laurent Pernot s’ouvre sur un ciel en accéléré. La vidéo n’est pas la retranscription du réel mais son enregistrement manipulable et sa restitution fantomatique.

Sur un ordinateur, la retranscription du réel nécessite des algorithmes de compression. Ce sont eux que Jacques Perconte utilise pour faire de ses prises de vues des tableaux vivants (il en parlait ici). Les captations de la nature se transforment en masses vibrantes et colorées qui dévoilent les processus à l’œuvre.

« Vielle-Saint-Girons, sans titre n°3 » (2016), Jacques Perconte :

Quelle perception avons-nous du paysage face à l’écran ? « La couleur des nuages » (2016) de Fabien Léaustic expose le filtre RVB de l’écran que des gouttes de résine rendent perceptible en se déplaçant. Le Japonais Atsunobu Kohira, lui, inscrit un écran à LEDs dans l’histoire de la peinture : « Outretemps » (2013) diffuse la captation en direct d’une pierre de lapis-lazuli (dont l’extrait produit le pigment outremer) que l’on peut voir posée à côté, comme pour nous faire reconnaître que l’image n’est pas la réalité.

Avec « Exsurgence » (2018), Fabien Léaustic éclate la construction pour retrouver la matière originelle de la terre qui s’écoule à l’infini. © Sarah Taurinya

Amplification et effets de zoom

L’imagerie scientifique de l’infiniment petit a ouvert d’autres mondes dont Momoko Seto s’empare pour créer des films dont les héros sont des végétaux qui poussent, des champignons qui prolifèrent, des arbres de sel en construction… La bande-son de « Planète A » (2008) utilise les mêmes effets de zoom que l’image, les micro-bruits amplifiés résonnent dans un espace irréel et sombre. On sent la mort à l’œuvre dans le pourrissement du vivant. En l’occurrence, sa désertification, thème que « Planète A » évoque pour rappeler la mer d’Aral en voie de disparition. Cette catastrophe écologique est l’un des autres aspects du paysage contemporain : sa modification par la pollution.

L’aquarium de « Dune » (Claire Isorni, 2015) renferme une créature perceptible à ses mouvements dans le sable, à l’image d’une nature qui reste perméable à la science. © Sarah Taurinya

Le duo HeHe revisite avec « Absynth » (2018) le diorama, ce dispositif qui dans l’histoire de la peinture préfigurait les installations multimédias, pour nous emmener en forêt : dans une pièce sombre, des sapins morts, rendus vivants par une lumière verte artificielle, des chants d’oiseaux enregistrés, de la (fausse) brume et de l’humidité, tout y est. Une vibration sonore monte et déclenche la séquence, la lumière blanchit, une pluie électrique s’abat, ses bruits se mêlent à la composition sonore oppressante (signée Dinah Bird et Jean-Philippe Renoult) qui finit en montée cardiaque. Avec cette « fiction climatique immersive », on se sent comme l’enfant perdu dans les bois qui perçoit la menace mais ne sait pas d’où elle peut venir. La comptine se répète en boucle pour maintenir l’alerte.

Grâce à l’Internet, nous avons désormais accès à une multitude de visions du paysage : par carte, par satellite, par photographie… Dans la sculpture aux bords acérés de Naïmé Perette, on perçoit ces différentes interprétations comme autant de visions éclatées du monde.


« Exploded Views » (2016) de Naïmé Perette. © Sarah Taurinya

On peut aussi percevoir le réseau des réseaux comme un paysage en soi.

« Dévouring Cartography » (2017), Naïmé Perrette :

David de Tscharner, lui, représente le paysage des portraits et selfies qui défilent sur les réseaux sociaux. Dans « Les Ambassadeurs » (2016), l’artiste suisse les isole, les découpe, les monte, les emprisonne entre les parois de plexiglas pour former des mobiles aux formes organiques, aux mouvements imperceptibles, un paysage monstrueux une fois exclu du flux.

C’est peut-être ce à quoi invite l’exposition « Paysage-fiction » : s’affranchir de la vitesse des technologies pour s’attarder à la contemplation, prendre le temps du regard pour renouer avec notre propre temporalité.

Sarah Taurinya 

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